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Les jeunes, la dépression... et le syndrome du Titanic
26/03/2013

En réalisant 3 études passionnantes qui se complètent et se répondent, Aurore Boulard a permis de mettre en musique, avec des sons originaux, les facteurs et les contextes qui mènent les adolescents vers la dépression. Une manière, aussi, de mieux (re)connaître des indicateurs inquiétants et de cesser de  regarder couler les jeunes ? Sans doute faudrait-il ouvrir davantage l'enseignement à la notion de bien-être, encore absente des préoccupations concernant nos adolescents à l'école. Pourtant, certains d'entre eux y sont harcelés, ou vivent des situations difficiles sans pouvoir, comme un adulte, se projeter dans le futur en modifiant leur présent. "De manière institutionnelle, et en collaboration avec des enseignants, il devrait être possible de s'interroger sur la manière de vivre ensemble à l'école", assure Aurore Boulard. Qui suggère donc de créer, en secondaires, des groupes de paroles à fréquence régulière.

Il y a, autour du thème de la dépression de l'adolescent, trop d'airs qui sonnent faux et empêchent d'entendre. Dans sa thèse : "De l'humeur dépressive à la dépression chez l'adolescent : Statistiques et narrativité" (1), Aurore Boulard, assistante à l’Université de Liège et psychologue à la Clinique Psychologique et Logopédique Universitaire, a pris une baguette de chef d'orchestre pour faire comprendre le fond et les formes de la dépression chez les adolescents. Du coup, elle met en évidence des indicateurs importants, jusqu'alors souvent méconnus ou sous-estimés chez les jeunes dépressifs. En revisitant l'importance des pairs, de l'amitié intime, de l'exclusion, de la violence verbale mais, aussi, le rôle des parents, celui de l'âge de la puberté ou ce que révèlent les récits de vie et le vocabulaire employé par les jeunes, Aurore Boulard projette une nouvelle lumière sur ce phénomène. De quoi, au final, le considérer d'une toute autre manière...

On estime que de 5 à 7 % des adolescents connaissent un épisode dépressif majeur (EDM). Les filles sont deux fois plus touchées que les garçons par ces dépressions qui, dans les deux tiers des cas, ne sont pas médicalement soignées, rappelle la psychologue. Le risque ? Voir se développer des troubles du caractère, des échecs scolaires, des dépendances, des conduites suicidaires : dans les 3 ans qui suivent le diagnostic d'EDM, 70 % des jeunes font une tentative de suicide. Non traitée, la dépression peut, aussi, devenir récurrente et chronique à l'âge adulte. Elle se présente alors sous une forme plus sévère et plus invalidante que lors du développement d'une dépression plus tardive. Pourtant, la dépression reste peu diagnostiquée pendant l'adolescence. Et pour cause : face à elle, souvent, on se trompe de symptômes.

Tout faux, ou presque

"Comme le dit le Pr Jean Dumas (Université de Genève, en Suisse), pour poser un diagnostic chez les jeunes, on effectue, à tort, presqu'un copié-collé des symptômes de la dépression chez l'adulte, rappelle Aurore Boulard. Or, chez eux, elle n'a pas les mêmes expressions ni les mêmes manifestations." A cette étiquette falsifiée dès le départ, s'ajoute un autre facteur : il existe une idée répandue selon laquelle les adolescents font une crise qui les pousse à broyer du noir, à ne plus avertir de leurs sorties, à ne plus adresser la parole à leurs parents, à fuguer, etc. Souvent, on considère aussi qu'il ne s'agit que d'une passade qui cessera à la fin de la crise. "Bien sûr, nul ne peut nier que le jeune teste ses limites et celles de son entourage ou qu'il traverse des sensations de haut et de bas. Mais ce constat ne permet pas d'oublier qu'il existe, aussi, une pathologie plus lourde qui ne doit pas être confondue avec le mal de vivre de l'adolescent", souligne la psychologue.

Ado-suicide-©foruforever"Mieux considérer certains indicateurs - une chute des résultats scolaires y figure en bonne place - pourrait justement nous permettre de mieux faire la différence. De même, il faudrait être davantage averti du fait que, chez les jeunes, les symptômes de la dépression varient avec l'âge. Ce n'est que progressivement qu'ils se rapprochent de ceux des adultes. Vers 12 ans, ces symptômes s'expriment principalement par un ensemble de plaintes somatiques. Vers 14-15 ans, c'est l'irritabilité qui domine. Vers 18 ans, elle fait place à la tristesse et aux tentatives de suicide", précise-t-elle. Peu d'adolescents expriment donc clairement une plainte de nature dépressive. En revanche, ils vivent un ensemble de symptômes hétérogènes, souvent dépendants les uns des autres, alors qu'une série de facteurs de risques finissent par se conjuguer pour les mener à la dépression.

(1) Thèse de doctorat soutenue le 14 décembre 2012 devant un jury composé des Prs Jean-Marie Gauthier (promoteur), Michel Born (ULg), Etienne Quertemont (ULg), Luc Goossens (KUL) et Jean Dumas (Université de Genève).

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