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Une histoire du goût
15/04/2013

Animalité

Descartes et son obsession pour les idées claires y sont pour beaucoup. Trop terrestre, trop interne, trop lié au « corps-machine » dépourvu de raison, il ne pouvait que déplaire au philosophe et à ses disciples naturalistes. « Tout ce qui ne relevait pas des idées claires et distinctes – et dont les sens font partie – était évité. Puis ce sens renvoie à notre animalité. Il est difficilement contrôlable et peut facilement conduire à un débordement. Il est aussi trop intime : il est le seul qui permet à une partie du monde de pénétrer à l’intérieur du corps. »

Autre responsable attendue de cette mise au ban : la religion chrétienne. Qui, à force de prôner l’élévation de l’esprit et le détachement vis-à-vis de la matière, finira par considérer le goût comme trop terrestre voire inutile au développement de la pensée. Depuis le Moyen Âge, les saintes anorexiques ne pratiquaient-elles pas le jeûne pour se rapprocher de Dieu et ainsi devenir des âmes d’exception ?

Pour l’historienne, ces pratiques en disent long sur la culpabilisation religieuse qui entoure le goût. « On retrouve déjà des points communs avec l’anorexie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ces saintes voulaient se sentir maîtresses d’elles-mêmes, c’était un moyen pour elles de se donner du pouvoir et de s’opposer à leur famille ainsi qu’à leur hiérarchie. » Une hiérarchie – masculine – qui, déjà à l’époque, voyait ces comportements extrêmes d’un très mauvais œil, au point d’accuser celles qui s’y adonnaient d’être des sorcières ou des malades mentales. Mais certaines finirent par trouver une autre parade : puisqu’il fallait manger, autant anéantir toute notion de plaisir à la nourriture. Quitte à la mélanger avec de la terre ou des cendres. Culpabilisation, encore et toujours…

Gourmandise et gloutonnerie

Sans parler de la gourmandise (assimilée à la gloutonnerie) qui figure en bonne place parmi les sept péchés capitaux. « Même s’il n’a jamais été considéré comme le péché le plus grave, il est celui qui conditionnera tous les autres. Si on cède à celui-là, on cèdera à tous les autres. Icuisine-grassel faut aussi se replacer dans le contexte de l’époque, où la nourriture n’est pas toujours abondante. Quand on mange de trop, on prive forcément les autres... »

Avant l’avènement du christianisme, les hommes de l’Antiquité s’étaient montrés plus enclins à valoriser les plaisirs sensibles et corporels. « Mais la dévalorisation du goût existe bien avant la naissance de la religion chrétienne, notamment chez Platon. Plus que le christianisme, c’est le système philosophique du dualisme entre le corps et l’esprit, le sensible et l’intelligible, qui marque de manière profonde toute l’histoire de la pensée occidentale et qui contribue à discréditer le goût. »

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