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Traitements anti-cancer : pourquoi mTor est décevant

26/06/2013

Protéine impliquée dans la croissance et la prolifération cellulaire, mTor semble être une cible de choix pour un traitement anti-cancer. Pourtant, divers tests visant à inhiber mTor ont montré des résultats décevants. Pourquoi ? L’étude à laquelle a participé Françoise Remacle explique cette absence d’inhibition : la pression en oxygène est fortement réduite dans la plupart des tumeurs solides qui sont dans un état d’hypoxie par rapport aux cellules normales pour lesquelles la pression est 21% (normoxie). Quand la pression en oxygène est réduite à des taux très faible, entre 1,5 et 2%,  les inhibiteurs de mTor ne sont pas efficaces. Une approche originale, basée sur des concepts de chimie physique, a été publiée dans la revue PNAS.

En 2008, le nombre de personnes décédées des suites d’un cancer s’élevait à 7,6 millions, faisant de cette maladie la cause d’environ 13% des décès dans le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce chiffre devrait grimper et atteindre 13,1 millions d’ici 2030… Si la recherche permet de dépister et de traiter de mieux en mieux les différents types de cancers, la bataille est loin d’être gagnée et la course aux traitements anti-cancer continue de plus belle. Dans cette course, le point de départ est d’identifier des cibles thérapeutiques potentielles, c’est-à-dire des molécules que l’on peut inhiber ou stimuler afin de freiner ou stopper le processus cancéreux.

Parmi les nombreuses cibles pointées par les scientifiques, la protéine mTor (pour « mammalian Target Of Rapamycin ») semble particulièrement intéressante au vu des critères qu’elle rassemble et pourrait constituer une candidate de choix pour de futurs traitements anti-cancers.

Une cible de choix pour combattre le cancer

L’étude de mTor a permis de démontrer son implication dans de nombreuses voies de signalisation dont des voies connues pour être dérégulées dans les cellules cancéreuses. En effet, mTor intervient entre autre dans la prolifération et la croissance cellulaire, dans l’angiogenèse tumorale, dans le métabolisme des cellules, etc. Ces processus cellulaires étant exacerbés en cas de cancer, de nombreux scientifiques ont pensé qu’inhiber mTor pourrait permettre d’éviter qu’une tumeur grandisse et s’étende. Ainsi, différentes équipes de chercheurs ont lancé des études visant à tester l’effet d’inhibiteurs de mTor sur la progression de divers types de tumeurs. « Mais, bien que mTor semblait être une cible de choix sur papier, une grande partie de ces tests se sont montrés décevants. La réponse de mTor aux inhibiteurs n’est pas bonne », explique Françoise Remacle, Directrice de recherche du FNRS et directrice du laboratoire de chimie physique théorique de l’Université de Liège. Pourquoi ? La question était restée en suspens jusqu’ici. C’est grâce à une approche originale basée sur des concepts de la chimie physique que Françoise Remacle, en collaboration avec des chercheurs de l’Université Hébraïque de Jérusalem, de l’Institut des Technologies de Californie et de l’Université de Californie à Los Angeles, a levé le voile sur ce mystère.

voies signalisation mTor

De la chimie physique aux systèmes biologiques

Les principales activités de recherche de Françoise Remacle portent sur la logique moléculaire (lire Les molécules ont leur logique) et, « relèvent du domaine de la chimie physique pure et dure, comme par exemple la simulation de la réponse de molécules à des pulses à laser très intenses et très courts », indique la scientifique. « Je travaille beaucoup sur la mise au point d’opérations logiques à l’échelle moléculaire en ciblant et contrôlant la réponse de molécules à des perturbations qui sont soit des pulses de photons, soit des pulses électriques. C’est vraiment le corps de mes activités et dans ce contexte je coordonne le projet européen MULTI, après avoir déjà coordonné deux autres projets européens dans ce domaine, MOLDYNLOGIC et MOLOC. Je fais aussi partie du projet européen TOLOP, coordonné par HITACHI dont le but est d’appliquer ces concepts dans des architectures de type CMOS », précise-t-elle. À côté de cela, Françoise Remacle développe petit à petit un autre volet de recherche : l’étude de transitions de phases dans des systèmes biologiques. «Je suis en contact avec James Heath de l’Institut des Technologies de Californie depuis une vingtaine d’années et on a déjà identifié ensemble des transitions de phases dans des systèmes physico-chimiques, comme des super réseaux de plots quantiques métalliques. C’était assez naturel pour moi de continuer à collaborer avec lui en utilisant le même genre de concepts mais appliqués à des systèmes très différents et de voir jusqu’où ces concepts sont pertinents et permettent d’expliquer la réponse de systèmes plus complexes », poursuit la chercheuse. L’idée est donc de caractériser la réponse de systèmes biologiques à des perturbations en utilisant des concepts de la chimie physique et de thermodynamique, très différents des méthodes d’analyse statistique habituellement utilisées en biochimie et médecine.

