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Revêtement antibactérien

23/11/2012

Que peuvent faire ensemble des sidérurgistes et des biologistes ? Entre autres choses recouvrir l’acier d’un revêtement antibactérien. Plusieurs publications (1) et des dépôts de brevets viennent couronner le programme Biocoat qui a débuté en 2006. Et qui cède la place à une plate forme d’innovation technologique : Symbiose Biomaterials. Le but ? Ne plus se limiter au secteur de l’acier mais étendre les acquis de Biocoat à d’autres supports et à de nouvelles applications.

C’est avec beaucoup d’interrogations en tête que, en 2004, le professeur Joseph Martial, alors directeur de l’Unité de recherche « biologie et génétique moléculaire » de l’Université de Liège, se rend à une réunion dont l’objet est le redéploiement du bassin sidérurgique liégeois. Jusqu’alors en effet biologistes et sidérurgistes ne se fréquentaient guère, ignorant tout l’un de l’autre. Mais le professeur Martial compte parmi ses chercheurs une équipe dirigée par Cécile Van De Weerdt, aujourd’hui chef de projet, ULg-GIGA–R, Biologie et génétique moléculaire. C’est à elle que Joseph Martial s’adresse au sortir de sa réunion : «Et si on mettait des protéines sur de l’acier ? ». Commence alors pour Cécile Van De Weerdt un long travail de défrichage. « Je me suis rendu compte, se souvient-elle, qu’il existait aux Etats-Unis beaucoup de publications dans le domaine de la biomimétique moléculaire. Ces études observaient comment la nature forme des matériaux, des structures adaptées à des environnements particuliers. Le but était bien sûr d’arriver à imiter cette façon de faire. Quand on regarde de plus près, on voit qu’il existe des protéines qui assemblent la matière inorganique pour élaborer des structures originales. Un bel exemple de ce savoir faire est la nacre qui est un composite doté de propriétés exceptionnelles pas encore égalées dans des composites de synthèse. L’association protéines-matériaux avait donc du sens. Elle en a d’autant plus que la nature construit des matériaux avec des briques de base qui ne sont pas toxiques, lors de procédés doux c’est-à-dire à température ambiante, le plus souvent en solution aqueuse, sans émission de polluant… Le rêve de tout industriel en quelque sorte. »

L’industriel, le groupe Arcelor (pas encore Mittal à l’époque), s’est effectivement montré intéressé par ces perspectives. Biologistes et sidérurgistes ont alors commencé à se rencontrer pour apprendre à se connaître, Catherine Archambeau, ingénieur de recherche chez Arcelor assurant la responsabilité du projet côté industriel. Le but de ces réunions préliminaires était aussi de déterminer s’il existait un réel besoin industriel auquel les scientifiques pouvaient répondre. Parmi plusieurs pistes, plusieurs fonctionnalités recherchées, c’est le revêtement antimicrobien qui a été sélectionné. La Région Wallonne a de suite soutenu le projet, appréciant que deux pôles forts de la Wallonie, un ancien (la sidérurgie) et un émergent (les biotechnologies) s’associent. Un PPP (partenariat public-privé), dénommé Biocoat, voyait le jour en janvier 2006. Deux autres entités de l’Université de Liège ont alors rejoint le programme : tout d’abord le laboratoire du professeur Jérôme et plus particulièrement Christophe Detrembleur (maître de recherche FNRS, Centre d’études et de recherches sur les macromolécules); celui du professeur Anne-Sophie Duwez ensuite (Nano-chimie et systèmes moléculaires).  Le but ? Créer un revêtement innovant sur acier aux propriétés antimicrobiennes en associant des biomolécules et des polymères, tout en mettant en œuvre des technologies les plus vertes possibles et respectant les contraintes techniques et économiques dictées par Arcelor. En clair, le revêtement devait se faire en un minimum d’étapes.moule

Moules et batraciens

La nature a servi de modèles aux scientifiques à deux niveaux : la colle et la substance antimicrobienne. Le choix de la colle a été vite résolu, tant les études étaient nombreuses à ce sujet. Les mollusques marins, particulièrement la moule, secrètent un adhésif à base de DOPA qui leur permet de s’accrocher sur à peu près n’importe quelle surface ;  l’équipe de Christophe Detrembleur a repris ce principe actif pour l’insérer dans des polymères. Ils ont testé différentes architectures jusqu’à déterminer la meilleure « colle », la couche d’ancrage qui allait permettre de lier le revêtement antimicrobien sur l’acier.

