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À la rescousse des Iguanodons de Bernissart

27/02/2013

Depuis leur découverte dans le charbonnage de Bernissart, les squelettes d’Iguanodons ont traversé plus de 130 années plutôt mouvementées. Cette collection unique au monde est conservée à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB). Les diverses techniques de conservation mises en œuvre, tant physiques que chimiques, n’ont pas empêché leur dégradation. Dans sa thèse de doctorat en Sciences minéralogiques défendue à l’Université de Liège, Thierry Leduc, expert technique à l’IRSNB, a réalisé des analyses minéralogiques détaillées, permettant de comprendre d’une part les mécanismes mis en jeu au cours de la fossilisation des ossements et, d’autre part, les causes de cette dégradation. Ses travaux ont permis d’identifier une trentaine de minéraux différents dans les ossements d’Iguanodons. Certains de ces minéraux se sont formés au cours de la fossilisation, le principal étant la pyrite, en partie responsable de la fragilité des ossements. D’autres se sont formés après leur exhumation. Malgré les traitements de préservation, le contact avec l’air et l’humidité ambiants a entraîné l’altération de la pyrite et la formation de 16 minéraux secondaires différents, dont le gypse. La croissance des cristaux de gypse, entre autres, est responsable de l’apparition de fissures dans les os.

iguanodons-IRSNBC’est en mars 1878 que les mineurs du charbonnage de Bernissart, qui exploitaient une veine de charbon (houille) à 322 m de profondeur, rencontrèrent une vaste poche d’argile. De tels accidents géologiques étaient déjà alors bien connus et avaient reçu le nom de « crans ». Les mineurs creusèrent une galerie de recherche à travers ce cran afin de retrouver la veine de charbon de l’autre côté. C’est alors qu’ils découvrirent des objets sombres et friables qu’ils prirent tout d’abord pour des morceaux de bois rempli d’or, en raison de la grande quantité de cristaux de pyrite qu’ils renfermaient. Mais le médecin du charbonnage démontra que c’était bien à des ossements et non à du bois qu’ils avaient affaire. Les ingénieurs du charbonnage envoyèrent les ossements à plusieurs spécialistes et P-J Van Beneden, professeur à l’Université de Louvain, identifia rapidement ces fossiles comme appartenant à des dinosaures qu’il attribua au genre Iguanodon. Ce genre avait été découvert pour la première fois en Angleterre en 1825 et l’espèce avait été nommée Iguanodon mantelli par H. Von Meyer, un paléontologue allemand car les dents de l’animal ressemblent aux actuels Iguanes (Iguanodon en grec signifie "dent d’Iguane"), bien que l’on sache maintenant que les Iguanodons ne sont pas apparentés aux Iguanes mais bien aux Dinosauriens.

Le site de Bernissart est inestimable par la richesse des fossiles qui y ont été exhumés au cours des trois années de fouilles qui suivirent leur découverte. On a en effet extrait des entrailles de Bernissart une trentaine de squelettes complets et articulés d’Iguanodons, 2 crocodiles, 1 fragment d’insecte, des dizaines de coprolithes et des milliers de fragments de plantes. Ces fossiles gisaient depuis longtemps dans des argiles noires appelées « argiles wealdiennes » datant du crétacé inférieur (140-120 millions d’années). Tous les squelettes d’Iguanodons découverts appartiennent à l’espèce Iguanodon bernissartensis, excepté un, plus petit : l’Iguanodon atherfieldensis. L’Iguanodon bernissartensis a depuis été découvert dans toute l’Europe, en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique du Nord.

