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L’art de (bien) questionner les animaux
31/10/2012

À quoi s’intéressent les rats dans les expériences ? Les chèvres sont-elles d’accord avec les statistiques ? Les pingouins sortiraient-ils du placard ? Les oiseaux font-ils de l’art ? Qui s’est jamais posé ce genre de questions ? La philosophe Vinciane Despret, elle, en a fait l’objet de son nouvel ouvrage, Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ? Un abécédaire adoptant un ton tantôt humoristique, tantôt dénonciateur, qui s’interroge sur les relations qu’entretiennent les humains (et surtout les scientifiques) avec les animaux. Parce qu’une autre manière de « faire science » est possible…

Andrew, Dora, Charles, Bertha, Eric et Caroline coulaient des jours tranquilles au zoo d’Édimbourg. Ce groupe de pingouins captifs, observé de 1915 à 1930 par un groupe de zoologues, avait fini par se voir attribuer par ceux-ci une série de petits noms en fonction de la place occupée par chacun au sein du couple. Pour les chercheurs, rien de plus limpide : puisque deux pingouins filaient le parfait amour, cela signifiait forcément que l’un était un mâle et l’autre une femelle. Pourtant, après des années de contemplation, ils durent se rendre à l’évidence : la plupart de ces couples n’étaient pas mixtes. Il fallut donc rebaptiser tout le monde. Andrew devint Ann, Eric se mua en Erica, Bertha se transforma en Bertrand et sa compagne, Caroline, se changea en Charles.

De l’homosexualité, dans la nature ? À l’époque, le phénomène fut classé sans suite dans la catégorie « phénomène rare ». Une pathologie liée à coup sûr aux conditions de captivité. La littérature scientifique ne fit plus état de ces comportements que l’on décrivait alors comme déviants. Pourtant, dans le courant des années 80, la nature sembla virer massivement « contre nature » et les comportements homosexuels observés furent très nombreux.

« Sans doute faudra-t-il envisager les effets désastreux, dans ces mêmes années, de la révolution queer et des mouvements homosexuels américains qui auraient contaminé des inCOVER-Que-diraient-les-animauxnocentes créatures », ironise Vinciane Despret, professeure à l’Université de Liège. Dans son nouvel ouvrage, Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ? (1), l’auteure préfère aborder le sujet sous un autre angle : « Pourquoi n’a-t-on pas vu d’homosexualité dans la nature jusque-là ? »

D’abord car on ne voyait pas l’homosexualité parce que l’on ne s’attendait pas à la voir, avance-t-elle, s’appuyant sur les travaux du biologiste américain Bruce Bagemihl. Ensuite parce que, de manière générale, les animaux préfèrent copuler à l’abri des regards indiscrets. Peut-être aussi car certains scientifiques de l’époque, admettant avoir observé des relations gays chez les animaux, ont par la suite avoué s’être tus de peur d’être taxés d’homophobes... L’homosexualité, dès lors, serait-elle naturelle ? Peut-on dire que les animaux sont homosexuels dans le sens où nous l’entendons ? D’ailleurs, dans quel sens pouvons-nous affirmer que nous le sommes ?

Autant d’interrogations soulevées par la chercheuse, qui se garde toutefois bien d’y répondre. Dans Que diraient les animaux si…, Vinciane Despret s’est « offert le luxe de ne pas apporter de réponses aux questions posées. » Et des questions, l’ouvrage en pose pléthore. « Au moins 26 », sourit-elle. Comme le nombre de chapitre que comporte cet abécédaire.

Les chevaux devraient-ils consentir ?

En plus de se demander, avec la lettre « Q » pour queer, si les pingouins ne sortiraient pas du placard, pour reprendre l’exemple cité ci-dessus, la philosophe s’interroge aussi : les oiseaux font-ils de l’art ? Les chèvres sont-elles d’accord avec les statistiques ? Est-ce bien dans les usages d’uriner devant les animaux ? À quoi s’intéressent les rats dans les expériences ? Peut-on vivre avec un cœur de cochon ? Autant de questions qui peuvent tantôt paraître légères (lettre « B », comme bêtes : les singes savent-ils vraiment singer ?) tantôt provocatrices (« Z » comme zoophilie : les chevaux devraient-ils consentir ?)

(1) Vinciane DESPRET, Que diraient les animaux si... on leur posait les bonnes questions?, Paris, La Découverte, coll. "Les empecheurs de penser en rond", 2012, 325p.

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