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Les jeunes, la dépression... et le syndrome du Titanic
26/03/2013

Dans sa thèse, Aurore Boulard présente et regroupe 3 recherches. Elles lui ont permis de mieux cerner la pathologie complexe qu'est la dépression, en particulier à l'adolescence. Elle a commencé par adapter, et par valider, des tests d'échelles de mesure de cette pathologie. Ils lui ont principalement permis de décrypter le vécu subjectif des adolescents par rapport à leur sphère sociale et plus intime. Elle a ainsi étudié l'influence de l'école - un lieu essentiel de socialisation-, mais, aussi, celle du groupe des pairs, car l'acceptation ou le rejet joue un rôle important sur la santé mentale du jeune. Les amitiés intimes ont également été investiguées. Positives, elles ont un effet sur l'estime de soi et l'adaptation sociale. Négatives, elles sont, principalement chez les filles, une source de stress, d'un haut niveau d'anxiété et de dépression. L'effet de la puberté et, surtout, du timing pubertaire perçu, ont également été observés en fonction de la perception du jeune d'être en retard ou en avance par rapport à ses pairs.

Le poids des agressions

L'école forme un tout, au sein duquel les influences des pairs, des adultes, du modèle de l'établissement (il peut être élitiste, par exemple) interagissent et influent sur le bien-être de l'adolescent. L'ensemble des facteurs impliqués - y compris les comportements de harcèlement- a été analysé par Aurore Boulard au sein d'un modèle complet utilisé pour sa première enquête sur "Le contexte social à l'école et ses liens avec la depressive mood" (l'humeur depressive). Ces résultats sont issus d’une recherche plus large sur la victimisation scolaire menée en 2003 en collaboration avec l’UCL dans 38 établissements scolaires des 3 filières de l'enseignement et auprès de 2896 étudiants de 12 à 18 ans. Ils ont répondu à un questionnaire de cinquante minutes.

La psychologue a ainsi pu confirmer que les scores de la dépression étaient 2 fois plus élevés chez les filles de 15 ans que chez les garçons. Elle a, également, mis en évidence des variables, prédicteurs de la dépression : le genre de l'adolescent, son âge, mais, aussi, la présence d'agressions verbales, d'un sentiment d'exclusion, ainsi que les résultats scolaires et, ce qui peut paraître étonnant - y compris, dans un premier temps, aux yeux des chercheurs -, les comportements prosociaux.

"Les adolescents les plus à haut risque de dépression ont tendance à rechercher le contact avec les autres, explique la psychologue. Ils sont toujours prêts à aider les autres ou se montrent attentifs à ce que tout le monde soit bien intégré. Plusieurs hypothèses permettent d'expliquer cette attitude. On peut tout d'abord penser qu'un jeune qui vit lui-même un phénomène d'exclusion, ou qui se sent mal intégré, est sans doute plus attentif ou plus sensible aux humeurs des autres. Il tente peut-être également de ne pas reproduire des comportements qui le blessent. De plus, lorsqu'un adolescent sent qu'il décroche du groupe de pairs, il essaie de s'y raccrocher à tout prix. Une sorte de comportement  de survie le pousse alors à être 'gentil' pour garder un lien social important, sinon vital, à cet âge."

Pourtant, ces comportements prosociaux sont loin de tout régler... au contraire. "Ces efforts pourraient être mal perçus et conduire à favoriser l'exclusion", prévient Aurore Boulard. Un autre facteur mérite d'être mis en parallèle avec ce premier constat : celui du poids des amitiés intimes (investiguées dans la deuxième recherche). Quel que soit l'âge, le fait de ne pas avoir de meilleur ami du même sexe que soi (et ce, même lorsque l'on a un ou des amis intimes de l'autre genre) est hautement corrélé avec le sentiment dépressif. Dans ce contexte, il est également important d'appréhender l'attitude de l'adolescent -et surtout, de l'adolescente- qui compte un grand ami intime. "Les filles, en particulier, risquent d'être en demande d'une relation forte et exclusive. En fait, elles se raccrochent à cette amie, qui les empêche de 'décrocher'. Si cette relation craque, ou si elle ne correspond pas à leurs exigences, souvent élevées, le risque s'accroît de plonger dans une dépression susceptible de mener à une hospitalisation...", signale la psychologue.

Autre élément peu connu et mis en évidence dans cette première recherche d'Aurore Boulard, celui des effets des agressions verbales sur l'augmentation de l'humeur dépressive, et son impact sur les facteurs pouvant mener à la dépression grave. "Les jeunes n'aiment pas faire état de paroles blessantes dont ils font l'objet, pas plus qu'ils ne s'expriment, en général, lorsqu'ils se sentent exclus du groupe. Très souvent, les agressions verbales ne sont pas repérées par les enseignants ou par le personnel scolaire, ne serait-ce que parce qu'il est difficile de s'en rendre compte lorsque l'on passe seulement quelques heures, réparties sur une semaine, avec les jeunes. En pratique, ce phénomène est donc minimisé par les adolescents et par les professeurs", constate-t-elle.

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