crapaud La grande nouveauté du programme Biocoat est cependant l’utilisation de biomolécules comme antibactérien. Cécile Van de Weerdt : « Notre peau intervient dans notre système immunitaire ; elle est pourvue de défenses. Celles des batraciens, qui vivent dans des milieux en général putrides, encore bien davantage que la nôtre. Leur défense est assurée par des molécules très ancestrales contre lesquelles il n’y a pas de résistance connue. Ce sont de petits peptides souvent à charge positive puisque la paroi des bactéries est chargée négativement. Ils interviennent par des attaques sauvages contre la paroi des bactéries ; ce sont des agressions qui ne sont pas ciblées alors que nos antibiotiques, eux, s’attaquent de manière bien plus ciblée au mécanisme de construction de la paroi en tentant de bloquer ce mécanisme. Il suffit que l’enzyme qui reconnait l’antibiotique change un peu pour que la bactérie contourne le problème et s’adapte à son agresseur. Ce n’est pas possible avec les peptides des batraciens. Ces molécules ont encore un autre avantage. Si, à petites doses, ces antimicrobiens sont actifs contre les membranes des bactéries, à plus grosses doses, ils sont actifs contre les membranes de cellules comme les cellules humaines et plus spécifiquement les cellules cancéreuses. Les peptides antimicrobiens intéressent donc beaucoup les chercheurs. De nouveaux peptides font leur entrée tous les jours dans les bases de données internationales. »

Nanoparticules d’argent

Cependant, avant de développer un revêtement bio-inspiré, ce qui est la grande nouveauté du projet Biocoat, il fallait maîtriser l’ensemble des techniques, ce qui était plus simple à réaliser avec un antibactérien plus classique, mieux connu mais non biologique celui-ci : des nanoparticules d’argent. « Une des grandes fonctionnalités visées par notre projet, explique Christophe Detrembleur, vise à donner à l’acier industriel des propriétés antibactériennes permanentes à large spectre. De nombreuses méthodes permettent de conférer ce genre de propriétés à des surfaces mais peu s’avèrent être transposables à l’échelle industrielle car trop compliquées et/ou elles utilisent des composés onéreux ou encore de grosses quantités de solvants organiques toxiques. Développer un nouveau concept de revêtement fonctionnel nous semblait ici important. Concrètement, le défit lancé était de développer une solution aqueuse d’un polymère multifonctionnel qui combine adhésion bio-inspirée et propriétés antibactériennes à large spectre. Afin de diminuer les coûts du procédé, nous envisagions de déposer le revêtement sous forme de couches minces (quelques dizaines de nanomètres) hautement actives et ce, en un minimum d’étapes. En 2009, nous avons publié une telle approche bio-inspirée hautement efficace (J. Mater. Chem. 2009, 19, 4117-4125). »

Recherche terminée donc ? Pas du tout. D’abord parce que la méthode mise au point  nécessitait encore des dépôts successifs des principes actifs. Ce qui ne pouvait évidemment convenir aux industriels. « Nous voulions donc le simplifier, explique Christophe Detrembleur, en utilisant les mêmes produits de base mais en changeant la façon de les déposer. Nous avons pré-assemblé de manière judicieuse les principes actifs (polymères hydrosolubles bio-inspirés pour l’adhésion et nanoparticules d’argent antibactériennes) dans l’eau afin de disposer d’une solution « prête à l’emploi », donc prête à être appliquée sur le substrat par simple trempage ou par spray. Le système s’avère très performant et beaucoup plus rapide que le précédent. » Cette recherche a été publiée récemment (Langmuir 2012, 28, 7233-7241).

Recherche à poursuivre aussi car la substance antibactérienne n’était pas organique et ne présentait aucune caractéristique de durabilité : l’argent est cher, polluant et la forme nano inspire à tout le moins des interrogations si ce n’est des craintes. Sans oublier l’essentiel : les propriétés antibactériennes de tels assemblages ne sont pas permanentes. Les nanoparticules d’argent migrent en effet hors du film qui recouvre l’acier pour aller tuer les bactéries. Dès que toutes les nanoparticules sont hors du film, il n’y a plus de propriété antibactérienne. L’étape suivante de la recherche consistait donc à utiliser des peptides antibactériens qui ne seraient pas rejetés par le revêtement afin que l’activité soit préservée. « Greffer des peptides n’a pas été simple, se souvient Christophe Detrembleur. Ce sont des molécules sensibles, il ne faut pas les chauffer, ni utiliser n’importe quel solvant. Le but était de travailler à température ambiante dans l’eau. » Mais là aussi, mission accomplie (J. Mater. Chem. 2011, 21, 7901-7904).

Assurer l’activité à long terme

BiofilmLes chercheurs liégeois en sont maintenant à la troisième étape : assurer l’activité à long terme. Il ne faut pas que le principe actif déposé sur la surface se dénature par exemple sous l’effet de la lumière. Les peptides sont en effet des biomolécules et pour être efficaces, il faut qu’elles aient une certaine conformation et, bien entendu, qu’elles la gardent. Mais là aussi, les tests se révèlent positifs. Mieux, ils ont montré que la découpe des plaques d’acier (ce qui sera tout de même la norme lorsqu’il faudra construire des objets (meubles, tables, frigos, etc.) avec l’acier ainsi revêtu !) n’entraîne pas d’arrachage du film et que l’activité antimicrobienne était préservée.

