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Diabète : le virus qui rend intolérant à l’insuline.

30/01/2013

Alors que de plus en plus d’études, surtout épidémiologiques, tendent à montrer que les virus Coxsackies (CVs) jouent un rôle dans l’apparition du diabète auto-immun de type 1, les mécanismes par lesquels ces virus agissent restent flous. Dans la foulée du projet européen FP6 Eurothymaide, Vincent Geenen et son équipe, en étroite collaboration avec le CHRU de Lille (Didier Hober), le Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy (Philippe Naquet) et l’Université de Tunis ont cependant découvert que l’infection du thymus par le virus diabétogène CV-B4 y entraîne une diminution de la transcription du gène de l’IGF2 (Insulin-like Growth Factor 2). « Or, ce facteur joue un rôle majeur dans l’établissement de la tolérance du système immunitaire vis-à-vis de l’insuline », indique Vincent Geenen. En résumé: le virus CV-B4 infecte les cellules épithéliales du thymus, s’y reproduit et réduit la production de l’IGF2 par ces cellules. Cette réduction drastique de l’IGF2 thymique rendrait ainsi le système immunitaire de l’organisme intolérant à l’insuline, hormone secrétée par le pancréas et dont la déficience provoque le diabète auto-immun de type 1. Les résultat de cette étude viennent d’être publiés dans Journal of Virology (1). Mais l’équipe de Vincent Geenen se concentre désormais sur le développement d’un nouveau type de vaccin qui permettrait de reprogrammer la tolérance immunitaire vis-à-vis des cellules bêta du pancréas endocrine et contribuer ainsi tant à la prévention qu’à la guérison du DT1.

controle-insulineTous deux caractérisés par une hyperglycémie chronique, le diabète de type 1 et le diabète de type 2 sont cependant des maladies bien distinctes. La première touche les enfants, adolescents et jeunes adultes et est d’origine auto-immune. Elle représente environ 10% des cas de diabète. La seconde concerne 90% des personnes atteintes de diabète et survient plus tard dans la vie. Le diabète de type 2 est principalement dû à un état de résistance à l’insuline et est associé au surpoids ainsi qu’au manque d’exercice physique.

Chez les personnes présentant un diabète de type 1, anciennement appelé diabète juvénile ou insulino-dépendant, on observe une auto-immunité sélectivement dirigée contre les cellules bêta situées au niveau des îlots de Langerhans dans le pancréas. Ce sont ces cellules qui sécrètent l’insuline, hormone très importante pour la régulation de la concentration du glucose dans le sang. « La question de l’origine de cette auto-immunité sélective n’a jamais été résolue », indique le Professeur Vincent Geenen qui dirige le Centre d’Immunoendocrinologie du GIGA-R de l’Université de Liège.

Double contrôle contre l’auto-immunité

« Le thymus, ou plutôt un dysfonctionnement de ce dernier, pourrait jouer un rôle important dans l’apparition de cette maladie car c’est là que le système immunitaire est éduqué. Il apprend ainsi à reconnaître les grandes familles d’hormones telle que celle de l’insuline », explique le Professeur. En effet, le thymus est le garde fou du système immunitaire adaptatif. Apparu chez les poissons cartilagineux (requins et raies) il y a 450 millions d’années, le système immunitaire adaptatif permet de pouvoir réagir spécifiquement (contrairement au système immunitaire inné qui est non-spécifique) contre l’un ou l’autre pathogène pénétrant dans l’organisme. Quasiment au même moment, voire un rien plus tard, on observe l’apparition du thymus. C’est au sein de ce dernier que  les lymphocytes T se différencient et atteignent leur maturité (2).

ThymusC’est également dans le thymus qu’a lieu la sélection des lymphocytes T qui seront ou non relâchés dans l’organisme. Car tous ne sont pas bienveillants, loin de là. « Le thymus élimine les cellules T réactives vis-à-vis du soi, également appelées clones  ‘interdits’. Cela concerne 95% des cellules T générées au hasard dans le thymus », précise Vincent Geenen. « Le thymus filtre et ne laisse passer que 5% des cellules, celles qui sont tolérantes au soi. Il est également capable de générer des cellules T régulatrices qui inhibent en périphérie les lymphocytes T interdits qui auraient éventuellement échappé au filtre thymique ». Grâce à ce double contrôle, le thymus empêche le système immunitaire adaptatif de se retourner contre l’organisme. « De plus en plus d’arguments expérimentaux confortent aujourd’hui ce tout nouveau concept selon lequel un défaut dans la programmation intrathymique de la tolérance centrale favorise le développement de l’auto-immunité, notamment celle contre les cellules bêta pancréatiques sécrétrices de l’insuline », poursuit le Professeur.

Une question de gène, mais pas seulement !

Le diabète de type 1 (DT1) se développe chez des personnes génétiquement prédisposées à cette maladie. « Il existe environ 20 loci génétiques de susceptibilité », précise Vincent Geenen. « Mais si on sait que le facteur génétique est important, il n’est pas suffisant pour que le DT1 se développe », continue-t-il. Chez les jumeaux homozygotes, le taux de concordance est de 45% pour cette maladie. Il existe donc d’autres facteurs qui favorisent l’émergence de DT1. « Notamment des facteurs environnementaux et parmi eux différents virus dont ceux de la famille des entérovirus, et plus particulièrement les virus Coxsackies », indique Vincent Geenen. « On sait depuis les années 80 qu’il existe des virus diabétogènes et des études épidémiologiques ont apporté des preuves d’une corrélation entre des infections récentes par des virus Coxsackies et l’incidence du DT1 », explique le Professeur.

