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Un gène nommé ADAM

23/01/2013

L’asthme est par excellence une maladie de civilisation. Son incidence croissante ne manque pas d’inquiéter, et de nombreuses équipes à travers le monde tentent de démêler l’écheveau complexe de ses causes. L’Université de Liège vient d’apporter une petite pierre à l’édifice, en identifiant une protéase dont le rôle pourrait bien s’avérer très intéressant…

On peut définir l’asthme comme une obstruction réversible des bronches, résultant d’une inflammation dont l’origine est le plus souvent allergique. Si le grand public connaît l’image classique de la crise d’asthme, avec sa respiration sifflante, son oppression et sa détresse respiratoire, les chercheurs s’intéressent surtout… à ce qui se passe entre les crises. Car ils considèrent en effet l’asthme comme une maladie chronique, la crise n’étant qu’une manifestation particulièrement aigue – et angoissante – de processus pathologiques qui se déroulent à bas bruit dans les profondeurs de l’arbre bronchique.

modele-bronchioleLe rétrécissement du diamètre interne des bronches caractéristique de l’asthme résulte de la combinaison d’une hyperréactivité des muscles lisses qui entourent les conduits aériens et d’une hypersécrétion de mucus par les glandes qui tapissent leur paroi interne. Ces deux éléments sont induits par une réaction inflammatoire persistante, et c’est la cause de cette inflammation qui intrigue les chercheurs. On sait qu’elle est probablement entretenue par des facteurs d’environnement qui peuvent eux-mêmes être soit des allergènes, soit des agents purement irritatifs (pollution atmosphérique par exemple). Mais tout le monde ne devient pas asthmatique même en étant allergique, ou en respirant un air pollué. Et a contrario, dans les familles d’asthmatiques, certains individus échappent à la maladie et pas d’autres. C’est donc qu’une prédisposition individuelle intervient aussi, et celle-ci est de nature génétique.

«  Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas d’une mutation sur un gène précis, comme dans la mucoviscidose, fait remarquer le Professeur Didier Cataldo, pneumologue au CHU du Sart Tilman et chargé de cours à l’ULg. Dans l’asthme il y a probablement au moins deux douzaines de gènes impliqués. Ce qui explique qu’on puisse être asthmatique pour des raisons très différentes. Classiquement, le parcours d’un enfant asthmatique à profil allergique débute éventuellement par une croûte de lait à l’âge de deux mois, suivi d’eczéma dans la petite enfance. Les premiers signes d’asthme sont souvent déclenchés à l’occasion des petites infections virales respiratoires inévitables chez les enfants, et certains jeunes asthmatiques ont des puffs de corticoïdes à inhaler parfois très jeunes. Par la suite, la symptomatologie peut s’atténuer, ou perdurer toute la vie. Mais il y a aussi des gens qui développent de l’asthme suite à une exposition aigue à du chlore gazeux dans un contexte professionnel, par exemple. Cet asthme purement chimique, irritatif, se rencontre par exemple chez les piscinistes. D’autres formes encore, souvent assez sévères, se développent sur le tard ; ce sont des patients qui ne sont généralement pas soulagés par les traitements classiques. L’asthme est donc bien un syndrome très polymorphe, un ensemble qui recouvre probablement différents mécanismes moléculaires et physiopathologiques. Ce qui explique la difficulté à trouver « le » gène, évidemment.  Du coup, nous sommes vraiment démunis parce qu’on ne peut pas proposer à nos patients une analyse génétique pour déterminer leur susceptibilité à développer de l’asthme. » (voir aussi les articles L’asthme, une île bien mystérieuse et L’asthme sens dessus dessous)

The ADAM family

Didier Cataldo et son équipe, au sein du GIGA-research, s’intéressent depuis plusieurs années à certains gènes incriminés dans l’asthme, notamment ceux codant pour des protéines enzymatiques de la famille des ADAMs (A Disintegrin And Metalloproteinases) et des ADAMTS (les mêmes, avec des motifs particuliers appelés thrombospondines).  Pour la petite histoire, ces métalloprotéases comportant un ion zinc sont de proches cousines des protéases du venin  de serpent, qui forment une autre branche de la famille des adamalysines. Ce détail curieux n’a aucun lien avec l’asthme, mais il permet de souligner à quel point les ADAMs et les ADAMTS sont ubiquitaires dans le règne animal. Une quarantaine d’entre elles ont été identifiées à ce jour, dont 25 sont présentes dans l’espèce humaine et 35 chez la souris. Elles jouent des rôles cruciaux dans des processus aussi variés que la fusion membranaire lors de la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde, l’activation de facteurs de croissance spécifiques lors du développement embryonnaire du cerveau, le dépôt de protéines amyloïdes dans la maladie d’Alzheimer, l’agressivité tumorale dans le cancer du sein, la dégénérescence du cartilage dans l’arthrose…ou la libération de cytokines et autres facteurs inflammatoires dans l’asthme. Nous y voilà donc.

