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Un vaccin contre la maladie associée à la migration du virus des gnous

03/07/2013

Chaque année, des milliers de gnous traversent l’Afrique de l’Est à la recherche de verts pâturages. Cette grande transhumance s’accompagne de la migration d’un virus appelé « herpèsvirus alcélaphin 1 ». S’il est inoffensif chez les gnous, il est mortel lorsqu’il affecte les vaches des peuples Massaï qui convoitent les même zones herbacées. Benjamin Dewals et l’équipe du laboratoire d’immonologie/vaccinologie de l’Université de Liège ont réussi à déchiffrer ses secrets et à mettre au point un vaccin potentiel. Le résultat de plus de dix ans de recherches

gnous cheptel

Le cortège est impressionnant. L’un des plus beaux spectacles naturels de la planète, proclament ceux qui y ont un jour assisté. Chaque année, des centaines de milliers de gnous (environ 1,5 million, selon les estimations couramment avancées) traversent l’Afrique de l’Est à la recherche de verts pâturages, laissant derrière eux des terres arides ne pouvant plus satisfaire leur appétit. Un voyage de plus de 1.000 kilomètres entre le parc national du Serengeti en Tanzanie jusqu’aux vastes plaines de la réserve du Masai Mara, au Kenya. La plus grande transhumance du monde, à laquelle se joignent bon nombre de zèbres et de gazelles. De prédateurs, aussi : une telle traversée ne peut qu’attirer les hyènes, lions, lycaons et autres léopards à la recherche de proies vulnérables. Lorsque la cohorte doit traverser la rivière Mara (en général au mois de juillet), les crocodiles se tiennent en embuscade, prêts à n’avoir aucune itié pour les moins rapides…

Mais cet imposant défilé est en réalité une grande migration d’un virus. Plus précisément de l’herpèsvirus alcélaphin 1. L’AlHV-1, comme l’abrègent les scientifiques, est présent chez pratiquement tous les gnous. Il se transmet lors du vêlage, lorsque les femelles le réexcrètent. Les petits le portent ensuite tout au long de leur vie, sans que cela leur cause le moindre trouble.  « Fascinant !, s’exclame le professeur Alain Vanderplasschen, responsable du service d’immunologie-vaccinologie de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège. Le summum de l’adaptation en termes d’évolution, puisqu’au fil du temps, il est devenu tout à fait apathogène pour son hôte. Passer tout à fait inaperçu, c’est quand même le paroxysme du parasitisme ! »

Mais si ce micro-organisme vit des jours tranquilles chez son hôte-réservoir, la situation se complique lorsqu’il s’invite chez d’autres espèces. Les éleveurs Massaï, qui ont pour habitude de faire paître leur bétail dans les réserves du Serengeti et du Masai Mara,  l’ont appris à leurs dépens : ils savent désormais qu’il vaut mieux éviter de côtoyer des gnous en transhumance sous peine de voir leurs vaches mourir au terme de souffrances aigües, causées par la fièvre catarrhale maligne induite par l’AlHV-1. Les animaux infectés finissent généralement prostrés, tête vers le bas, puis présentent des inflammations au niveau de l’œil et des muqueuses nasales et buccales. Leurs sécrétions deviennent purulentes. Ils souffrent de fortes fièvres. Plus longue sera la survie, plus les symptômes s’aggraveront. Dans les zoos, cette maladie peut également atteindre des animaux qui a priori n’auraient jamais dû être en contact avec des gnous, comme certaines espèces de cerfs ou de buffles. Trente-trois espèces ont été référencées comme se révélant particulièrement sensibles à cette infection.

Le vaccin du hasard

L’étude de ce singulier virus passionne Benjamin Dewals , chercheur qualifié FNRS au département d’immunologie et de vaccinologie de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULg, depuis plus de dix ans. Lorsqu’il entama sa thèse de doctorat sur ce sujet en 2002, son objectif  était d’apprendre à connaître tous les secrets de cette pathologie. Tant et si bien qu’il a fini par découvrir… un vaccin ! « Les lois du hasard », sourit-il modestement.

Mais sa découverte est loin d’être modeste. « Elle aura sa place dans les livres de référence de virologie, prédit Alain Vanderplasschen, qui a supervisé ses recherches. Benjamin a fourni un travail impressionnant. Il ne s’est pas contenté de venir mettre sa cerise sur le gâteau en utilisant des techniques développées par d’autres. Il a dû élaborer ses propres outils pour obtenir des résultats. Certaines thématiques qui concernent directement l’homme (le cancer, l’asthme, etc.) trouvent souvent plus d’écho au niveau du grand public… » Les investigations scientifiques du département vétérinaire ont à tout le moins attiré l’attention de la revue américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), qui leur a consacré dix pages dans leur édition de mai (1).