Outre ces études épidémiologiques, on observe un gradient nord-sud de l’incidence du DT1. « Dans les pays scandinaves, l’incidence du DT1 est d’environ 50 cas sur 100.000 habitants par an contre 8 en Belgique. L’incidence la plus faible est observée dans les pays d’Afrique », précise Vincent Geenen. Or la fréquence des infections par des entérovirus est plus importante au nord qu’au sud de la planète ce qui, selon certaines théories, pourrait expliquer en partie l’existence de ce gradient.

Une perturbation de la fonction tolérogène du thymus ?

Si les virus Coxsackies semblent bien jouer un rôle dans l’apparition du DT1, les mécanismes par lesquels ils agissent restent inconnus. L’hypothèse que le Professeur Geenen et le Professeur Didier Hober de l’Université de Lille investiguent depuis plus de 13 ans, notamment dans le programme Eurothymaide, est la suivante : les virus Coxsackies infecteraient le thymus et provoqueraient un dérèglement de la fonction tolérogène de ce dernier. « En 2002, Fabienne Brilot, une doctorante de l’ULg aujourd’hui professeur à l’université de Sydney, a démontré que le virus Coxsackie B4 (CV-B4) est capable d’infecter les cellules épithéliales du thymus et de s’y reproduire. Ses travaux ont également permis de mettre en évidence un effet délétère direct de CV-B4 sur les lymphocytes immatures du thymus (thymocytes) qui s’y différencient en lymphocytes T effecteurs », souligne Vincent Geenen.

Aujourd’hui, dans un article publié dans Journal of Virology (1), Vincent Geenen, Didier Hober et leurs collègues apportent un élément de réponse de plus. Ils révèlent en effet que l’infection des cellules épithéliales du thymus par CV-B4 entraîne une nette diminution de la transcription du gène de l’ IGF2 (Insulin-like Growth Factor 2), un gène de la famille de l’insuline qui intervient dans la programmation de la tolérance immunitaire vis-à-vis de l’ensemble de cette famille, notamment au cours de la période fœtale. L’infection thymique par CV-B4 serait ainsi responsable d’une rupture de la tolérance immunitaire centrale vis-à-vis de l’insuline et des cellules bêta qui sécrètent cette hormone.

Vers un vaccin anti-DT1

self-vaccinAfin de vérifier la spécificité de l’action de CV-B4 sur l’expression de IGF2 dans les cellules épithéliales thymiques, les scientifiques ont multiplié les expériences contrôles. « Nous avons d’une part regardé si la même action de CV-B4 était observée chez d’autres cellules cibles de ce virus. Nous avons analysé l’effet de CV-B4 sur l’expression de IGF2 par des neuroblastes mais aucune diminution de l’expression de ce gène n’y a été observée », explique le Professeur Geenen. « D’autre part, nous avons testé si d’autres virus provoquaient une diminution de l’expression d’IGF2 au niveau des cellules épithéliales du thymique, et ce n’était pas le cas », poursuit-il.

Ces résultats présentent en outre l’avantage d’unifier trois grandes hypothèses de travail de notre laboratoire :
- le rôle d’un dysfonctionnement du thymus à l’origine de la réponse auto-immune diabétogène,
- le rôle de l’IGF2 thymique comme facteur tolérogène majeur de la famille de l’insuline, et
- l’implication de l’infection par CV-B4 dans l’apparition du DT1.

Pour ce qui est des étapes futures de ces recherches, les scientifiques vont maintenant tenter de mettre au jour les mécanismes par lesquels CV-B4 induit une répression de l’expression de l’IGF2 dans les cellules épithéliales thymiques. « Il faut identifier les chaînons manquants entre le récepteur au virus CV-B4 à la surface de ces cellules et la diminution de l’expression de IGF2 », précise Vincent Geenen. Mais l’équipe de ce dernier se concentre désormais en priorité sur le développement d’un nouveau type de vaccin, un self-vaccin négatif ou tolérogène basé sur l’IGF2, qui permettrait de reprogrammer la tolérance immunitaire vis-à-vis des cellules bêta du pancréas endocrine et contribuer ainsi tant à la prévention qu’à la guérison du DT1 (3).

(1) Jaïdane H, Caloone D, Lobert PE, Sane F, Dardenne O, Naquet P, Gharbi J, Aouni M, Geenen V, Hober D. Persistent infection of thymic epithelial cells with coxsackievirus B4 results in decreased expression of type 2 insulin-like growth factor. J Virol. 2012 Oct;86(20):11151-62. Epub 2012 Aug 1.

(2) Geenen V. Presentation of neuroendocrine self in the thymus: a necessity for integrated evolution of the immune and neuroendocrine systems. Ann NY Acad Sci. 2012;1261:42-48.

(1) Jaïdane H, Caloone D, Lobert PE, Sane F, Dardenne O, Naquet P, Gharbi J, Aouni M, Geenen V, Hober D. Persistent infection of thymic epithelial cells with coxsackievirus B4 results in decreased expression of type 2 insulin-like growth factor. J Virol. 2012 Oct;86(20):11151-62. Epub 2012 Aug 1.

(3) Geenen V, Mottet M, Dardenne O, Kermani H, Martens H, François JM, Galleni M, Hober D, Rahmouni S, Moutschen M. Thymis self-antigens for the design of a negative/tolerogenic self-vaccination against type 1 diabetes. Curr Opin Pharmacol. 2010;10:461-472.


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