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Les jeunes, la dépression... et le syndrome du Titanic
26/03/2013

Quand le "je" est déprimé

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Les jeunes non-déprimés utilisent le "je" suivi d'un subjectif : "je sais, je pense, je trouve, j'aime", mais, aussi, le "on" ou le "nous" dans lequel ils englobent d'autres personnes. Ils peuvent se projeter dans un futur conditionnel ("j'aimerais"). Ils insistent sur les facteurs qui ont contribué à construire leur identité, ils évoquent des groupes de personnes comme les parents, la famille, les amis. Ils abordent des thèmes concernant leurs loisirs ou leurs groupes d'appartenance.

Pour les déprimés, c'est une autre histoire ! Leur "je" est complété par être ou avoir à l'imparfait. Ils parlent de personnes seules (le père, la mère, le copain). Mais, entre les jeunes hospitalisés et les autres, à nouveau, on entend de grandes différences. Même s'ils évoquent le monde extérieur (avec des sorties, la ville, des gens), les propos des adolescents dépressifs scolarisés tournent largement autour de l'école. Et lorsqu'ils pensent à leur futur, c'est sur un plan professionnel.

Les jeunes hospitalisés, eux, contextualisent leur réponse en fonction de leur maladie dépressive, autour de laquelle ils se définissent. Leurs discours est caractérisé par la présence significative de l'expression : "j'ai l'impression", souvent suivie d'un sentiment de rejet, d'abandon, d'infériorité. Ces jeunes, qui rapportent le plus d'événements de vie négatifs, sont aussi ceux qui ont "le plus de mal à se décentrer d'un événement négatif, à prendre du recul, à voir les apports dans leur vie. Ils montrent des difficultés à rassembler leurs événements de vie dans un tout cohérent", note Aurore Boulard.

"Plusieurs points nous ont étonnés, poursuit la psychologue. Ainsi, lorsque l'adolescent va bien, il exprime que ses hobbies, c'est-à-dire ce qu'il a choisi de faire en dehors de ses choix parentaux, lui ont permis de devenir ce qu'il est. Les jeunes se définissent donc avant tout par ce qui relève de leurs propres choix." Ce paramètre est complètement absent chez les adolescents déprimés.

Les jeunes hospitalisés, au milieu des personnes isolées qu'ils évoquent dans leurs récits d'événements négatifs, souvent liés à la sphère familiale, se décrivent aussi comme très seuls. Quant à ceux qui restent scolarisés, ils polarisent leurs discours autour de l'aspect cognitif lié à l'école et autour de leurs événements de vie difficiles. En fait, dans la mesure où ils ne maîtrisent pas leur vie familiale (le divorce, la maladie...), ils misent tout sur l'école, comme le ferait un adulte qui se concentrerait sur son travail si sa vie privée battait de l'aile. Demain, pour eux, se résume à leur avenir professionnel. "Comme me l'a dit une jeune fille : 'J'ai choisi de faire la coiffure pour être indépendante dans 3 ans'", raconte Aurore Boulard.

Mais, quand on rencontre des difficultés personnelles et familiales importantes, il ne suffit pas de se focaliser sur l'école pour régler ses problèmes, bien au contraire. En effet, elle n'est pas forcément une planche de salut. "Les récits de vie confirment que l'école est stressante, souligne la psychologue. Des difficultés scolaires ou d'orientation ou de capacité à faire des études supérieures peuvent survenir. De plus, les résultats scolaires sont corrélés négativement avec l'humeur dépressive : la baisse des capacités de concentration, les problèmes de sommeil, les pertes d'intérêt ou le peu d'initiatives personnelles dues à la dépression ne favorisent pas les bons résultats..."

Le bien-être, à l'école, aussi

Cette thèse ouvre sur un grand nombre de réflexions ou même de pistes d'action. C'est le cas, par exemple, des conséquences que l'on peut tirer des résultats et de l'analyse des récits de vie des adolescents déprimés scolarisés. "L'angoisse de l'école est clairement présente chez eux, insiste la psychologue-clinicienne. Le corps enseignant pourrait être attentif à le percevoir et à se poser des questions. Un jeune qui cherche à être le meilleur le fait-il parce qu'il va mal? Se focalise-t-il uniquement sur ses études ? Ou bien continue-t-il à avoir des copains et à être bien avec eux ?"

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