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Mieux comprendre la surdité

22/03/2013

Pour que l’audition soit optimale, les cellules ciliées situées dans l’oreille interne et les neurones du ganglion spiral, premiers relais nerveux de l’audition vers le système nerveux central, doivent être correctement connectés les uns aux autres. Si ce n’est pas le cas, la transduction du son dans le cerveau est affectée et, pire, s’il n’y a pas de connexion entre ces deux types cellulaires, il n’ y a pas d’audition du tout. Mais il existe deux types de cellules ciliées et de neurones du ganglion spiral et ils ne peuvent s’assembler au hasard : les cellules ciliées internes s’associent aux neurones de type 1 tandis que les cellules ciliées externes se connectent aux neurones de type 2. Une équipe de chercheurs de l’Unité de recherche Neurobiologie du développement du GIGA de l’Université de Liège, dirigée par Brigitte Malgrange, a établi que les cellules ciliées externes émettent un message de sorte qu’elles repoussent les prolongements neuronaux de type 1 afin que ceux-ci puissent atteindre leurs cibles, à savoir les cellules ciliées internes ! Une découverte majeure sur le chemin de la restauration de l’audition, publiée dans Nature Communications.

Pour la plupart d’entre nous, entendre est aussi naturel que respirer. Inconsciemment, à chaque seconde de notre vie, les sons qui nous entourent sont transmis au cerveau et nous informent sur notre environnement, nous permettent d’y réagir, de communiquer ou même de nous relaxer. Aussi simple et naturelle que l’audition puisse paraître, elle peut faire défaut. Selon les chiffres de la Fédération Francophone des Sourds de Belgique (FFSB), quelque 400.000 personnes seraient sourdes ou malentendantes dans notre pays et 40.000 d’entre elles seraient atteintes de surdité profonde. L’Europe, quant à elle, compterait 15 millions de sourds et malentendants. L’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) de son côté estime qu’une déficience auditive profonde est dépistée chez un nouveau-né sur mille au cours de la première année de vie et qu’un enfant sur mille supplémentaire est dépisté au cours de sa seconde année de vie.

Au sein de l’Unité de recherche Neurobiologie du développement du GIGA, dirigée par Brigitte Malgrange, les chercheurs tentent de comprendre le développement de la portion auditive de l’oreille interne. « Nous voudrions notamment comprendre pourquoi les cellules de l’oreille interne ne se régénèrent pas après avoir été détruites », précise la Directrice de Recherches FNRS. (lire l’article « Les mystères de l’oreille cassée»)

Le passage du son au système nerveux central

implant-organe-CortiAprès être entré par le pavillon de l’oreille et avoir traversé la chaîne des osselets au niveau de l’oreille moyenne, le son est transmis à la portion auditive de l’oreille interne. « Cette portion porte le nom d’organe de Corti et contient entre autres les cellules ciliées. Les stéréocils qui sont à la surface de ces cellules vibrent au moment où le son leur parvient. Cela provoque une entrée de potassium et de calcium dans les cellules ciliées et ces modifications engendrent à leur tour la création d’un courant », explique Brigitte Malgrange. Le courant ainsi créé se propage et est transmis aux neurones du ganglion spiral, également situés dans l’oreille interne. « Ces neurones sont fondamentaux car ils constituent le premier relais nerveux de l’audition vers le système nerveux central », précise Brigitte Malgrange. Pour que l’audition soit optimale, les cellules ciliées et les neurones du ganglion spiral doivent être correctement connectés les uns aux autres. Si ce n’est pas le cas, la transduction du son dans le cerveau est affectée et, pire, s’il n’ y a pas de connexion entre ces deux types cellulaires, il n’ y a pas d’audition du tout.

image-confocale« Les cellules ciliées et les neurones du ganglions spiral ne se régénèrent pas après destruction. Et les implants cchléaires, qui sont le seul moyen dont on dispose jusqu’à présent pour essayer de restaurer une partie de l’audition dans le cas de certaines surdités, ne fonctionnent que si au moins une partie des connexions entre ces cellules est établie », indique la scientifique. Très spécifiques, ces connexions se font au moment du développement embryonnaire. Il existe deux types de cellules ciliées et de neurones du ganglion spinal et ils ne peuvent s’assembler au hasard. Les cellules ciliées internes s’associent aux neurones de type 1 tandis que les cellules ciliées externes se connectent aux neurones de type 2. « Les cellules ciliées internes sont celles qui transmettent le son alors que leurs homologues externes agissent plutôt comme des adaptateurs de fréquence », précise Brigitte Malgrange. La connexion la plus importante pour la fonction auditive est donc celle qui se fait entre les cellules ciliées internes et les neurones du ganglion spiral de type 1.

Quand les couples cellules ciliées-neurones se forment

C’est sur ces connexions que s’est focalisé Jean Defourny dans le cadre de sa thèse de doctorat au sein de l’Unité de recherche Neurobiologie du développement. « Les deux types de neurones du ganglion spiral émettent des prolongements qui cheminent pour aller trouver spécifiquement les cellules ciliées auxquelles ils doivent se connecter », reprend Brigitte Malgrange.  « Nous nous sommes intéressés aux protéines qui permettent à chaque type de neurone de trouver les bonnes cellules ciliées ».

