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Ces encres (et imprimantes) qui trahissent le suspect
07/12/2012

Modus operandi

ramanForte de plusieurs séries d'expériences, Laetita Heudt propose au lecteur, et en particulier aux experts actuellement chargés de mener de telles analyses dans un contexte forensique, un « flow chart », une « séquence analytique qui conserve au maximum l'intégrité de l'échantillon tout en offrant un pouvoir discriminant élevé ». Ce modus operandi, qui compte parmi les quelques originalités de cette recherche doctorale, a été évalué sur base de tests effectués sur 10 échantillons: sept Hewlett-Packard, un de la marque Epson, un Lexmark, et un Canon. « Soit les quatre marques les plus représentatives du marché belge de la cartouche d'encre». Laetitia Heudt propose la procédure suivante: si les échantillons sont toujours identiques après une analyse optique préliminaire (luminescence, comportement dans l’infrarouge,…), il est préférable de passer à l'analyse par spectroscopie Raman, entièrement non destructive, réalisable aisément sur la feuille de papier elle-même, et précieuse dans la mesure où elle permet de caractériser l'encre utilisée en fonction de la nature chimique de ses colorants et/ou des pigments principaux. Enfin, si les échantillons demeurent indiscernables, il conviendrait alors et seulement de passer à la spectrométrie de masse. « Je propose la méthode LDI en premier lieu: prélever un échantillon sur la feuille de papier, c'est-à-dire, en quelque sorte, un confetti, et l'introduire dans le système pour voir ce qu'il en ressort. Si l'analyse livre de bons résultats, c'est que nous avons probablement affaire à une encre à base de pigments. Dans le cas contraire, il faut appliquer une matrice, et donc se livrer à une analyse MALDI. La thèse met en évidence la pertinence de ce dernier type d'analyse: elle est certes semi-destructive, mais elle a un fort pouvoir discriminant et peut, du reste, être aisément mise en place,à condition d’avoir accès à un tel instrument, quoiqu'elle soit plus coûteuse que l'analyse Raman,. De manière générale, la thèse met en évidence que les méthodes qui se sont montrées les plus adaptées étaient la spectroscopie Raman, pour son caractère non destructeur, et la spectrométrie de masse MALDI pour son côté versatile et très informatif ».

La quatrième cartouche

Un ultime apport original de cette recherche doctorale mérite qu'on en dise quelques mots. Dans un chapitre entièrement consacré à cette thématique, Laetitia Heudt se focalise ainsi sur les encres 'jet d'encre' noires, lesquelles, en raison de leur spécificité, nécessitent une approche différente des encres couleurs. « De telles encres n'avaient, à ma connaissance, pas encore été étudiées » souligne la chercheuse, dont le travail sur les encres noires a d'ailleurs été salué par plusieurs experts. Ici encore, les techniques Raman, LDI et MALDI ont été évaluées sur base de dix échantillons d'encres imprimées. « Nous imprimons la plupart du temps en noir et blanc. C'est donc la quatrième cartouche de notre imprimante qui est le plus souvent mise à contribution ». Ceci pose, cependant, un problème majeur, dans la mesure où le pigment principal de ces encres noires — le noir de carbone, un pigment très courant également utilisé dans les crayons noir — donne invariablement le même spectre lorsqu'il est passé au crible de la spectroscopie Raman. Cette méthode n'est donc pas du tout discriminante d'une marque d'encre à une autre. « En revanche, l'analyse LDI permet de déceler, dans les dix échantillons, un polymère caractéristique, dont la masse est à chaque fois différente. Par ailleurs, on remarque, à basse masse, en comparant les spectres deux à deux, des pics spécifiques présents dans une encre et non dans l'autre. L'addition de ces deux types d'informations permet de discriminer les encres de marques différentes, mais également de modèles différents ». En collaboration avec un post-doctorant nord-américain, Laetitia Heudt a alors cherché à systématiser la comparaison en développant pour cela un logiciel informatique permettant de comparer rapidement et objectivement un grand nombre de spectres. « Ce système nous permet de faire un premier balayage: discriminer entre eux les échantillons très différents l'un de l'autre, et ceux qui se confondent dans une sorte de zone tampon. Le résultat est un score de similitude entre chaque encre de la population envisagée ».

Toute la lumière n'a, bien entendu, pas encore été faite sur la composition chimique des encres ici étudiées, qu'elles soient noires ou de couleur. « Des séries d'encre n'ont pas été discriminées via la séquence analytique proposée, alors même qu'elles proviennent de cartouches différentes. Vu le coût élevé du développement, lorsqu'une encre de très bonne qualité est élaborée, les fabricants l'utilisent en effet dans différents modèles de cartouches commerciales. Les différences se situent alors au niveau de l'électronique ou encore du design, du système d'expulsion de la goutte d'encre, etc. » Autant de différences qui ne sont pas détectées par l'analyse chimique de l'encre. « Il reste donc difficile de lier un échantillon d'encre à une cartouche commerciale déterminée, et donc à un modèle d'instrument ».

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