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Les laissés pour compte de la Gécamines
18/07/2013

Le naufrage d’un empire

Dans les deux premiers chapitres de son livre, Benjamin Rubbers s’attache d’abord à resituer la portée historique de la réforme du secteur minier katangais promue par la Banque mondiale. Il examine les raisons du déclin de la Gécamines puis décrit en profondeur la trajectoire des différents acteurs qui ont joué un rôle dans sa privatisation et la libéralisation du secteur minier.

« Au Katanga, souligne le chercheur, la privatisation du secteur minier n’a pas eu lieu suite au déclin de la Gécamines. L’une et l’autre furent deux processus étroitement liés. Bien sûr, c’est l’imposition de mesures néolibérales par la Banque mondiale qui a permis l’ouverture du secteur minier katangais aux compagnies étrangères. Mais la responsabilité des hommes politiques et des hauts fonctionnaires congolais ne peut être occultée. Pour tirer des bénéfices de cette entreprise, ils ont pu compter sur la complicité des acteurs économiques locaux, qui ont contribué à la dépouiller de ses ressources, puis à attirer des investisseurs dans le cadre de partenariats public/privé souvent opaques ».

La transition du secteur minier katangais vers une « nouvelle forme de capitalisme » s’est caractérisée aussi bien par l’apparition de nouvelles compagnies minières que par l’essor du commerce des minerais extraits par des milliers, voire des dizaines de milliers de creuseurs indépendants. « Très différentes par nature, ces deux filières, l’industrielle et l’artisanale, étaient pourtant étroitement liées », précise Rubbers. En fonction des opportunités, les détenteurs de capitaux (entreprises, hommes d’affaires locaux, etc.) ont pu à la fois utiliser des machines et employer des creuseurs, traiter les minerais et les exporter à l’état brut, vendre leur production à de grandes compagnies et à des petits intermédiaires. Et le chercheur d’ajouter : « si la Gécamines occupe aujourd’hui encore quelque 12.000 personnes, son endettement reste colossal et sa gestion totalement inféodée à la présidence de la RDC. On ne sait pas où partent ses bénéfices » !

Au vu des revirements politiques qui ont ponctué l’histoire du pays et de la mobilité des capitaux miniers dans le secteur minier à l’échelle mondiale, bien malin en tout cas qui pourrait dire aujourd’hui comment évoluera le destin industriel du Katanga.

« L’afflux des investisseurs étrangers a surtout profité au régime Kabila, dont l’avenir politique reste incertain, relève Benjamin Rubbers, mais très peu à la population du Katanga. L’exploitation minière est en pleine expansion, mais cela ne crée guère d’emplois locaux, les inégalités se creusent et il y a beaucoup de laissés-pour-compte ». Au premier rang desquels, les 10.000 licenciés de la Gécamines…

Cette mise en perspective est particulièrement éclairante. Elle permet de mieux comprendre la consternation des Congolais face au naufrage de cet empire industriel  qu’était la Gécamines et qu’ils croyaient éternel. De ce point de vue, l’ODV de 2003-2004 ne fut pas seulement un drame social pour les travailleurs licenciés, mais également le symbole de la fin d’une époque, celle du paternalisme industriel hérité de la colonisation.

Camp ouvrier Panda

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