inflammation-broncheLa protéase sur laquelle travaille Geneviève Paulissen, post-doctorante dans l’équipe de Didier Cataldo, porte l’acronyme d’ADAMTS-12. La première publication établissant un lien entre cette protéase et l’asthme date de 2006 (1); il s’agissait d’une étude démontrant que le gène de cette enzyme était localisé dans le génome dans une région associée à une susceptibilité à l’asthme. À cette époque, Geneviève Paulissen faisait son travail de fin d’études en Sciences biomédicales, avec le Professeur Cataldo comme promoteur. Un mémoire qui portait sur… les ADAM dans la pathologie asthmatique. « Suite à cette publication, nous avons pensé qu’il pouvait être intéressant d’étudier cette ADAMTS-12 dans un modèle expérimental, raconte-t-elle, puisque nous avions à notre disposition des souris déficientes pour ce gène. Nous voulions vérifier et confirmer le rôle de cette protéase dans l’asthme avec un modèle expérimental in vivo. » Il faut savoir qu’il y avait eu des précédents malheureux, notamment avec l’ADAM-33, une autre protéase dont le gène avait été clairement reconnu dès 2002 comme gène de susceptibilité à l’asthme également. Pourtant la suppression de ce gène chez des souris knock out n’avait provoqué aucun signe particulier d’asthme chez les animaux ! Le pari était donc de réussir à mettre en évidence des manifestations d’asthme chez les animaux privés d’ADAMTS-12 et de pouvoir ensuite, à partir de ces signes, élucider le rôle de la protéase dans la pathogénie de la maladie.

Souris sauvages et souris knock out

C’est dans cette optique que Geneviève Paulissen a développé deux modèles expérimentaux d’exposition des souris déficientes en ADAMTS-12 à deux allergènes. Son choix s’est porté sur l’ovalbumine, une protéine inerte mais capable de susciter des crises d’asthme après allergisation, et le House Dust Mite (HDM), c’est à dire l’allergène des acariens des poussières de maison, responsable de 45% des allergies humaines. Dans le modèle expérimental à l’ovalbumine, les souris sont simplement placées dans des enceintes en plexiglas où elles inhalent une solution contenant l’allergène en aérosol pendant 30 min. Pour le second modèle, la solution contenant l’allergène HDM est instillée  directement dans les cavités nasales des souris endormies. A titre de comparaison, des souris wild type – des souris « sauvages » donc – étaient soumises au même protocole que leurs cousines knock out pour ADAMTS-12. Toutes les souris ont ensuite été soumises à des mesures de la réactivité bronchique, similaires aux tests que l’on fait passer aux humains pour poser le diagnostic d’asthme.  « Nous avons observé que les souris déficientes pour le gène de l’ADAMTS-12 avaient une réactivité bronchique, caractéristique principale de l’asthme, bien plus importante que les souris sauvages qui avaient été exposées au même allergène » résume la jeune chercheuse. Qui a ensuite sacrifié ses souris pour analyser les marqueurs de l’inflammation présents dans leurs poumons. « Nous avons vu qu’il y avait chez les souris déficientes en ADAMTS-12 une augmentation importante des deux populations de cellules clés de la pathologie asthmatique, les polynucléaires éosinophiles (caractéristiques des réactions allergiques) et les mastocytes (responsables de la libération d’histamine,  principal médiateur des manifestations d’allergie). Ensuite nous avons examiné les tissus bronchiques au microscope et nous avons constaté que l’inflammation péri-bronchique était également augmentée chez ces souris. En allant encore un peu plus loin, nous avons voulu savoir si des cytokines étaient associées à ces signes inflammatoires, à l’aide d’un cytokine-array (un kit d’identification d’un panel de cytokines connues pour être impliquées dans les phénomènes inflammatoires) et nous avons ensuite confirmé leur présence par des tests Elisa. La plupart d’entre elles étaient également augmentées. » Toutes ces augmentations étaient significatives ; dans tous les cas, il s’agissait au moins d’un doublement par rapport aux souris « sauvages ». 

