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Les jeunes, la dépression... et le syndrome du Titanic
26/03/2013

Ni trop tôt ni trop tard

Cette deuxième étude a également mis en évidence l'importance du timing pubertaire perçu, un phénomène encore assez peu étudié par les psychologues. "Nous pressentions que le problème risquait de se situer autour de la difficulté à accepter ses différences par rapport aux autres", explique la psychologue. La question posée aux jeunes a donc concerné leur ressenti et leur manière de se positionner, sur ce thème de la puberté, par rapport aux autres.

Deux catégories de jeunes ont obtenu de hauts scores de dépression : ceux très en avance et ceux très en retard. "Quelle qu'elle soit, la déviation par rapport au groupe d'appartenance est très stressante", constate Aurore Boulard dans sa thèse. Ainsi, la puberté tardive entraîne l'exclusion du groupe de pairs de même sexe. Elle isole, tout en insécurisant le jeune par rapport à son physique. Elle lui donne aussi le sentiment d'être jugé, un point déterminant face à la dépression. Les filles qui déclarent être en retard sont aussi celles qui ont les plus hauts scores de dépression. Quant à la puberté précoce, elle s'avère tout aussi perturbante chez elles...

Une fois encore, les deux premières recherches se sont donc complétées : elles ont montré que pour la dépression sévère, les agressions verbales, le timing pubertaire perçu, et le jugement des autres qui en découle, entraînent, pour les filles et les garçons, les mêmes raisons de se sentir mal... 

Les mots des maux

En choisissant de s'intéresser aux parcours de vie, la troisième étude présentée dans cette thèse est réellement sortie des sentiers battus. Elle a été réalisée d'après les témoignages de 60 jeunes, répartis en groupe statistiquement représentatifs de 20, comprenant chacun 13 filles et 7 garçons. Ils ont été rencontrés en face à face pendant 50 minutes. A côté du groupe de ceux présentant un faible score aux échelles de dépression, un autre était composé d'adolescents dépressifs scolarisés et, le dernier, d'adolescents dépressifs hospitalisés en pédopsychiatrie pour un épisode dépressif majeur.

L'objectif de la psychologue était d'étudier et de comparer, en fonction des groupes, le contenu et la forme des ces différents récits, et de voir s'ils différaient en fonction du score de dépression. Afin d'y parvenir de la manière la plus scientifique possible, un logiciel a permis de classifier tant la syntaxe que l'utilisation et la répétition des mots. "Au-delà de tout courant de la psychologie et de toute interprétation pouvant être liée aux mots, le logiciel a donc fourni un matériel brut, pointu, qui objectivait les propos que l'on entend en provenance des adolescents", remarque Aurore Boulard.

La narration permet de donner un sens à l'expérience de développement identitaire, une des tâches psychosociales les plus importantes de l'adolescence. Elle dépasse le simple rapport d'événements, parce qu'elle est également porteuse d'émotions et qu'elle contribue à apporter du sens, pour les autres et pour soi. A travers son récit de vie, l'adolescent commence à reconstruire son passé, son présent tel qu'il le perçoit et (normalement) il anticipe son futur. Il livre donc une histoire qui fait sens pour lui ou pour les personnes auxquelles il s'adresse. En livrant ses histoires de vie, il dit aussi : "C'est de cette manière que je veux que vous me compreniez aujourd'hui."

Pour tous les jeunes, la seule question posée était celle-ci : "Qu'est-ce qui a fait que tu es devenu ce que tu es aujourd'hui?" Lorsque cette interrogation ne semblait pas assez claire à l'adolescent, elle était complétée sous cette forme : "Est-ce qu'il y a des événements positifs ou négatifs qui ont fait que tu es devenu ce que tu es aujourd'hui ?"

L'analyse des récits a montré que les jeunes déprimés prononcent moins de mots que les autres. Entre les adolescents déprimés scolarisés et ceux hospitalisés, on note également une grande différence entre les mots employés et les redondances du récit (plus fréquentes en cas d'hospitalisation). Les personnes hospitalisées mettent davantage de temps à commencer leur récit, font de plus longues pauses, parlent d'une voix plus basse, moins forte, et manifestent davantage d'émotions.

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