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Ces encres (et imprimantes) qui trahissent le suspect
07/12/2012

Diplômes, pièces d'identité, testaments: « Autant de documents qui attirent l'attention des faussaires. La falsification, tant des documents de sécurité que des documents d'identité, sont des outils facilitant la mobilité des terroristes, le trafic de drogue, le trafic d'armes, les fraudes fiscales, etc. ». C'est ce que rappelle Laetita Heudt en introduction de la thèse de doctorat en chimie qu’elle vient de défendre à l'Université de Liège, sous la double direction du Pr Edwin De Pauw (Laboratoire de spectrométrie de masse) et du Pr Bernard Gilbert (Laboratoire de chimie analytique et d'électrochimie).

Entamée en 2005, cette recherche doctorale consiste en une « Analyse moléculaire d'encres d'impression à des fins forensiques ». Comprenez, une étude comparative de méthodes d'analyse des encres 'jet d'encre' (noires et couleurs) dans le but d’aider les enquêteurs à déceler une possible falsification de documents. Un travail qui se révèle utile puisque Laetitia Heudt est aujourd'hui, dans la foulée de sa défense de thèse, sous contrat de recherche à l'Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC). Elle y est chargée de développer l'expertise 'Encres'. 

« L'encre, d'apparence homogène, est en réalité un mélange complexe, constitué d'un solvant conducteur (le « véhicule»), de matières colorantes (pigments et colorants) et de divers additifs dont la fonction est chaque fois spécifique: promouvoir l'écoulement et l'adhérence, réduire la viscosité, assurer la stabilité des colorants vis-à-vis de l'oxydation, etc. Tous les constituants jouent un rôle dans les propriétés de l'encre et déterminent sa couleur, son intensité, sa transparence, sa brillance et sa résistance », explique Laetitia Heudt, plantant ainsi le décor. « La chimie d'une encre est un élément important pour les fabricants, mais également pour des scientifiques d'un tout autre domaine: les experts en documents, qui, dans un contexte judiciaire, examinent des documents suspects en vue d'en récolter un maximum d'informations. Les résultats permettent, par exemple, de comparer une lettre de menace à l'imprimante d'un suspect ou de confondre un document falsifié ou altéré ». La chimie d'une encre est à ce point particulière qu'elle détermine les méthodes employées pour l'analyser: ainsi, si les experts se sont longtemps focalisés sur l’analyse des documents manuscrits, par la technique de chromatographie sur couche mince notamment c’est-à-dire une méthode de séparation des colorants en fonction de leur caractéristique après extraction de l’encre hors du papier, la montée en puissance des imprimantes au cours des dernières décennies a, de loin, compliqué le travail des experts.

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« Longtemps, les documents falsifiés l'étaient à la main ou à la machine à écrire. Les séquences analytiques et les modes opératoires pour l'analyse de tels documents sont bien établis et sont utilisés en routine dans bon nombre de laboratoires de criminalistique à travers le monde. Il en est autrement des documents imprimés par jet d'encre. On constate en effet que ce type d'imprimantes est aujourd'hui très prisé par les faussaires ». Le jet d’encre est un procédé d’impression qui consiste à projeter des gouttelettes d’encre depuis une petite ouverture au niveau du réservoir de l’encre jusqu'à des positions bien déterminées sur un support, de manière à créer une image. « A portée de tous, très performantes et démocratiques, les imprimantes à jet d'encre permettent de produire des faux de plus en plus proches de la réalité. Or, l'analyse des encres des documents imprimés en jet d'encre, pourtant d'intérêt grandissant dans le domaine criminalistique — pour mettre en évidence un faux document par comparaison de l'encre des fournisseurs légaux et de l'encre du document mis en cause; ou pour souligner une origine commune à des faux venant d'horizons différents; ou encore, pour aider à connecter l'imprimante d'un suspect à un document spécifique —, est paradoxalement relativement peu décrite dans la littérature ».

De là, un autre constat: l'importance, dans un contexte forensique, d'une utilisation aussi systématique que possible de méthodes d'analyse des échantillons papier (et donc des encres dont ils sont imprégnés) qui soient aussi peu destructives que possible. « Les méthodes d'analyses utilisées jusqu'à présent sont, en effet, majoritairement destructives: il faut, en somme, couper dans le papier pour procéder à son examen, ce qui va à l'encontre de l'un des souhaits de la criminalistique: le respect de l'intégrité de l'échantillon », avertit Laetitia Heudt. « Pour le coup, toute technique rapide, discriminante et non destructive qui permettrait de caractériser ces encres 'jet d'encre' à même le papier serait utile ».

(1) Aussi appelé vernis, le véhicule représente environ 70 % du poids de l’encre. Sa fonction principale est de transporter les colorants et/ou pigments depuis le réservoir jusqu’au support.

(2) Regroupés sous la dénomination de matière colorante, les colorants et pigments ont pour rôle principal de donner l’ensemble des propriétés tinctoriales à l’encre. En plus de la couleur propre à l’encre (la teinte dominante), les pigments et colorants déterminent la puissance de la couleur et sa fraicheur ainsi que le degré d’opacité (ou de transparence) de     l’encre. La résistance de l’encre vis-à-vis de la lumière, de la chaleur et des agents chimiques dépend également de la nature des matières colorantes. Les colorants sont solubles dans le milieu où ils sont utilisés, tandis que les pigments, presque totalement insolubles, sont maintenus en suspension colloïdale dans la phase fluide de l’encre.

(3) Le principe de base de la technologie jet d’encre est le contrôle numérique de l’éjection de gouttelettes d’encre depuis une tête d’impression jusqu’au substrat. Les procédés physiques et les conceptions technologiques associés sont nombreux. Il est cependant possible de les classer selon deux types de procédés très différents : le jet continu (Continuous Ink Jet ou CIJ), principalement utilisé en industrie, et la goutte à la demande (Drop-On-Demand ou DOD) développé pour les applications bureautiques. Dans le cas des encres 'jets d'encre', la majorité est à base de colorants, ceux-ci n'obstruant pas les buses.

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