Au milieu des années 90, une équipe de chercheurs suédois avait identifié des protéines, sécrétées par les cellules ciliées, qui attiraient les prolongements des neurones. « C’est ce qu’on appelle la chemo-attraction. Les scientifiques pensaient alors que chaque type de cellule ciliée produisait une neurotrophine différente. Mais dans le courant des années 2000,  on s’est rendu compte que cela n’était pas aussi simple car on pouvait remplacer une neurotrophine par l’autre sans que cela ne change quoique ce soit au niveau des connexions neurones-cellules ciliées », poursuit Brigitte Malgrange.

C’est dans ce contexte que les chercheurs liégeois ont pensé qu’il y aurait peut-être également des molécules dont le rôle était de repousser les prolongements neuronaux. Car pour atteindre les cellules ciliées internes, les neurites doivent dépasser les cellules ciliées externes. « Notre idée était qu’il y avait peut-être un message au niveau des cellules ciliées externes de sorte qu’elles repoussent les prolongements neuronaux de types 1 afin qu’ils puissent atteindre leurs cibles », précise Brigitte Malgrange.

Se repousser pour mieux se connecter

Pour explorer l’idée d’une chemo-répulsion, Jean Defourny et Brigitte Malgrange ont décidé de regarder le patron d’expression de deux types de protéines : les Ephrines et leurs récepteurs Eph. « Il existe une vingtaine d’Ephrines et une dizaine de récepteurs Eph. Nous nous sommes focalisés sur les protéines qui avaient un patron d’expression complémentaire au niveau de l’oreille interne. C’est-à-dire celles pour lesquelles l’Ephrine était exprimée dans les cellules ciliées externes et son récepteur dans les neurones du ganglion spiral de type 1 », indique Brigitte Malgrange. C’est ainsi qu’ils se sont rendus compte que l’Ephrine A5 est exclusivement exprimée dans les cellules ciliées externes alors que le récepteur EphA4 auquel cette protéine se lie est situé spécifiquement dans les neurones de type 1. « Lorsque l’Ephrine A5 se fixe sur le récepteur EphA4, cela engendre la répulsion des prolongements des neurones de type 1 », révèle la chercheuse. Ces résultats publiés dans la revue Nature Communications (1) sont les premiers à démontrer l’existence d’une chemo-répulsion des neurites par les Ephrines au niveau de l’oreille interne.

Les chercheurs ont vérifié leur hypothèse de départ grâce à une série d’expériences et notamment grâce à l’utilisation de souris invalidées pour l’une et l’autre des deux protéines. « Une lignée de souris n’exprimait pas l’Ephrine A5 et l’autre lignée était dépourvue de EphA4. Dans les deux cas notre hypothèse s’est avérée correcte », précise Brigitte Malgrange.

Une piste pour restaurer l’audition

image-confocale-E15.5Encore au stade de recherche fondamentale, cette découverte pourrait néanmoins, à long terme permettre, des applications visant à restaurer l’audition des personnes atteintes de surdité. « Si on comprend comment le développement de la fonction auditive se déroule, on pourrait tenter de restaurer les connexions entres les cellules ciliées et les neurones du ganglion spiral. Suite à nos travaux, on sait maintenant comment il est possible d’empêcher les neurones de type 1 de se connecter aux cellules ciliées externes », explique la directrice de l’Unité de recherche Neurobiologie du développement du GIGA.

Dans un futur proche, Brigitte Malgrange et son équipe aimeraient mieux comprendre ce qui se passe au niveau des connexions cellules ciliées-neurones elles-mêmes. « Ici nous avons montré à une échelle un peu grossière que quand on enlève la protéine Ephrine A5 ou EphA4, la souris présente d’importants troubles de l’audition. Nous aimerions maintenant analyser ce qui se passe directement dans la cellule ciliée interne par rapport à la neurotransmission», précise la scientifique. Lors de la neurotransmission, la cellule ciliée libère un neurotransmetteur, le glutamate, qui va se lier aux récepteurs situés sur les prolongements des neurones. « Nous voudrions voir si l’absence d’Ephrine A5 ou d’Eph4 affecte directement cette neurotransmission », indique Brigitte Malgrange. De plus, cette dernière voudrait également investiguer si d’autres molécules, connues pour avoir des propriétés de répulsion, pourraient également jouer un rôle dans l’établissement des connexions cellules ciliées-neurones du ganglion spiral.

(1) Defourny J, Poirrier AL, Lallemend F, Mateo Sánchez S, Neef J, Vanderhaeghen P, Soriano E, Peuckert C, Kullander K, Fritzsch B, Nguyen L, Moonen G, Moser T, Malgrange B. Ephrin-A5/EphA4 signalling controls specific afferent targeting to cochlear hair cells. Nat Commun 2013 Feb 5.:1438.


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