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L’ethnicité, la mal-aimée des sciences sociales
07/03/2013

Ce courant de pensée estime que les individus agissent par népotisme, en faisant tout pour favoriser les êtres porteurs des mêmes gênes afin de satisfaire leur propre intérêt reproductif. Ce qui les obligerait malgré tout, dans certains cas, à entrer dans un processus de réciprocité, c’est-à-dire d’être contraints à collaborer avec des êtres génétiquement différents toujours dans le but de privilégier l’intérêt personnel. Pour éviter que ces collaborations ne soient trop instables, un processus de coercition devrait s’installer. Selon Pierre van den Berghe, tout un chacun serait donc naturellement raciste.

Une histoire de frontières

Le monde académique européen a (heureusement) vu émerger d’autres penseurs moins contestés. Comme Jocelyne Streiff-Fenart, Philippe Poutignat ou encore Fredrik Barth.  Ce Norvégien est souvent considéré comme celui qui a révolutionné l’étude de l’ethnicité. Rompant avec les théories primordialistes et substantialistes qui dominaient le paysage des sciences sociales durant les années soixante et septante, il va imposer une approche basée sur les frontières.

Selon lui, les groupes ethniques relèvent moins de la culture que de l’organisation sociale. La culture ne serait pas l’ « ingrédient » qui lie les identités mais plutôt une conséquence de la mise en place et de la reproduction de frontières (symboliques et sociales) entre différents groupes. Il ne faudrait par ailleurs pas oublier que les identités ne sont pas immuables mais évoluent en fonction du contexte social, et qu’elles n’existent que si elles ont été reconnues par la collectivité. Enfin, Barth entend porter une attention particulière au rôle des leaders, qui peuvent poursuivre des objectifs bien différents de ceux portés par le groupe.

Si cette théorie fut considérée comme majeure, elle n’en fut pas moins critiquée pour certains de ses manquements, comme l’analyse du rôle de l’État comme acteur limitant les choix individuels. Mais bien d’autres auteurs sont par la suite venus compléter, affiner ou moderniser son propos. Les théories les plus récentes, par exemple, s’attaquent à l’ethnicité virtuelle, c’est-à-dire à la manière dont Internet peut permettre l’émergence d’identification.

Longtemps reléguée au second plan scientifique, l’ethnicité est donc un concept qui peut permettre d’appréhender sous un angle particulier les problématiques culturelles, sociales et politiques actuelles. « Bénigne et positive dans certains cas, elle peut malheureusement prendre un visage malin et destructeur dans d’autres, écrit Marco Martiniello dans la conclusion de son ouvrage. L’enjeu face auquel se trouvent les sciences sociales lorsqu’elles étudient les phénomènes ethniques est de mettre en lumière les conditions qui favorisent une expression inoffensive de l’ethnicité, celles qui mènent à l’exacerbation des appartenances ethniques conduisant aux conflits ethniques ou encore celles qui ôtent toute signification sociale et politique à l’ethnicité. […] Les sciences sociales peuvent certainement contribuer […] à prévenir d’autres Rwanda et d’autres Bosnie qui malheureusement ne sont pas totalement à exclure dans le désordre économique, social et politique mondial actuel. »

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