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Comment le droit protège-t-il les consommateurs mineurs ?

05/12/2012

Les mineurs sont des acteurs économiques de plus en plus importants, notamment grâce au développement des nouvelles technologies. Les entreprises et les publicitaires ont bien compris le profit à tirer de ces évolutions. Une thèse de doctorat (1) d’Aurélie Nottet, assistante à l’Université de Liège, analyse si le droit s’est adapté afin de protéger ces consommateurs plus vulnérables.

COVER conso mineurAchats en ligne en quelques clics, paiements par sms, cartes de banque dès l’adolescence… Tout est mis en œuvre dans la société de consommation pour faciliter les dépenses des mineurs, qui sont aussi particulièrement exposés aux campagnes publicitaires. Face à cette modernité, c’est dans le Code civil de 1804 qu’il faut aller chercher l’une des principales dispositions protégeant le consommateur mineur. Le code napoléonien prévoit qu’un mineur peut contracter, et donc notamment acheter des biens de consommation, tant qu’il n’est pas « lésé » par l’acte d’acquisition, autrement dit que l’achat demeure acceptable par rapport à ses moyens financiers et à ses intérêts (2). Si l’achat est disproportionné, les parents du mineur ont le droit de retourner chez le vendeur avec l’objet acheté et de réclamer le remboursement de la somme dépensée. Si le vendeur refuse, les parents peuvent demander la nullité du contrat en justice. 

« Ce concept de lésion, qui est à géométrie variable, est intéressant et intelligent, souligne 
Aurélie Nottet, assistante à l'ULg: la lésion d’un enfant de 6 ans n’est pas celle d’un jeune de 17 ans. Un mineur de 6 ans pourra s’acheter un paquet de bonbons ou une glace alors que celui de 17 ans pourra certainement s’acheter des vêtements à des prix raisonnables. En revanche, quand un mineur rentre chez lui avec un nouveau téléphone mobile ou un ordinateur, alors que ses parents n’étaient pas d’accord avec cet achat, ils ont intérêt à retourner au magasin et à tenter de s’arranger à l’amiable avec le commerçant. Si le bien a déjà été utilisé ou a été endommagé, le commerçant refusera sans doute de le rembourser et il sera nécessaire de saisir le juge ».  

Rares sont cependant les parents au courant de la possibilité d’aller en justice dans de tels cas et qui souhaitent engager une telle procédure. « Quand un enfant fait du shopping un mercredi après-midi et dépense 300 euros, les parents sont choqués, mais ils ne vont pas aller en justice pour demander l’annulation des achats car l’action leur coûterait beaucoup d’argent et de temps, poursuit Aurélie Nottet. Les entreprises le savent et n’ont donc aucun scrupule à contracter avec un mineur, même si elles se doutent parfois qu’il agit en contravention avec ses intérêts et, donc, avec la loi. La plupart des exemples de jurisprudence datent de l’époque où la majorité était acquise à 21 ans, avant 1990. On connaissait alors des mineurs plus « âgés » qu’aujourd’hui, dont certains étaient déjà dans la vie active. Il arrivait alors que des parents tirent argument de leur statut d’incapacité pour réclamer la nullité d’actes exagérés et dispendieux, comme l’achat d’une voiture de luxe ».

Interdiction des publicités trop incitatives

La directive européenne qui interdit les pratiques commerciales déloyales peut également être utilisée pour protéger les mineurs consommateurs. Transposée en droit belge depuis 2007, elle interdit notamment la publicité qui incite directement les mineurs à acheter ou à persuader leurs parents d’acheter des biens ou des services. « L’incitation directe vise les publicités les plus oppressantes, très appuyées, qui vont par exemple tutoyer l’enfant, comme dans "Appelle vite tel numéro" ou "Impressionne tous tes potes". En ce qui concerne la persuasion des parents, il s’agit par exemple de formules comme "Demande à ta maman d’aller acheter telle nouvelle poupée", précise l’auteure de la thèse. En 2008, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adressé un avertissement à la chaîne de télévision Club-RTL, suite à la diffusion d’une publicité qui incitait les enfants à téléphoner à St-Nicolas via un numéro surfacturé (3). L’éditeur, la s.a. TVI,  a été contraint de diffuser un communiqué relatant l’infraction. Lire l'encadré sur les publicités pour la Saint-Nicolas.

