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L’explication scientifique aux mortalités fulgurantes chez les chevaux au pré en automne a été découverte: le coupable est un érable

Par Catherine Delguste, doctorante en faculté de médecine vétérinaire.

Une chercheuse vétérinaire liégeoise et son équipe ont mis en évidence la toxine responsable de la myopathie atypique, syndrome équin hautement mortel qui sévissait de façon récurrente dans notre pays, comme dans d’autres pays d’Europe, depuis le début des années 2000.

Le mystère est enfin élucidé : la cause de la myopathie atypique a été trouvée. Il s’agit de l’hypoglycine A, toxine hautement mortelle pour le cheval qui est présente dans les fruits (« hélicoptères », appelés samares en botanique) de l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus). C’est l’ingestion de ces samares qui est responsable de la mort de plus d’un millier de chevaux en Europe depuis une douzaine d’années (Votion, 2012).

Une histoire douloureuse

Tous les amateurs de chevaux se souviennent de ce fameux automne 2000, au cours duquel un véritable vent de panique s’est répandu sur tout le sud du sillon Sambre-et-Meuse. Des dizaines de chevaux ont été retrouvés morts ou agonisants dans leur pré, sous le regard impuissant aussi bien de leurs propriétaires que des vétérinaires appelés en urgence à leur chevet. La faculté de Médecine Vétérinaire de Liège, sollicitée par les vétérinaires de terrain de la région, s’était immédiatement imposée comme centre névralgique puis de référence de cette pathologie jusque-là extrêmement rare dans notre pays, et totalement méconnue. Néanmoins, dans la littérature scientifique, quelques séries de cas avaient déjà été recensées au Royaume-Uni et en Allemagne depuis 1984 (Hosie et al, 1986 ; Whitwell et al, 1988 ; Brandt et al, 1997), date à laquelle différents spécialistes de la médecine équine s’étaient rassemblés pour une réunion spéciale  à Edimbourg suite à une série de cas mortels, et avaient baptisé le syndrome « atypical myoglobinuria ». Cette appellation faisait référence à la couleur brune des urines caractéristique de la libération massive par les muscles lésés de myoglobine, protéine responsable du transport et du stockage de l’oxygène dans les muscles. Le terme « atypique » faisait référence au fait que ce type de lésions n’apparaît habituellement que suite à des efforts physiques violents, ce qui n’était absolument pas le cas dans ce nouveau syndrome. Au fur et à mesure du mois de novembre 2000, il est apparu que c’était un véritable fléau qui s’abattait principalement sur la Wallonie, au sud du sillon Sambre-et-Meuse, mais qui sévissait aussi en Allemagne, et dans une moindre mesure en France. Partout le constat était le même : c’étaient des chevaux qui pâturaient ou venaient juste d’être rentrés au box qui étaient touchés, sans avoir fourni d’effort physique au préalable. Ils présentaient des signes de destruction musculaire massive et étaient terrassés en moins de 48 heures en moyenne, quels que soient les traitements instaurés en urgence. Ces chevaux étaient retrouvés selon les cas soit directement morts au pré, soit couchés et incapables de se relever, en choc, et qui décédaient rapidement (Delguste et al, 2002).