Un effet protecteur

Ces résultats (2) démontrent donc bien, sans équivoque possible, que la protéase ADAMTS-12 a un rôle à jouer dans l’expression de la pathologie asthmatique. Un rôle  manifestement protecteur puisque, quand l’ADAMTS-12 est déficiente, les manifestations asthmatiques in vivo et in vitro sont plus marquées. « A notre connaissance, c’est la première étude qui montre un effet de l’ADAMTS-12 dans un modèle expérimental d’asthme, souligne Didier Cataldo. Puisque nous avons pu démontrer que la déficience en cette enzyme provoque une augmentation de la réactivité bronchique et une augmentation de l’inflammation, nous pouvons conclure que l’ADAMTS-12 a certainement un effet protecteur dont il serait intéressant d’investiguer le mécanisme. Ce qui est en cours. »

« Notre étude est également intéressante sur un plan plus général, reprend-il,  dans la mesure où, il y a quelques années, certaines hypothèses de recherche avaient préconisé d’investiguer la voie de l’inhibition des protéases, notamment pour ralentir la progression du cancer. L’industrie pharmaceutique s’était alors engouffrée dans la brèche, croyant avoir trouvé la poule aux œufs d’or, mais sans réelle connaissance fondamentale de ce domaine. Une multitude d’inhibiteurs des métalloprotéases peu spécifiques ont ainsi été mis au point… et aucun n’a donné de résultats. Au contraire, on a du interrompre de nombreux essais cliniques, ce qui représente des millions et des millions de dollars perdus. Pourquoi ? Parce que personne ne connaissait la biologie de cette famille d’enzymes. Ce qui démontre encore une fois l’utilité de la recherche fondamentale ! Si on ne connaît pas la carte des familles de protéases et de cytokines avec lesquelles on joue, on provoque des interactions inconnues et imprévues. Et si même une réaction bénéfique se produit, elle est potentiellement noyée dans un magma d’effets indésirables dus au manque de spécificité de l’approche. »

puffOn comprend dès lors que quand on lui demande si cette découverte est susceptible d’avoir des implications pour un éventuel traitement de l’asthme, le chercheur se montre très prudent : « Pas encore ! » Mais ces étapes sont malgré tout indispensables au développement de nouvelles classes thérapeutiques, justement parce que la compréhension du réseau d’interactions moléculaires et cellulaires reste capital. « Pour le moment, continue Didier Cataldo, un brin provocateur, nous traitons l’asthme avec des corticoïdes. Comment agissent-ils ? On ne le sait pas ! Ils inhibent l’inflammation, mais ce faisant, ils agissent sur l’expression de très nombreux gènes différents. On ne peut donc pas dire qu’on « comprend » ce qui se passe. Nous en sommes toujours au même stade que quand on utilisait des extraits de surrénales au 19è siècle. Les méthodes de fabrication sont plus sophistiquées, les voies d’administration par inhalation permettent de diminuer la toxicité des médicaments,... mais on ne sait toujours pas exactement ce qu’on fait ! Nous ne pourrons trouver de nouvelles cibles thérapeutiques qu’en comprenant les mécanismes à l’œuvre. »

L’équipe de Didier Cataldo s’attelle donc à présent à comprendre avec quoi la protéase ADAMTS-12 interagit au niveau moléculaire. « Nous avons changé de niveau de recherche: de l’étage in vivo, nous sommes descendus à l’étage moléculaire pur. Ce qui veut dire que cela va prendre du temps, parce que ce sont des études très complexes. Vous n’entendrez donc plus parler de cette molécule avant longtemps », sourit-il. La recherche est souvent une affaire de patience…

« En conclusion, résume le Professeur Cataldo, on peut dire que l’asthme est une maladie polygénique pour laquelle toute une série de gènes ont été identifiés, dont les liens de cause à effet sont plus ou moins complexes. Notre contribution est d’avoir prouvé qu’un de ces gènes est effectivement lié à l’asthme puisque quand on le mute, quand on l’élimine, on aggrave l’asthme. Le chemin qui reste à parcourir est évidemment encore très long avant qu’on ne parvienne à comprendre l’ensemble des gènes associés à l’asthme et leur fonction, mais notre petite pierre à l’édifice, cette fois, c’est l’ADAMTS-12. » Lire l'encadré "Quel zèle au diagnostic?"

(1) Kurtz et al, J allergy Clin Immunol Vol 118, 2, 396-402

(2) Control of Allergen-Induced Inflammation and Hyperresponsiveness by the Metalloproteinase ADAMTS-12. Geneviève Paulissen, Mehdi El Hour, Natacha Rocks, Maud M. Guéders, Fabrice Bureau, Jean-Michel Foidart, Carlos Lopez-Otin, Agnès Noel, and Didier Cataldo. J Immunol published online 7 September 2012 ol.1103739.  http://www.jimmunol.org/content/early/2012/09/07/jimmun


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