L’exhumation, la préservation et le montage des squelettes d’Iguanodons

Peu après leur découverte démarra un vaste programme visant à exhumer les ossements, très fragiles en raison de la pyrite qu’ils renferment, et à les protéger de l’inévitable dégradation liée à l’exposition à l’air ambiant et aux variations d’humidité relative. Les fossiles ont en effet été enfouis pendant des millions d’années dans leur gangue d’argile qui, créant des conditions anaérobies, ont permis leur remarquable préservation. Or, on sait maintenant qu’au contact de l’air ambiant la pyrite s’altère et se transforme en d’autres minéraux qui, par leur croissance et leur gonflement, provoquent l’éclatement des os. Les techniques de fouilles utilisées à l’époque sont toujours employées aujourd’hui. Les ossements furent dégagés après avoir été enrobés dans des blocs de plâtre et soigneusement numérotés afin de pouvoir par la suite reconstruire les squelettes en entier. Après dégagement des ossements par l’enlèvement du plâtre et des argiles les entourant, les os étaient enduits de colle forte pour empêcher leur désagrégement. La pyrite qui remplissait les creux des os était systématiquement enlevée et remplacée par du carton-pierre (mélange de craie, de colle de peaux d’animaux et de papier). Les squelettes furent ensuite montés en position supposée de vie et exposés au public. iguanodon-main

Des années d’exposition à l’air libre provoquèrent des dégâts très nets et une nouvelle méthode pour protéger les ossements fut développée dans les années 1930. Tous les spécimens furent démontés et on les plongea dans un mélange d’alcool et de gomme-laque (laque naturelle sécrétée par des cochenilles qui parasitent des essences tropicales en Inde et en Thaïlande). Deux cages vitrées furent construites autour des Iguanodons pour maintenir une température et un degré hygrométrique constants. En 2003, les squelettes furent tous démontés pour restauration. Les résidus de pyrite ont été soigneusement curetés, les ossements imprégnés de résine synthétique, les cassures recollées grâce à des colles fortes modernes et les fissures rebouchées par une pâte durcissante. Les squelettes ont enfin été placés dans de nouvelles cages de verre.

Comment ces couches argileuses plus récentes ont-elles trouvé place dans les terrains houillers plus anciens ?

Les « crans » sont des puits naturels résultant de la dissolution des roches solubles dans le calcaire carbonifère situé en profondeur. Cette dissolution a eu lieu durant le crétacé sous l’influence d’eau souterraine. Les vides créés dans la roche ont provoqué un effondrement se développant de bas en haut. Les terrains supérieurs, plus récents (schistes, terrains houillers), s’effondrent dans le puits sous forme de brèche. Les roches tendres de la couverture (sables et argiles) sont petit à petit soutirées dans le puits provoquant l’apparition d’un marécage en surface.

La formation de ce cran, à l’époque wealdienne même, est à l’origine du gisement des fossiles de Bernissart. Au début du crétacé, de nombreux Iguanodons vivaient sans doute dans le bassin de Mons mais un seul des 117 puits des terrains houillers du bassin a livré des Iguanodons. Le site était probablement à un des niveaux les plus profonds de la région et coïncidait avec la position du futur puits naturel. Les cadavres d’iguanodons glissaient vers cet endroit et s’y entassaient. Une fois le marécage formé, des dinosaures pouvaient également s’y enliser et ils disparaissaient ensuite lentement avec les argiles au fur et à mesure de leur enfoncement, échappant ainsi aux causes de destruction, comme l’érosion, qui ont fait ailleurs disparaître les restes de vertébrés enfouis dans les sédiments. Après la fin du fonctionnement du puits, d’autres terrains ont recouvert son emplacement sans y subir d’aspiration.

Identification des phases minérales

La fossilisation  des êtres vivants est en général un processus de minéralisation (remplacement des tissus vivants par des substances minérales) dans de la roche sédimentaire. La diagenèse des os, plus particulièrement, est le résultat de processus physiques, chimiques et biologiques cumulés qui modifient les propriétés chimiques et/ou structurelles de l’os frais et déterminent son devenir en terme de destruction ou de préservation. (lire Processus de fossilisation des Iguanodons)
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Par des approches pétrographiques, minéralogiques et chimiques, les travaux de Thierry Leduc ont permis d’identifier  une trentaine de minéraux différents dans les ossements d’Iguanodons. Certains de ces minéraux se sont formés au cours de la diagenèse, le principal étant la pyrite, qui, comme nous l’avons vu est  en partie responsable de la fragilité des ossements. D’autres se sont formés après leur exhumation. Malgré les traitements de préservation, le contact avec l’air et l’humidité ambiants a entraîné l’altération de la pyrite et la formation de 16 minéraux secondaires différents, dont le gypse. La croissance des cristaux de gypse, entre autres, est responsable de l’apparition de fissures dans les os (lire Processus de formation des minéraux dans les ossements)

