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Futur incertain pour la calotte du Groenland

08/11/2012

Xavier Fettweis, chercheur au Laboratoire de climatologie et de topoclimatologie de l’Université de Liège, étudie et tente de prévoir l’évolution de la calotte glacière du Groenland depuis plus de 10 ans (lire aussi l’article Groenland : la calotte fond plus vite que prévu en surface). Ses récents travaux (1) montrent que la fonte de cette calotte s’accélère. L’année 2012 peut d’ores et déjà être considérée comme une année record en matière de dégel. De nombreuses incertitudes planent encore sur l’avenir de cette île glacée et sur les conséquences de l’écoulement de l’eau de fonte vers les océans.

Depuis 4 millions d’années, la pérennité de la calotte glacière du Groenland est assurée par les chutes de neige qui s’accumulent au centre de l’île et se transforment en glace. Chaque année, la calotte du Groenland gagne de la masse en hiver grâce aux précipitations neigeuses et elle en perd en été via la fonte et la décharge d’icebergs dans l’océan. Depuis toujours, en dépit du dégel croissant, le bilan de masse annuel en surface de la calotte, c’est-à-dire la différence entre les gains (chutes de neige) et les pertes de masse (fonte) en surface, est positif. L’intérieur et les sommets de la calotte – la « zone d’accumulation » – continuent de gagner de la masse grâce aux chutes de neige, plus importantes que la fonte estivale. Au contraire, les bords de la calotte, plus bas en altitude, ont tendance à se consumer rapidement. Dans cette « zone d’ablation », la masse perdue par la fonte ne cesse d’augmenter. En été, une fois la neige hivernale disparue, de la glace vive apparaît, ce qui accélère encore la fonte car elle est moins blanche que la neige et absorbe donc plus de rayonnement infrarouge. Le bilan de masse en surface y est donc déficitaire. Malgré l’extension de la zone de fonte, la calotte du Groenland se maintient en équilibre grâce à la dynamique des glaces, qui redistribue la masse neigeuse accumulée au centre vers les bords de la calotte.

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2012, année record

Depuis la fin des années 1990 (et en particulier depuis 2007), la calotte du Groenland ne cesse de perdre de la masse. Deux raisons principales sont à cela : l’accroissement du processus de fonte à la surface et l’augmentation de la décharge d’icebergs dans l’océan. En 2012, le maximum absolu de fonte depuis 50 ans a ainsi été atteint (plus de 100 % de fonte en plus par rapport à la moyenne). Mi-Juillet 2012, l'entièreté de la surface de la calotte fondait. « Les fontes enregistrées sont largement au-dessus de tous les précédents records. La calotte est vraiment en train de fondre de manière significative », explique Xavier Fettweis, chargé de recherches FNRS au Laboratoire de climatologie et de topoclimatologie de l’Université de Liège.

En cause, non pas seulement le réchauffement global mais une modification de la circulation atmosphérique estivale. Depuis une dizaine d’années, on observe en été une augmentation des anticyclones centrés sur le Sud du Groenland. Favorisant des vents du Sud, ils amènent de l’air chaud le long de la côte ouest du Groenland et accélèrent le processus de fonte en surface.

Alors que la calotte était toujours parvenue à garder l’équilibre entre ses gains et ses pertes de masse, les fontes records de ces derniers mois font craindre un renversement de situation. Au mois d’août 2012, le bilan de masse en surface du Groenland a atteint le minimum absolu enregistré depuis au moins 50 ans. La calotte n’était donc plus à l’équilibre, la fonte et le détachement d’icebergs dépassant les arrivages de neige. Les conditions atmosphériques des prochains mois seront déterminantes pour le bilan de 2012. Si le vent ne tourne pas et que le dégel continue à s’accentuer, 2012 pourrait cependant finir dans le rouge et l’équilibre gain/perte pourrait être rompu.

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Quelles conséquences sur le climat ?

Si l’île de glace attire en nombre les chercheurs du monde entier, c’est en raison de ses conséquences sur l’environnement. Le dégel de la calotte n’est pas sans impact sur notre climat.

La fonte des glaces, même partielle, entraîne irrémédiablement la hausse du niveau des mers, l’eau de fonte glissant sur la calotte pour se déverser dans l’Océan Atlantique. Actuellement, les pertes de masse du Groenland correspondent à une élévation du niveau de mers de près de 1 à 2 mm par an. A terme, l’apport d’eau de fonte entraînera en 2100 une hausse de l’ordre de 5 à 20 cm du niveau des mers, contribuant à la mise en péril de certains de nos pays côtiers situés à basse altitude, comme les Pays-Bas. A cela s’ajoute une possible augmentation du vêlage d'icebergs dans l’océan, représentant une perte de masse supplémentaire de 20-30 %.


Le déversement d’eau de fonte dans l’Atlantique Nord est susceptible de perturber, d’autre part, la circulation thermohaline, régissant les courants marins comme le Gulf Stream. L’arrivée massive d’eau froide et douce provoquée par la fonte du Groenland réduira la densité du Gulf Stream, normalement salé. Le courant océanique, auquel sa salinité permettait de couler au large des côtes groenlandaises, ne serait plus à même de circuler en profondeur pour revenir vers le Sud. Le scénario catastrophe prévoit alors que le Gulf Stream s’immobiliserait, cessant d’alimenter en eau chaude les côtes européennes et provoquant une baisse significative de notre température, alors même que la planète se réchauffe globalement. Il est cependant plus vraisemblable que l’ajout d’eau douce au Gulf Stream ne le stoppe pas mais le ralentisse, avec pour conséquence une temporisation de l'effet du réchauffement climatique dans nos régions.