Un point d’équilibre entre deux phases

Mais qu’est ce qu’une transition de phase ? « Il y a par exemple une transition de phase entre l’eau liquide et la glace », explique Françoise Remacle. « Et lorsqu’on est à l’équilibre où l’eau et la glace coexistent, on ne peut changer la température, même si on fournit de l’énergie au système. La température restera à 0°C aussi longtemps qu’il y aura à la fois de la glace et de l’eau », précise la scientifique. Il s’agit donc d’un point ou d’une valeur très particulière, dans un système qui comporte plusieurs phases, à laquelle fournir de l’énergie au système n’engendre aucune réponse de ce dernier. « C’est ce que nous avons identifié dans la réponse de la voie de signalisation de mTor », précise Françoise Remacle. En regardant de plus près la réponse de mTor à des variations de pression en oxygène au niveau des cellules, les chercheurs ont mis en évidence une plage, située entre 1,5% et 2% de pression en oxygène, dans laquelle il est impossible d’inhiber l’activité de mTor. De plus, ils ont montré que l’hypoxie, c’est-à-dire une quantité réduite d’oxygène distribuée par le sang aux tissus, affecte et altère la voie de signalisation de mTor. « Si la pression en oxygène est plus élevée que 2%, mTor est impliquée dans des voies de signalisation d’un certain type et lorsque la pression en oxygène est inférieure à 1,5% mTor intervient dans d’autres voies de signalisation », indique Françoise Remacle. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue PNAS (1).

Evolution valeurs propres

Pas suffisamment d’oxygène dans les tissus tumoraux

L’identification de cette transition de phase permet d’expliquer les résultats décevants obtenus au cours des tests visant à inhiber l’activité de mTor pour empêcher la progression de tumeurs. « La pression en oxygène est fortement réduite dans la plupart des tumeurs solides et si ces dernières présentent une pression en oxygène entre 1,5 et 2%, les inhibiteurs de mTor n’y sont pas efficaces », explique Françoise Remacle.

Pour mettre le doigt sur cette transition de phase, les chercheurs ont utilisé une technique de pointe, appelée « microchips », développée par James Heath. Cette technique permet d’analyser la réponse de la signalisation moléculaire de mTor pour des cellules uniques. « Dans des chambres d’un volume de l’ordre du nanolitre, vous pouvez mesurer la concentration en protéines qui sont secrétées au niveau d’une seule cellule », précise Françoise Remacle. « Sur base des données récoltées pour 1000 chambres par exemple, on peut ensuite construire un histogramme des concentrations mesurées. C’est très important pour pouvoir caractériser les voies de signalisation et comprendre les fluctuations de la réponse à un changement extérieur comme la pression en oxygène dans ce cas-ci », continue-t-elle. À partir de là, les scientifiques ont réalisé une matrice de covariance qui permet de décrire les interactions entre les différentes protéines mesurées. « En ayant fait ces mesures à différentes pression en oxygène, on peut identifier une pression en oxygène pour laquelle cette matrice a une valeur propre nulle et c’est l’endroit où il y a la transition de phase », indique Françoise Remacle. De plus, cette matrice fournit également des informations sur l’implication des protéines analysées dans différentes voies de signalisation.

Des résultats confirmés par des tests sur deux modèles

Ces analyses basées sur des concepts et des méthodes de la chimie physique ont donc permis de comprendre à quel moment l’activité de mTor « switch » d’une voie de signalisation à une autre et à quelles valeurs en pression d’oxygène cette protéine ne peut être inhibée. « Les résultats que nous avons obtenus ont été confirmés par des tests effectués sur deux types de modèles de cellules tumorales :  une culture d’une lignée de cellules GBM ( GlioBlastoma Multiform, un type de  cancer du cerveau) et une culture de cellules neurosphères issues d’une tumeur GBM d’origine humaine xénogreffée », poursuit Françoise Remacle.

Cette découverte pourrait avoir des retombées  sur les espoirs placés dans l’utilisation de mTor comme cible thérapeutique pour combattre le cancer. L’hypoxie observée dans de nombreuses tumeurs solides est liée à la vascularisation et à la densité des tissus. « Je ne crois pas que l’on puisse jouer sur la pression en oxygène au sein d’une tumeur pour tenter d’améliorer la réponse de mTor aux inhibiteurs », explique Françoise Remacle. « Il y a d’autres protéines prometteuses qui ont été identifiées comme cibles pour arrêter la progression des tumeurs. Il faudrait peut-être décider de cibler plutôt ces autres protéines », conclut Françoise Remacle.

(1) Wei Weia, Qihui Shia, Francoise Remacle, Lidong Qin, David B. Shackelford, Young Shik Shin, Paul S. Mischel, R. D. Levine, James R. Heath. « Hypoxia induces a phase transition within a kinase signaling network in cancer cells » in PNAS, 25/03/201. DOI : 10.1073. Abstract


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