L’herpèsvirus alcélaphin 1 n’a rien d’une découverte. « J’en avais entendu parler pour la première fois en 1986 », se souvient Alain Vanderplasschen. S’il agite les esprits des spécialistes depuis belle lurette, c’est parce que sa singularité est assez rare. Seul un autre virus au monde s’adapte parfaitement chez son hôte-réservoir mais induit des syndromes foudroyants chez d’autres espèces : la maladie d’Aujeszky, inoffensive pour le porc mais provoquant des encéphalites fulgurantes chez certains carnivores et ruminants.

Cul-de-sac épidémiologique

Mais l’AlHV-1 possède une spécificité supplémentaire : sa latence. Au début de leur étude, grâce à des expérimentations sur des lapins, Benjamin Dewals et l’équipe liégeoise ont constaté une caractéristique étonnante. « Une fois l’animal atteint, il meurt mais est incapable d’aller le transmettre à un autre. C’est un cul-de-sac épidémiologique !, décrit-il. Cela nous interpellait, car on observait une lymphoprolifération, une prolifération de lymphocytes. La charge virale en termes d’ADN augmente de manière exponentielle. Nous nous sommes dès lors demandé si l’infection que l’on voit croître n’était pas due à une infection latente. »

Linfection par l’herpèsvirus  alcélaphin 1 ne se transforme donc en fièvre catarrhale maligne qu’au bout d’un certain temps. Mais avant de se déclarer, il provoque chez les vaches une multiplication effrénée des globules blancs.  Autrement dit, le virus ne se réplique pas lui-même. Ce sont au contraire les cellules infectées qui se propagent. « Il infecte un animal, ne dit plus rien pendant des semaines et puis d’un coup ! On constate une explosion d’ADN viral qui n’est même pas associée à une réplication virale », résume Alain Vanderplasschen.

Un constat qui va à l’encontre de la majorité des théories formulées jusqu’alors. La plupart des scientifiques affirmaient généralement que très peu de cellules étaient infectées. Certains avançaient même qu’il ne fallait comptabiliser qu’une seule cellule infectée sur 10.000 ou 100.000. Benjamin Dewals a démontré tout le contraire.

Pour obtenir une confirmation, il a identifié tous les gènes exprimés lors de la maladie. « Pour se rapprocher le plus possible des conditions naturelles, nous avons réalisé une expérience en infectant des veaux, raconte-t-il. Nous avons regardé dans les nœuds lymphatiques quel était le transcriptome viral, c’est-à-dire quels étaient les ARN viraux exprimés pendant la maladie. »

 Il fallut pour cela réaliser un « microarray » de l’entièreté du génome de l’AlHV-1, afin de comparer l’ARN qui provenait du transcriptome des cellules infectées à celui identifié lorsque les veaux tombaient malades. « Dans le génome, certains gènes sont vraiment essentiels à la réplication du virus, donc à la formation de la particule infectieuse. Or nous avons remarqué que certains de ces gènes n’étaient pas du tout exprimés. Par contre, l’expression du gène essentiel à la latence était similaire des deux côtés. Donc nous avons pu poser l’hypothèse selon laquelle nous avions affaire à une infection vraiment latente. »

figure résumé gnous

Protection circulaire

La majorité des génomes viraux présents chez les veaux possédaient par ailleurs une forme circulaire. Une caractéristique qui n’est pas qu’un détail « physique » : le génome des herpèsvirus a une forme linéaire dans les particules infectieuses. Lors de la maladie par contre, l’AlHV-1 prend la forme d’un épisome (un génome circulaire, donc), une caractéristique de la latence chez ces types de virus.

Benjamin Dewals a également découvert que la latence de cette maladie était rendue possible par une protéine répondant au nom un rien barbare d’ORF 73. « Celle-ci est capable d’agir comme un bouton pression entre l’épisome viral et le chromosome », explique-t-il. En d’autres termes, quand une cellule hôte se divise, l’ORF73 accroche le matériel génétique du virus dans les cellules-filles ainsi créées. La prolifération est en marche…

Aussi rusé soit cet herpèsvirus, les chercheurs de l’ULg ont trouvé un un point faible : celui de le rendre relativement facilement manipulable. Génétiquement parlant, s’entend ! En ayant mis au point et en utilisant la technique du BAC cloning (chromosome artificiel bactérien), l’équipe liégeoise a pu se permettre d’aller triturer son patrimoine génétique pour lui retirer la fameuse ORF73. Théoriquement, l’AlHV-1 devient ainsi incapable de se maintenir à l’état latent.

La théorie fut ensuite confirmée par la pratique. En infectant à nouveau des lapins (qui présentent une maladie comparable à celle des bovins) avec ce virus dit « délété », les chercheurs constatent que la maladie a disparu. « On ne détecte plus de génome viral dans leur sang ou leurs organes. » Bye-bye, la fièvre catarrhale maligne !

