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Les laissés pour compte de la Gécamines
18/07/2013

ex agent GecaminesLes agents de la Gécamines constituaient une sorte d’aristocratie ouvrière, enviée par le reste de la population. Après l’ODV qu’ils ont subie, seule une petite minorité d’entre eux a pu se reclasser professionnellement. Les autres ont eu beaucoup de mal à prendre le train de la « débrouille » en marche. Avec l’aide de deux syndicats congolais, ils ont donc  constitué un « Collectif des ex-agents de la Gécamines » pour dénoncer leur abandon par l’Etat congolais et pour réclamer – en vain, jusqu’à présent,  l’intégralité de leurs arriérés de salaires.

Dans leurs incessantes requêtes auprès de la Banque mondiale, les « anciens » de la Gécamines comparent même leur sort à un « suicide collectif imposé et programmé » (Collectif, 19 février 2009). La paupérisation qui les frappe se traduirait par la malnutrition, les divorces, la déscolarisation des enfants, la délinquance des garçons, la prostitution des filles, l’augmentation des taux de morbidité et de mortalité… « Difficile d’évaluer la pertinence des chiffres avancés, vu l’absence de statistiques avant et après l’ODV en question », note Rubbers. « Il n’empêche. Dans les entretiens que j’ai eus avec eux, ils sont fréquemment revenus sur leur difficulté à nourrir, à soigner et à scolariser leurs enfants et, partant, à se faire respecter de ces derniers. Tout ce qui faisait pour eux l’intérêt de l’existence du temps où ils travaillaient pour le compte de l’Union minière, puis de la Gécamines, leur a été enlevé ».

Dans les chapitres suivants de son livre, Benjamin Rubbers s’attarde sur l’action de ce Collectif et sur les difficultés de réinsertion de ses membres. Il s’intéresse également à l’évolution de leurs liens sociaux et de leurs relations intra-familiales, mais aussi aux bouleversements qu’ils ont connus dans leur vie quotidienne.

Paternalisme industriel

Pour les experts de la Banque mondiale, la majorité des « anciens » de la Gécamines a réussi à retrouver une « activité de survie ». S’ils en sont mécontents, considèrent-ils, c’est leur âge avancé qu’il faut incriminer, ou encore la mauvaise gestion des dirigeants congolais dans le passé et… la politique paternaliste de l’entreprise !

« Dans leur perspective néolibérale, souligne Benjamin Rubbers, la Banque mondiale et les multinationales qu’elle a puissamment contribué à faire revenir au Congo tiennent volontiers un discours très critique envers le paternalisme de la Gécamines qu’elles jugent coûteux, inefficient, contre-productif et responsable des attentes exorbitantes dont elles – et non l’Etat - sont l’objet dans le chef de la population ».

La notion même de « paternalisme industriel » - et sa subjectivation par les ouvriers de la grande entreprise minière et métallurgique, tel est bien le fil conducteur du présent ouvrage.

Cette politique managériale, qui avait vu le jour dès la fin du XIXè siècle dans les bassins houillers et sidérurgiques de Wallonie, du nord de la France ou de la Ruhr, a également été appliquée à grande échelle dans l’entreprise coloniale. A l’Union Minière du Haut Katanga, elle fut mise en œuvre dès 1926, pour stabiliser et contrôler la main-d’œuvre à proximité du lieu de travail, en prenant en charge les divers aspects de la vie quotidienne des ouvriers et de leur famille : de la construction de maisons, d’écoles, d’infrastructures sportives… au financement d’œuvres sociales, en passant par la mise en place de services de soins de santé. Il s’agissait aussi d’éduquer les travailleurs aux valeurs de l’entreprise (travail, hiérarchie, etc.), de les « moraliser » et d’éviter ainsi tout arrêt de travail. L’entreprise prenait l’ouvrier par la main au point que les intérêts de l’une et de l’autre paraissent mêlés.

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