Le diagnostic clinique est cependant difficile, puisqu’en dépit de sa gravité, cette maladie ne se manifeste pas par des signes bien spécifiques, à part la couleur brun chocolat des urines. Mais comme une rétention urinaire accompagne fréquemment le syndrome, l’observation spontanée de la couleur des urines est relativement rare. En-dehors de cette observation, sur un animal vivant, seule une prise de sang contribuait au diagnostic de la myopathie atypique, par le dosage de l’activité des enzymes musculaires. Mais ce type de dosage ne permettait pas, ou peu,  de différencier les myopathies plus « classiques » (en général faisant suite à un effort) de la myopathie atypique, c’est donc l’association du contexte, de la sévérité des signes cliniques et de cette prise de sang qui permettait d’établir un vrai diagnostic de présomption. La confirmation quant à elle ne pouvait se faire qu’à l’examen post-mortem des muscles les plus souvent atteints, dont les muscles respiratoires (le diaphragme par exemple) et les muscles posturaux (ceux qui permettent la station debout, par opposition à ceux qui permettent le mouvement) (Cassart et al, 2007). Grâce à la découverte du désordre biochimique associé à la maladie (Westermann et al, 2008), il est désormais possible de confirmer le diagnostic de myopathie atypique sur base d’un dosage sanguin (Votion et al, données non publiées).  Concernant le contexte, les premières observations de terrain ont permis d’établir que la pathologie ne semblait pas contagieuse, mais que certaines prairies étaient plus à risque, plusieurs animaux étant régulièrement touchés sur un même pré dans un intervalle de temps très court, alors que ceux pâturant sur un pré voisin pouvaient rester indemnes. Et que ces prairies semblaient toujours bordées par des arbres (Delguste et al, 2002). Le seul dénominateur commun des prairies des cas belges qui avaient été visitées par des botanistes était la présence d’un érable, l’Acer pseudoplatanus (Votion et al, 2007). Outre l’aspect très clairement saisonnier, les conditions climatiques semblaient elles aussi intimement associées au phénomène, les épisodes venteux, l’humidité et le froid semblant jouer un rôle dans le déclenchement des épisodes. La maladie semblait aussi atteindre préférentiellement les jeunes chevaux, et des chevaux plutôt en bon état d’embonpoint. De plus, elle semblait pouvoir atteindre de façon inapparente. En effet, des chevaux cliniquement sains pâturant sur les mêmes prés que des victimes pouvaient présenter des anomalies significatives à l’analyse de sang. Il semblait par contre que les animaux des autres espèces étaient épargnés (Delguste et al, 2002 ; Votion et al, 2009). Malgré toutes ces observations et les efforts déployés conjointement par les vétérinaires de terrain, différentes universités européennes, et l’Université de Liège, qui est restée la plaque tournante de la pathologie, aucune explication valable au phénomène n’avait été trouvée.En 2004, le Dr Dominique Votion de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège  met en place un système de surveillance de la maladie et constitue un groupe d’alerte international nommé AMAG (Atypical Myopathy Alert Group), Grâce à ce réseau, des études épidémiologiques ont pu être réalisées à l’échelle européenne. De celles-ci,  des mesures de prévention ciblées ont pu être conseillées pour les périodes à risque (van Galen et al, 2012a), la meilleure prévention consistant principalement à ne sortir les chevaux au pré que quelques heures par jour entre les mois d’octobre et de décembre.

Deguste erable

Et ceci d’autant plus si des mortalités suspectes ou avérées se sont déjà produites sur le pré en question par le passé. Il est aussi constaté que lorsqu’un automne a été particulièrement meurtrier, des cas sont généralement recensés au printemps suivant. Des mesures préventives sont alors préconisées en avril. Il est également conseillé de veiller plus particulièrement aux chevaux les plus jeunes, semblant plus vulnérables face à la myopathie atypique. Malheureusement ces mesures n’empêchèrent pas certains automnes d’être très meurtriers, une partie non négligeable de la population équine restant au pré lors des saisons à risque, que ce soit par manque de prudence, d’information, ou de moyens logistiques des propriétaires pour suivre les conseils. A défaut de la découverte d’un traitement efficace, un système de collection de données et d’échantillons sanguins et tissulaires des victimes décédées a été mis en place dès la création de l’AMAG.  Ceci a permis d’une part la récolte progressive de centaines de dossiers qui ont servi à l’analyse épidémiologique et la mise en évidence des facteurs de risque statistiquement associés à la maladie (Van Galen et al, 2012a,b), et d’autre part à la récolte d’échantillons qui furent congelés en attente d’analyse. La difficulté principale ayant longtemps résidé dans le fait de savoir que chercher…