Si une telle publicité était de nouveau diffusée et qu’un enfant téléphonait plusieurs fois à ce numéro surfacturé, alourdissant fortement la facture de téléphone de ses parents, ceux-ci pourraient aller en justice pour faire valoir que ces dépenses font suite à une pratique commerciale déloyale, et être dispensés de les payer. Il est toutefois peu probable qu’une personne engage une action devant les tribunaux pour quelques dizaines ou même centaines d’euros. Aurélie Nottet : « Pour solutionner ce problème, on commence à envisager des actions collectives par des associations de consommateurs qui ont plus de moyens. Il existe aussi un Jury d’éthique publicitaire, mais il est financé par les entreprises publicitaires. Ses représentants affirment qu’ils réprimandent leurs membres quand une publicité n’est pas éthique ou ne respecte pas la législation, mais ils sont très souples dans leurs appréciations, très légers dans leurs sanctions ». Lire l'encadré sur les programmes pour enfant.       

Droit belge vs droit européen

codeconsommationIl arrive que le législateur belge, en voulant protéger les mineurs, se heurte au droit européen. Un code d’éthique pour les télécommunications est entré en vigueur en 2011 suite à l’adoption d’un arrêté royal. Il lutte notamment contre les abus liés aux appels et aux sms surfacturés en imposant des règles strictes pour les mineurs : une limitation du prix des sms, l’obligation dans les publicités d’indiquer clairement que le mineur doit demander l’autorisation préalable de ses parents pour y souscrire (ce qui est intéressant lorsque l’envoi d’un sms implique la réception payante de nombreux autres), etc. « Ce code d’éthique est détaillé, il protège les jeunes mais il est contraire à la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales, explique Aurélie Nottet. Cette directive interdit notamment les pratiques commerciales qui sont contraires à la diligence professionnelle et qui sont susceptibles d’altérer le comportement économique du consommateur moyen ou, le cas échéant, du consommateur mineur moyen. Or, cette directive est d’harmonisation complète, ce qui veut dire que les Etats membres doivent la transposer dans leur droit national sans pousser plus loin la protection des consommateurs. La Cour de Justice de l’Union européenne pourrait donc voir ce code d’éthique d’un mauvais œil ».

Mais, indépendamment du code d’éthique, un parent dont l’enfant aurait abusé de l’utilisation de sms surfacturés garde plusieurs possibilités de contester la facture qui lui est adressée. Aurélie Nottet : « Il peut avancer le fait que ces contrats de services sms font suite à des pratiques commerciales déloyales (par exemple le manque de transparence sur le prix des sms envoyés et reçus), ou que le mineur est lésé par ces contrats. Dans ces deux cas, les contrats verront leurs effets anéantis dans un sens favorable au mineur. Avant d’aller en justice, le parent peut aussi s’adresser à l’opérateur de téléphonie, au médiateur des télécoms ou à une association de consommateurs ».   

Dans sa thèse, l’auteure souligne que des pans importants du droit de la consommation ne tiennent pas compte de la vulnérabilité particulière des mineurs. Il s’agit par exemple de ce qu’elle nomme « la publicité personnalisée » (e-mails, messages publicitaires nominatifs envoyés par la poste, sms, appels téléphoniques classiques ou de la part d’automates d’appel). Adultes et mineurs sont sur un pied d’égalité dans ce domaine. « Les courriers électroniques publicitaires ne peuvent en principe être envoyés qu’à la suite d’un consentement donné pour les recevoir, par exemple au moyen d’une case à cocher en bas d’un écran. Mais il est toujours possible de retirer son consentement et de demander à l’entreprise de ne plus envoyer ces messages, un parent peut d’ailleurs entreprendre cette démarche pour que son enfant soit retiré d’une liste de diffusion. Si l’entreprise ne le fait pas, elle risque des sanctions pénales ».

Chacun peut s’inscrire sur les listes noires reprenant les noms des consommateurs qui demandent à ne plus être approchés par des publicités personnalisées, les listes Robinson (4), mais elles ne concernent que les courriers postaux et les offres publicitaires par téléphone. D’autre part, seules les quelques 450 entreprises membres de la « Belgian Direct Marketing Association » sont tenues de consulter ces listes. «S’il existait un système centralisé et complet de listes qui fonctionnent bien et qui sont rendues obligatoires non par une association privée mais par la loi, les parents pourraient y inscrire leur enfant avec la certitude que celui-ci ne sera pas approché par de la publicité personnalisée », remarque Aurélie Nottet.

