Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Pesticides : stop ou encore ?
15/10/2012

Dans le cadre de la rentrée académique 2012-2013, le professeur Bruno Schiffers a dispensé la leçon inaugurale à travers son exposé intitulé « Les pesticides ou le mythe de Promethée revisité ». A cette occasion, il a rencontré le journaliste Philippe Lamotte pour une interview sans langue de bois.

pesticides 2Gembloux Agro-Bio Tech : Les critiques à l’égard des pesticides ne sont pas neuves, mais donnent l’impression de s’accentuer. Pensez-vous qu’il soit possible de se passer définitivement de ces produits, même un jour lointain ?
Bruno Schiffers : Le problème ne se pose pas exactement dans ces termes. La protection des cultures existe depuis que l’homme cultive la terre. Il n’y a aucune raison pour qu’elle s’interrompe, l’homme étant condamné à se protéger contre les maladies et les ravageurs. Mais les produits utilisés actuellement, eux, sont condamnés à disparaître. Leur balance coûts/bénéfices est, en effet, de plus en plus difficile à justifier aux yeux de la société. On nous dit, par exemple, que les produits phytopharmaceutiques sont indispensables pour accroître la productivité et pour relever les défis alimentaires. Mais cette manière de voir pèche par « eurocentrisme». Aujourd’hui, à l’échelle de la planète, les agriculteurs ayant recours aux pesticides forment une toute petite minorité et travaillent dans des régions soumises au déclin démographique.

N’est-ce pas paradoxal ?
À l’inverse, huit à neuf agriculteurs sur dix dans le monde vivent et produisent sans pesticides, selon des méthodes et des pratiques qui sont capables de fournir d’excellents rendements à l’hectare. Et cela, sans pour autant présenter les sérieuses limites – de plus en plus connues et étayées sur le plan scientifique – des produits de synthèse.

Quelles sont ces limites ?
Elles sont tout d’abord socioéconomiques. Les firmes phytopharmaceutiques nous affirment, depuis des années, que les réglementations, notamment européennes, toujours plus restrictive sur l’agrément des pesticides vont nous précipiter dans un abîme économique. Mais la catastrophe n’a-t-elle pas déjà eu lieu ? Dans toute l’Europe, le nombre d’emplois agricoles perdus depuis l’après-guerre excède largement celui dû aux fermetures industrielles, certes plus médiatisées. L’exode rural a eu des impacts profonds sur le tissu social des campagnes. Qui, à part quelques privilégiés, peut encore prétendre, dans le monde des agriculteurs, qu’il gagne correctement sa vie au rythme des crises du lait, du sucre, de la viande, etc. ? Certes, l’Europe mange aujourd’hui à sa faim, et ce, à un coût très acceptable. Mais le coût global, lui, mis à charge de chacun d’entre nous, par exemple via l’élimination des nitrates et des résidus de pesticides dans l’eau de distribution, ne cesse d’augmenter. L’autre facteur condamnant à terme les produits phytos a trait aux progrès de la recherche. Des travaux scientifiques de plus en plus précis mettent aujourd’hui en évidence leurs effets préjudiciables à l’environnement ou à la santé, sans effet de seuil. Autrement dit : même en quantité infinitésimale (à l’état de trace), des produits toujours plus nombreux sont reconnus capables de perturber l’organisme ou l’écosystème et de s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Et je ne parle pas, ici, des effets multiplicateurs liés aux cocktails de produits chimiques présents dans notre environnement.

Mais les agences sanitaires veillent, non ? Des centaines de produits ont été retirés du marché. La législation européenne a imposé une nouvelle procédure d’agrément des produits phytos et des biocides. Des garanties insuffisantes ?
On a coutume de dire que, sur les 800 à 1000 matières actives agréées dans les années nonante, seules 250 à 300 bénéficient encore, à l’heure actuelle, d’une autorisation. Par ailleurs, les demandes d’homologation d’il y a trente ou quarante ans, qui tenaient sur quelques pages, sont aujourd’hui remplacées par des dossiers extrêmement documentés et coûtant des dizaines de millions d’euros aux firmes demandeuses. Mais on oublie de préciser que de nouvelles molécules, certes moins nombreuses, ont remplacé les anciennes.
Et que, malgré tout ce qu’impose la réglementation actuelle (l’Europe a fort heureusement légiféré en la matière !), l’approche toxicologique utilisée pour caractériser le danger s’avère défaillante à bien des égards. Quant aux modèles utilisés pour évaluer l’exposition des opérateurs (les utilisateurs des pesticides), ils sont largement dépassés.

Page : 1 2 suivante

 


© 2007 ULi�ge