Mieux : Benjamin Dewals se rend compte que le micro-organisme infectieux ainsi génétiquement modifié est capable d’aller induire une réponse immunitaire. « Différentes expériences menées ont démontré que ce virus était toujours capable de se répliquer dans les muqueuses nasales dès les premiers jours de l’infection, tout comme un virus virulent. C’est seulement après qu’on ne le retrouve plus. Cela signifie qu’il possède les capacités d’induire une réponse antivirale efficace. »

Délétion ORF73

Place à une dernière expérimentation, pour s’assurer que cette immunité est bel et bien protectrice et pas uniquement de façade. Des lapins furent tout d'abord infectés avec le virus dépourvu d’ORF73 afin d'induire une protection anti-virale. Un mois plus tard, ces lapins ont soumis à une deuxième infection, virulente cette fois. Verdict ? Tous ont survécu !

Sans véritablement en avoir l’intention, Benjamin Dewals a donc fini par concevoir un vaccin. La prochaine étape sera de répéter ces tests sur des vaches, cette fois, afin de vérifier que les résultats se confirment bel et bien. « En tout cas, c’est déjà prometteur ! »

Une histoire de (gros) sous

Reste à savoir si cette immunisation pourra un jour protéger les troupeaux des éleveurs Massaï. « Pour en arriver là, il faudrait trouver une firme pharmaceutique qui accepterait de financer l’enregistrement et la production du vaccin. Le problème, c’est que les personnes susceptibles d’acheter ce vaccin vivent dans des régions précarisées. Or il est déjà difficile de mettre au point un traitement contre la malaria en grande partie pour ces mêmes raisons. Le coût-bénéfice ne sera sans doute pas suffisant pour justifier une commercialisation. Des organisations gouvernementales décideront peut-être d’assumer le financement. Par contre, les éleveurs d’Afrique australe pratiquant le « game faming » pourraient être intéressés par la commercialisation d’un tel vaccin. Mais ceci reste à l’étude… »

L’étude liégeoise est loin d’être vaine pour autant. L’AlHV-1 fait partie des gamma herpèsvirus, une famille qui abrite certains virus pouvant s’attaquer à l’homme, comme celui du sarcome de Kaposi (un cancer qui provoque des tumeurs cutanées et qui se développe principalement chez les personnes porteuses du HIV) ou celui d’Epstein-Barr (responsable de la mononucléose infectieuse). Tous possèdent une même caractéristique : l’induction de lymphomes.  « Ils partagent beaucoup de gènes et sont très proches au niveau de leur génome. On pourrait par conséquent tenter d’établir des parallélismes entre ce que l’on observe chez l’animal et chez l’homme. »

Des points communs pourraient de plus être trouvés avec l’herpèsvirus ovin 2 (OvHV 2), un autre cousin germain présent cette fois chez le mouton et qui provoque la fièvre catarrhale maligne chez les bovins et autres ruminants, en particulier chez les bisons aux États-Unis. « Ils sont tellement proches que l’on pourrait imaginer que le vaccin puisse aussi fonctionner dans ce cas », poursuit Benjamin Dewals, qui a déjà noué des contacts sur ce sujet avec le docteur Hong Li, de l’Université de l’état de Washington. 

Il faudra par ailleurs s’assurer qu’un éventuel vaccin ne déclencherait pas plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. En permettant par exemple un accroissement démesuré des bovins des Massaï, ce qui empièterait sur l’écosystème des gnous. « Mais je ne le crois pas, avance le chercheur. Je pense que cela permettrait simplement une meilleure valorisation de leur bétail. Ce qui est important non seulement pour le commerce de la viande et du lait, mais également au niveau social, car posséder un cheptel est essentiel pour ces populations pastorales. »
Gnous
Enfin, il ne faut pas oublier que la situation actuelle confère au gnou un double avantage. Non seulement l’AlHV-1 répand la mort autour de lui et « élimine » les compétiteurs qui visent la même denrée rare, l’herbe ; mais il fournit également des proies faciles aux grands carnivores, qui finissent par se désintéresser du troupeau migrateur. D’autant que la fièvre catarrhale maligne ne laisse pas le temps de maigrir à ceux qui la contractent. Voilà dès lors un repas bien gras servi aux lions, hyènes et léopards sans que ceux-ci ne doivent nullement se fatiguer. L’herpèsvirus alcélaphin 1 est décidément un bien drôle d’oiseau…

(1) Palmeira L., Sorel O., B.G.Dewals et al., An essential role for γ-herpesvirus latency-associated nuclear antigen homolog in an acute lymphoproliferative disease of cattle, PNAS, May 2013, Vol. 110, n°21


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