Les limites du droit de rétractation

Autres aspects du droit de la consommation qui n’offrent pas de protection particulière envers le mineur : l’information et le droit de rétractation en cas d’achat à distance, un type de transaction en forte augmentation ces dernières années suite au développement d’internet et à la diversification des modes de paiement en ligne. Dans le cas des achats par internet, le consommateur (majeur ou mineur) doit en effet recevoir davantage d’informations que pour un achat normal. En outre, il peut renvoyer le bien au vendeur et être remboursé de son achat dans un délai de 14 jours (parfois 3 mois si le vendeur informe mal l’acheteur notamment au sujet de la possibilité de rétractation).

« Ces mesures ne sont pas adaptées à la situation d’un consommateur mineur, dénonce Aurélie Nottet: s’il achète seul, il recevra beaucoup d’informations, mais il n’est pas sûr qu’il va les lire et les comprendre. Quant à son droit de rétractation, sait-il comment l’exercer ? Il devra probablement demander l’aide de ses parents pour renvoyer le bien au vendeur, qui est parfois situé à l’autre bout du monde. Un aspect intéressant de ce droit de rétractation est que les parents peuvent contraindre l’enfant à renvoyer le bien… mais encore faut-il qu’ils s’aperçoivent suffisamment tôt de l’achat. Des mineurs téléchargent parfois sur internet des éléments qui demeurent dans des dossiers sur l’ordinateur et quand leurs parents s’en aperçoivent, le délai de 14 jours est passé ».

Achat-en-ligneL’auteure de la thèse avance toutefois un raisonnement, selon lequel le délai de rétractation pourrait souvent être étendu à 3 mois dans le cas d’un achat à distance par un consommateur mineur (prochainement, ce délai étendu devrait même passer de 3 mois à 12 mois en raison d’une nouvelle directive européenne sur le sujet). « La loi stipule que l’acheteur à distance doit recevoir un série d’informations sur le produit. Selon les règles du Code civil, cette fourniture d’informations est un acte juridique de la part du vendeur vis-à-vis du consommateur. Si celui-ci est un mineur, et donc incapable sur le plan juridique, cette information devrait parvenir à ses parents qui sont ses représentants légaux. Comme c’est rarement le cas, l’entreprise est quasiment toujours "fautive" dans l’exécution de son devoir d’information. Du coup, le délai de rétractation peut être porté à 3 mois, bientôt à 12 mois. Cela dit, ce type de raisonnement qui consiste à appliquer cumulativement le droit de la consommation et le droit de la minorité est franchement alambiqué et donne lieu à des solutions certes protectrices du consommateur mineur, mais peu accessibles en pratique ».
 
En conclusion, Aurélie Nottet estime qu’il n’est pas vraiment nécessaire de légiférer davantage pour protéger le consommateur mineur. Elle plaide surtout pour une meilleure application des textes qui existent, comme ceux sur les pratiques commerciales déloyales et la nullité des achats qui lèsent le mineur. « Puisque le consommateur n’a pas les moyens d’agir en justice car il n’en a ni l’envie, ni le temps, ni l’argent, il faut qu’on soit beaucoup plus strict vis-à-vis des comportements des entreprises. Celles-ci savent ou supposent souvent que tel ou tel acheteur est mineur, mais le risque est si minime de voir le contrat remis en question, que les entreprises foncent et vendent. Cette façon de faire est encore plus répandue dans les ventes sur internet où les entreprises peuvent se retrancher derrière le fait qu’elles ne voient pas leur client. Imposer le respect des textes de loi existants permettrait d’assurer au consommateur mineur la protection qu’il mérite ». 

(1)  Le consommateur mineur. Analyse juridique de la protection d'une personne doublement vulnérable, thèse de doctorat, Université de Liège.
(2) Article 1305 du Code civil
(3) ‘Le 6 décembre, c’est la fête des enfants avec St-Nicolas, et cette année encore il a plein de cadeaux pour vous. Demande à ta maman ou à ton papa d’appeler avec toi le 0900/21.XXX et tu pourras parler directement au grand St-Nicolas. Si tu as été bien sage, tu recevras certainement un super cadeau. N’hésite plus et appelle tout de suite St-Nicolas au 0900/21.XXX’

(3) ‘Le 6 décembre, c’est la fête des enfants avec St-Nicolas, et cette année encore il a plein de cadeaux pour vous. Demande à ta maman ou à ton papa d’appeler avec toi le 0900/21.XXX et tu pourras parler directement au grand St-Nicolas. Si tu as été bien sage, tu recevras certainement un super cadeau. N’hésite plus et appelle tout de suite St-Nicolas au 0900/21.XXX’


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