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L’œstradiol, une hormone sexuelle à deux vitesses

06/03/2013

Associé au comportement sexuel et connu pour avoir une action à long terme, l’œstradiol peut aussi se montrer beaucoup plus rapide, à la façon d’un neurotransmetteur. Dans une étude publiée dans le Journal of Neuroscience, des chercheurs de l’Université de Liège ont montré que cette action rapide a un effet direct sur la phase motivationnelle du comportement sexuel des cailles mâles mais pas sur la copulation.  Ainsi, le mode d’action « à long terme » sert à préparer le cerveau pour la saison de reproduction. Il permet de mettre en place le circuit nerveux de sorte qu’il soit prêt à réagir en temps voulu. Le mécanisme « à court terme », pour sa part, agirait comme l’interrupteur qui permet d’allumer ce circuit lorsque les conditions environnementales et sociales sont réunies.
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Qualifiée d’hormone femelle en raison de sa forte concentration dans la circulation sanguine chez le genre féminin, l’œstradiol (ou estradiol, E2) est une forme d’œstrogènes. Cette hormone stéroïde est cependant également présente chez le mâle et joue un rôle important dans la reproduction. Ironie du sort : malgré sa forte concentration chez les femelles, l’œstradiol est produit à partir de la testostérone, hormone typiquement mâle. C’est l’aromatase, un enzyme, qui se charge de transformer la testostérone en œstradiol, et ce tant au niveau des ovaires et testicules que de bien d’autres tissus dont le cerveau.

Bien que dans l’esprit des gens, les œstrogènes soient essentiellement associés à la reproduction, ils ont divers effets et agissent à différents endroits chez l’être humain et les animaux. Ils jouent ainsi notamment un rôle au niveau des tissus osseux et mammaires, dans la croissance, dans la flexibilité de la peau, dans les fonctions cognitives comme la mémoire, dans la protection des neurones ou encore dans la progression de cancers hormono-dépendants.

Synchroniser reproduction et saison 

Chez le mâle, les œstrogènes produits localement au niveau du cerveau (parfois qualifiés de « neuro-œstrogènes ») sont impliqués dans le contrôle du comportement sexuel. « Ils agissent par des mécanismes génomiques en se liant à des récepteurs intracellulaires et en interagissant avec l’ADN des cellules pour moduler la transcription de gènes cibles », explique Charlotte Cornil, Chercheur Qualifié F.R.S.-FNRS au laboratoire de Neuroendocrinologie du Comportement du Pr. Jacques Balthazart, au GIGA-Neurosciences de l’Université de Liège. Ce mode d’action engendre des effets sur le comportement sexuel avec un temps de latence plus ou moins long. « Les effets comportementaux apparaîtront au bout de plusieurs jours », précise Charlotte Cornil. « Ce mode d’action est en parfaite adéquation avec le rôle communément admis des œstrogènes dans la synchronisation du comportement sexuel avec la saison adéquate », poursuit la chercheuse.  En effet la reproduction animale est généralement contrôlée de sorte que les jeunes naissent au moment de l’année le plus propice à leur survie et à leur croissance. Ce sont les stimuli environnementaux qui permettent ce contrôle et qui constituent des signaux pour les organismes. « Par exemple, la lumière joue sur la croissance des gonades et donc sur la sécrétion de testostérone. S’ensuit une augmentation de la production d’œstradiol qui agit lui-même sur les tissus nerveux », indique Charlotte Cornil. Donc en résumé : les variations saisonnières induisent des variations de sécrétion de testostérone dont dépend la production d’œstrogènes qui a un effet sur le comportement sexuel !

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Quand l’œstradiol passe à la vitesse supérieure

À côté de ces effets à retardement que provoque l’œstradiol via son action génomique, cette hormone agit également de façon plus rapide en empruntant une voie non-génomique. « Ce mode d’action n’implique pas la modulation de l’expression de gènes », précise Charlotte Cornil. « Ici l’œstradiol se lie à des récepteurs membranaires situés à la surface des cellules et provoque un changement rapide du fonctionnement de ces cellules ». À titre d’exemple, ce type d’action de l’œstradiol au niveau des cellules nerveuses provoque une variation de la fréquence du potentiel d’action, c’est à dire de la décharge des neurones.

Charlotte Cornil et Aurore Seredynski, doctorante du laboratoire, en collaboration avec Gregory Ball de la Johns Hopkins University de Baltimore (Maryland, USA), ont voulu savoir si le mode d’action rapide de l’œstradiol (par la voie non-génomique) a un effet sur le comportement sexuel des cailles japonaises, modèle de prédilection du laboratoire.

« Le comportement sexuel peut être divisé en deux phases principales », reprend Charlotte Cornil. « La première appelée phase appétitive ou motivationnelle rassemble les comportements d’approche et de parade qui permettent aux partenaires de se rapprocher l’un de l’autre. La seconde, la phase consommatoire, se traduit par la séquence comportementale au cours de laquelle les partenaires copulent». Si la phase consommatoire est évidente à évaluer, la phase motivationnelle est mesurée par la fréquence de contraction de la glande cloacale chez le mâle de la caille. Les oiseaux étant dépourvus de parties génitales externes, les spermatozoïdes sont transférés du mâle vers la femelle lorsque les animaux mettent leurs cloaques (orifices postérieurs) en contact. La contraction de la glande cloacale en réaction à la vue d’une femelle est un des signes de motivation sexuelle chez le mâle. 