La formation et la croissance de tous ces minéraux secondaires au cours du temps a entraîné, et entraîne encore de nouvelles fractures dans les ossements si précieux. Il est donc nécessaire de trouver de nouvelles méthodes afin de les protéger de la dégradation. Le travail de Thierry Leduc permet de mieux comprendre les raisons de la fragilisation des ossements d’Iguanodon. La mise au point de nouvelles techniques de conservations nécessitera encore un long travail de concertation des chercheurs d’autres disciplines. La priorité étant de maintenir  des conditions de conservation (température et humidité) les plus stables et les plus appropriées possibles.

Qu’étaient les Iguanodons de Bernissart et quel était leur milieu de vie ?

Les Iguanodons appartiennent à un groupe éteint de reptiles, les Dinosauriens (du grec deïnos, terriblement grand, et sauros, lézard). Mais ils ne sont plus à présent considérés comme formant un groupe naturel car toutes les espèces ne peuvent être rassemblées dans un même arbre phylogénétique pourvu d’un ancêtre commun.

Les Dinosauriens sont divisés en deux ordres d’après la structure de leur bassin : d’un point de vue anatomique, les Saurischiens ressemblaient à des lézards alors que les Ornithischiens s’apparentaient plus aux oiseaux coureurs comme l’autruche. Notre iguanodon est un Ornithischien ornithopode, exclusivement herbivore et ovipare. La classification des Ornithischiens repose sur leur mode de vie déterminé par la dentition, la position du bassin et des membres. Les 7 espèces valides du genre Iguanodon sont: I. bernissartensis, I. anglicus (ou mantelli), I. atherfieldensis, I. dawsoni, I. fittoni, I. hoggi et I. lakotaensis.

reconstitution-iguanodonBien que présenté comme bipède lors des premières reconstitutions, il semble actuellement que l’Iguanodon de Bernissart aurait été plutôt quadrupède. Il a fallu en effet lui casser la queue pour l'installer de cette mauvaise manière... La position à quatre pattes aurait été normale pendant la course et la marche, l’animal pouvant se dresser sur les pattes postérieures en position défensive ou lors du broutement. Sa peau devait être finement granuleuse avec de petits éléments mosaïqués dont la taille et la disposition variaient selon l’endroit du corps. Dans la plupart des reconstitutions, l’Iguanodon est de couleur vert brunâtre.

C’était un animal terrestre, ce qui n’exclut pas qu’en cas de danger il ait pu se réfugier dans des marécages et nager à l’aide de sa queue à la manière d’un crocodile. Il se faisait en effet sans doute dévorer par les féroces dinosaures carnivores qui terrorisaient alors le monde vivant ! Il pouvait, pour se défendre, utiliser l’éperon aigu de sa main et sa puissante queue musclée.

Au début du crétacé, Bernissart devait être une vallée marécageuse bordée de collines couverte de conifères. La vallée devait renfermer énormément de fougères, constituant probablement la source principale de nourriture des Iguanodons. Des mousses devaient être présentes mais très peu de plantes à fleurs car les angiospermes venaient à peine d’apparaître. Le climat, subtropical, était assez chaud et humide avec alternance de saisons sèches et de saisons de pluie. Et ceci sur l’ensemble de l’Europe dont les contours étaient différents de l’Europe actuelle. Nos Iguanodons devaient côtoyer des insectes semblables à des cigales, des milliers de poissons, des amphibiens ressemblant à des salamandres, des tortues et des crocodiles mais très peu de mammifères : ils étaient alors petits et vivaient dans l’ombre des dinosaures.


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