Entre optimisme et pessimisme, un futur incertain

Quantifier et prévoir la fonte de la calotte du Groenland n’est donc pas sans intérêt, le destin de l’île glacée étant intimement lié au nôtre. Xavier Fettweis est un modélisateur. A partir d’un modèle régional du climat (le modèle MAR) et d’observations satellitaires, il tente de faire des projections sur l’avenir de la calotte et l’évolution de son bilan de masse.

Le GIEC, pour son prochain rapport en 2013, propose plusieurs scénarios relatifs à notre mode de vie et à nos émissions de gaz à effet de serre dans le futur. Le premier, relativement optimiste, prévoit un quasi doublement de la concentration actuelle des gaz à effet de serre. La contribution de la fonte en surface à l’élévation du niveau des mers en 2100 tournerait ainsi autour de 4 cm (4 ± 2 cm). Mais un autre scénario plus pessimiste envisage le triplement de la concentration actuelle des gaz à effet de serre. Le niveau des mers pourrait alors s’élever d’une dizaine de centimètre en 2100 (10 ± 4 cm).

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La fonte future de la calotte ne fait plus de doute. Reste cependant à déterminer l’ampleur des dégâts. Beaucoup d’incertitudes subsistent au niveau des scénarios climatiques et de la modélisation, rendant les projections précaires. La variabilité naturelle du climat empêche toute certitude quant à l’évolution dans les prochaines années de la circulation atmosphérique en été, cause principale des records de fonte actuels. De nombreuses autres variables sont également susceptibles d’introduire des biais dans les résultats. Pour modéliser les différents scénarios possibles, Xavier Fettweis utilise une topographie fixe de la calotte. Celle-ci ne prend donc en compte ni le changement d’altitude résultant de la fonte des glaces, ni la dynamique des glaces, ni la décharge des icebergs dans l’océan. La connaissance de la calotte elle-même demeure encore très incomplète, de nouvelles découvertes venant sans cesse modifier les projections. 

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Preuve de l’incertitude qui plane sur ces résultats, une récente publication américaine dans la revue Nature (Harper et al., 2012) postpose d’une décennie la plupart des prévisions de Xavier Fettweis. Dans leur étude, les chercheurs américains démontrent l’importance de la « zone de percolation ». D’après eux, l’eau de fonte s’infiltre dans les espaces vides de la couche de neige et regèle en hiver, sans impact direct sur le niveau des océans. « Dans mon modèle, je considère que si la quantité d'eau liquide présente dans le manteau neigeux est supérieure à 7 %, l’eau de fonte s’écoule dans l’océan. Or, les Américains montrent que certaines zones de la calotte ont une capacité de stockage beaucoup plus élevée. L’eau qui, dans mon modèle, s’écoule vers l’océan, ne s’écoulerait donc pas tout de suite vers l’océan. »

À court terme, la contribution du Groenland à la hausse du niveau des mers est donc en partie compensée par le stockage de l’eau au niveau du manteau neigeux. Cependant, cette découverte ne fait que postposer les prévisions de Xavier Fettweis d’une petite dizaine d’années. Une fois la capacité de stockage de la couche de neige dépassée, l’eau de fonte n’aura d’autre possibilité que de se déverser dans l’océan, la surface du Groenland formant alors une couche de glace imperméable.

Beaucoup d’inconnues subsistent mais il est certain que la calotte contribuera de manière significative à l’augmentation du niveau des mers. « Tous les effets y contribuent : en fondant, la calotte perd de l’altitude et se réchauffe, ce qui accélère la fonte. La neige qui fond se salit et absorbe plus d’énergie, ce qui emballe également la fonte. Tout contribue à la fonte. », résume Xavier Fettweis. Le dégel du Groenland est donc devenu irrémédiable. Relativisons cependant : une disparition totale de la calotte est encore loin de se profiler à l’horizon. Au rythme actuel, plusieurs centaines, voire milliers d’années s’écouleront avant de la voir fondre complètement. Le temps nécessaire à une modification de nos comportements ?

(1) Fettweis, X., Franco, B., Tedesco, M., van Angelen, J. H., Lenaerts, J. T. M., van den Broeke, M. R., and Gallée, H.: Estimating Greenland ice sheet surface mass balance contribution to future sea level rise using the regional atmospheric climate model MAR, The Cryosphere Discuss., 6, 3101-3147, doi:10.5194/tcd-6-3101-2012, 2012a.

Fettweis, X., Hanna, E., Lang, C., Belleflamme, A., Erpicum, M., and Gallée, H.: Brief communication "Important role of the mid-tropospheric atmospheric circulation in the recent surface melt increase over the Greenland ice sheet", The Cryosphere Discuss., 6, 4101-4122, doi:10.5194/tcd-6-4101-2012, 2012b.

Harper, J., Humphrey, N., Pfeffer, W.T., Brown1 J.  and X. Fettweis, Greenland Ice Sheet Contribution to Sea Level Rise Buffered by Meltwater Storage in Firn, Nature, doi: 10.1038/nature11566, 2012.


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