Un effet dichotomique sur le comportement sexuel

« Nous avons administré un traitement directement dans le 3ème ventricule du cerveau d’oiseaux mâles. Certains animaux ont reçu un inhibiteur de l’aromatase en combinaison ou non avec de l’œstradiol », explique Charlotte Cornil. Les résultats de cette étude publiée dans la revue Journal of Neuroscience (1) révèlent que le traitement était rapidement suivi d’un effet sur la phase motivationnelle du comportement sexuel des oiseaux mais n’avait aucun effet sur la phase consommatoire.

Les individus ayant reçu un inhibiteur de l’aromatase seul montraient une chute remarquable de la fréquence de contraction de la glande cloacale en réponse à la présentation d’une femelle tandis que ceux traités avec l’inhibiteur et l’œstradiol présentaient une fréquence de contraction de cette glande similaire à celle des contrôles. Mais dans l’un et l’autre cas, le traitement n’avait pas d’influence sur la copulation des individus. « C’était une vraie surprise, nous nous attendions à observer des effets sur les deux phases car elles sont extrêmement liées », indique la scientifique. Des tests supplémentaires ont confirmé ces résultats.

Mais cet effet sur la phase motivationnelle des cailles est-il bien dû à l’action non-génomique de l’œstradiol ? Afin de vérifier cela, les chercheurs ont couplé l’hormone à une molécule incapable de traverser la membrane des cellules : l’albumine de sérum bovin. « Nous avons obtenu le même résultat, ce qui indique que l’effet sur la phase motivationnelle est initié depuis la membrane cellulaire et non depuis le noyau », révèle Charlotte Cornil. La même hormone a donc développé des mécanismes complémentaires –génomiques/lents et non-génomiques/rapides - pour réguler différentes composantes du comportement sexuel. « Nos observations suggèrent que le mode d’action génomique sert à préparer le cerveau pour la saison de reproduction. Il permet de mettre en place le circuit nerveux de sorte qu’il soit prêt à réagir en temps voulu », explique la chercheuse. « Les mécanismes non-génomiques agiraient comme l’interrupteur qui permet d’allumer ce circuit lorsque les conditions environnementales et sociales sont réunies », poursuit Charlotte Cornil.

Neurone-AromataseQuid de l’activité de l’aromatase ?

Un autre volet de la recherche au sein du laboratoire de Neuroendocrinologie du Comportement est l’étude du contrôle de l’aromatase. Ici aussi, différentes études ont montré qu’outre les mécanismes génomiques qui contrôlent l’activation de cet enzyme, cette dernière peut être activée ou inactivée beaucoup plus rapidement par simple phosphorylation (ajout d’un groupe phosphate sur une protéine ou une petite molécule). Toujours en collaboration avec Gregory Ball, Charlotte Cornil et Catherine de Bournonville, doctorante au laboratoire, ont voulu en savoir plus sur les changements rapides de l’activité de l’aromatase in vivo suite aux interactions sexuelles de la caille. « Pour assurer les changements rapides de concentration en œstradiol, l’aromatase doit également moduler rapidement son activité », précise Charlotte Cornil.

Les scientifiques ont disséqué six populations de cellules exprimant l’aromatase dans le cerveau de cailles mâles ayant préalablement été exposées à la vue d’une femelle ou ayant copulé. « Nous avons constaté que l’activité de l’aromatase chute rapidement après la copulation mais aussi après un simple contact visuel avec la femelle », indique Charlotte Cornil. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Psychoneuroendocrinology (2).

« Nous n’avons pas encore résolu le mystère de cette chute précoce d’activité de l’aromatase. Mais si on tient compte de notre précédente étude on peut émettre l’hypothèse que, comme l’action rapide de l’œstradiol a un effet sur la phase motivationnelle et non sur la phase consommatoire, l’œstradiol doit être synthétisé rapidement pour déclencher la première phase mais plus ensuite, d’où la chute d’activité de l’aromatase après la vue de la femelle », souligne la chercheuse.

Une hormone aux allures de neurotransmetteur

De plus en plus d’études tendent à montrer que l’œstradiol est capable d’une action rapide. À un point tel que les scientifiques en viennent à se demander si cette hormone ne devrait pas être classée dans la catégorie « neurotransmetteurs » plutôt que de continuer à le considérer comme un messager chimique qui exerce une action à long terme (3). En effet, alors qu’une hormone est une molécule sécrétée dans le sang et qui agit sur des tissus éloignés de l’endroit où elle est produite, le neurotransmetteur est synthétisé au niveau des synapses où ils agissent directement. Les deux études mentionnées ici renforcent l’idée que l’œstradiol, dans son action non-génomique, se comporte plutôt comme un neurotransmetteur.

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(1) Aurore L. Seredynski,  Jacques Balthazart, Virginie J. Christophe, Gregory F. Ball, Charlotte A. Cornil. Neuroestrogens Rapidly Regulate Sexual Motivation But Not Performance. The Journal of Neuroscience, January 2, 2013 • 33(1):164 –174.

(2) Catherine de Bournonville, Molly J. Dickens, Gregory F. Ball, Jacques Balthazart, Charlotte A. Cornil. Dynamic changes in brain aromatase activity following sexual interactions in males : Where, when and why ?. Psychoneuroendocrinology (2012 – à paraître, doi: 10.1016/j.psyneuen.2012.09.001).
(3) Jacques Balthazart, Gregory F. Ball.  Is brain estradiol a hormone or a transmitter? Trends in Neurosciences 2006 • 29, 241-249. Voir l'article Oestradiol sex and sun.


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