Enfin, il faut noter que, contrairement aux autres solutions offertes, les chercheurs liégeois ont attaqué le problème de l’antibactérien d’une manière multifonctionnelle : empêcher l’adhésion des bactéries sur la surface, tuer les bactéries ou empêcher la formation de biofilm (une fois sur la surface, les bactéries produisent un film de polysaccharine qui leur permet de s’accrocher encore mieux). « Nous avons maintenant mis au point une solution « prête à l’emploi », précise Christophe Detrembleur, qui permet la fonctionnalisation de substrats par des biomolécules (enzymes antibiofilm, peptides antibactériens,…). Nous avons d’abord étudié ces trois fonctions séparément ; maintenant, il nous faut les réunir sur le même film de surface. La technologie, le socle, la plateforme est la même. Seul le film actif déposé en dernière couche sur le support est différent (Adv. Funct. Mater. 2012, DOI: 10.1002/adfm.201201106). Soit une molécule anti-bactérienne, soit antibiofilm, soit antiadhésion. On a validé sur les trois séparément ; maintenant nous voudrions les 3 fonctions ensemble, sur le même film. »

La création de Symbiose Biomaterials

Le programme Biocoat est aujourd’hui terminé. Du moins en tant que tel. Il a en effet été réorienté vers des applications plus larges. « Quand on travaille avec la DOPA, précise Cécile Van De Weerdt, on constate qu’elle s’accroche sur toutes les surfaces, y compris du Teflon ! On a donc été tenté de se dire que tout ce que nous avions développé dans le cadre du projet Biocoat pouvait être étendu à d’autres matériaux. La Région wallonne et l’Université ont donc décidé de créer une plate forme d’innovation technologique appelée Symbiose Biomaterials, qui sera hébergée au sein de MecaTech, le pôle de compétitivité wallon en génie mécanique. Son but est d’accélérer la mise sur le marché de développements issus de la recherche Biocoat. Bien sûr, d’autres laboratoires universitaires, d’autres centres de recherche, d’autres entreprises y seront associés. » Pour aller dans quelles directions ? Les responsables du projet en ont déterminé trois parmi d’autres possibilités. La première est évidemment tout ce qui a trait aux revêtements antimicrobiens pour les hôpitaux, les bouchers, les chambres froides, etc. Mais cette fois, peu importe la surface acier, verre ou autre : on change simplement la biomolécule mais on garde le produit actif, c’est un des intérêts du choix de base de la DOPA comme colle. La deuxième direction retenue est toujours celle du revêtement, mais spécifique au secteur des implants médicaux. Les progrès de la médecine se traduisent en effet par l’implantation de plus en plus fréquente de « pièces de rechange » dans notre corps. Enrober ces implants d’un revêtement antimicrobien permettrait sans doute d’éviter bien des rejets et des infections. La troisième direction retenue est sans doute la plus innovante, voire la plus prometteuse. Biocoat a en effet permis aux chercheurs liégeois de se familiariser avec la technologie GEPI (Genetically Engineered Polupeptide for Inorganics). Autrement dit d’ingénier, de construire des petits peptides sur mesure, d’utiliser des protéines pour réaliser un assemblage contrôlé à l’échelle nanomoléculaire. Comme son nom l’indique, le GEPI est donc un polypeptide conçu par génie génétique, qui reconnaît spécifiquement un matériau inorganique. De quoi faire de la nanodétection, du tri, de la manipulation d’objets nanos. Un brevet a ainsi été déposé pour un peptide capable d’aller repêcher des nanopoudres au milieu d’un tas. Ou, autre exemple, repêcher des terres rares, dont la valeur ne cesse de croître, dans des déchets. Ou les utiliser dans des filtres pour chercher un contaminant comme des nanoparticules de TiO2 sans filtrage de l’eau. Symbiose Biomaterials a de belles perspectives !

(1) Parmi les plus récentes :

Sustainable and bio-inspired chemistry for robust antibacterial activity of stainless steel;
Faure, Emilie et al. In Journal of Materials Chemistry 2011, 21, 7901-7904.

A green and bio-inspired process to afford durable antibiofilm properties to stainless steel ; Faure, Emilie et al. In Biofouling 2012, 28, 719-728.

Antibacterial polyelectrolyte micelles for coating stainless steel ; Falentin Céline et al. In Langmuir 2012, 28, 7233-7241.

Functional nanogels as platforms for imparting antibacterial, antibiofilm, and antiadhesion activities to stainless steel ; Faure, Emilie et al. In Advanced Functional Materials 2012  DOI: 10.1002/adfm.201201106.

Catechols as versatile platforms in polymer chemistry ; Faure, Emilie et al. In Progress in Polymer Science 2012, http://dx.doi.org/10.1016/j.progpolymsci.2012.06.004.


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