La piste des toxines

Au cours des mois et des années qui ont suivi le premier épisode belge en 2000, l’histoire s’est malheureusement répétée de façon périodique, malgré les recherches. Il semblait bien que la cause soit d’origine alimentaire, mais la recherche de tout composé toxique dans l’herbe, l’eau, la terre ou les feuilles qui jonchaient les prairies mortelles est longtemps restée vaine. Il en a été de même avec l’analyse des tissus ou du sang récoltés sur les victimes ou les quelques survivants, dont les raisons de la survie restaient obscures. Aucune piste n’a été écartée : bactéries, champignons, plantes ou résidus toxiques, mais aucune des recherches entreprises ne s’est révélée positive, et l’élément responsable de la myopathie atypique est resté totalement mystérieux pendant 12 ans.

Cependant, grâce aux très nombreux prélèvements de toutes natures (sang, muscle, urine…) réalisés sur les victimes de la myopathie atypique, de nouvelles pistes ont été explorées. Les chercheurs ont progressivement compris le mécanisme qui conduit à la destruction massive des cellules musculaires des chevaux atteints, à défaut de mettre le doigt sur le facteur déclenchant ce mécanisme. Ce mécanisme résulte d’une altération du métabolisme lipidique, c’est-à-dire la façon dont l’organisme utilise les graisses. De l’accumulation anormale de gouttelettes graisseuses dans les cellules musculaires visibles au microscope, aux dysfonctionnements dans les cycles biochimiques de transformation de certaines de ces graisses en énergie utilisable par l’organisme, les chercheurs remontent progressivement la chaîne des anomalies que présente ce métabolisme lipidique. Sur base des perturbations biochimiques observées, une « dysfonction mitochondriale » a été suspectée (Cassart et al, 2007 ; van Galen 2008) puis confirmée (Votion et al, données non publiées) par les chercheurs de l’Université de Liège. Ainsi, au cœur de la cible du processus, ce sont les mitochondries des cellules musculaires, véritables usines de production d’énergie des cellules, qui montrent de clairs dysfonctionnements chez les équidés atteints de myopathie atypique. Certaines analogies sont alors faites avec un syndrome connu en médecine humaine, la maladie jamaïcaine du vomissement. Cette maladie, même si les principaux symptômes en sont différents, implique le même genre de dysfonctionnement du métabolisme lipidique au sein des cellules, et est due à l’ingestion d’une toxine, l’hypoglycine A. Par ailleurs, entretemps, l'équivalent américain de la myopathie atypique, appelé « myopathie saisonnière du pâturage », a fait son apparition aux Etats-Unis (Finno et al, 2006). En 2012, une collaboration est formalisée entre les chercheurs de l’Université de Liège et de l'Université du Minnesota afin de vérifier, sur les nombreux échantillons européens, l’hypothèse d’une intoxication à l’hypoglycine A chez les chevaux en myopathie atypique. C’est ainsi que le produit de dégradation par le métabolisme (métabolite) de  l’hypoglycine A  est retrouvé à la fois dans le sérum des chevaux morts de myopathie atypique en Europe (Votion et al, 2013) et dans le sérum des chevaux morts de myopathie saisonnière du pâturage aux Etats-Unis (Valberg et al, 2012), alors qu’il n’est retrouvé ni chez les chevaux sains, ni chez les chevaux présentant d’autres formes de myopathies. L’explication tant attendue à la mort de ces centaines de chevaux est proche… La piste est remontée jusqu’aux samares de l’érable sycomore, qui se révèlent riches en hypoglycine A, et qui bouclent la boucle de l’association entre les conditions climatiques (et notamment les grands vents qui amenaient en plus grande quantité ces graines sur les prés) et les apparitions récurrentes et saisonnières des myopathies. Reste maintenant à comprendre pourquoi ces arbres centenaires se sont apparemment brutalement mis à produire de plus grandes quantités de toxines en ce début de millénaire, et pourquoi certaines années plus que d’autres… ou encore pourquoi les chevaux se sont mis à manger plus de samares! Affaire à suivre donc !


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