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Pesticides : stop ou encore ?
15/10/2012

En quoi ?
L’approche toxicologique communément admise se base sur la notion d’AOEL, le « Niveau acceptable d’exposition de l’opérateur », notion qui dépend elle-même du NOAEL, c’est-à-dire la dose en dessous de laquelle aucun effet n’est observable chez l’animal. Or, pour les substances qui ont un effet cancérigène et génotoxique, on ne peut pas définir de NOAEL. Cette dernière, par ailleurs, ne porte en général que sur la substance active du pesticide et non sur l’ensemble de sa formulation, qui peut compter des adjuvants toxiques. Il existe bien d’autres raisons, j’en citerai encore deux. Primo, la plupart des études sur animaux sont menées par voie orale, alors que l’exposition des utilisateurs se fait surtout par la peau. Il faudrait donc idéalement utiliser des facteurs de correction adéquats, liés, par exemple, au fait que le passage transcutané n’entraîne aucune dégradation du toxique par les enzymes du foie. Secundo, l’AOEL dérive d’études subchroniques étalées sur nonante jours, soit une période censée correspondre à l’exposition au produit d’un travailleur ou d’un entrepreneur agricole. C’est beaucoup trop court : les effets d’expositions répétées à de très faibles doses mais sur des périodes beaucoup plus longues ne sont, eux, pas évalués.

Et l’exposition des utilisateurs ?
Les modèles utilisés pour évaluer cette exposition datent d’au moins vingt ans et sont très théoriques. Étant donné l’extrême diversité des conditions réelles d’utilisation des produits par les agriculteurs, ces modèles reposent sur l’introduction de données par défaut. Par exemple, x heures de chargement et de mélange du produit, x heures d’application, telle superficie traitée, telle culture, tel type de vêtement de protection, etc. Mais les enquêtes in situ, menées par mon laboratoire depuis plus de dix ans, tant en France et en Belgique qu’en Afrique et en Thaïlande, montrent un écart considérable entre les situations évoquées dans les modèles et les situations réelles de travail. Pourquoi, dès lors, la révision de ces modèles est-elle en chantier depuis plus de vingt ans ? Les firmes se dégagent de toute responsabilité en rappelant que l’utilisation de leurs produits doit s’opérer dans des conditions de sécurité optimales : gants, masque, ventilation, etc. Mais chacun sait que ces mesures ne sont pas respectées ! La licence d’utilisation des produits phytos, qui est en projet dans la législation belge (là aussi, grâce à une directive européenne), ne va rien améliorer si elle n’intègre pas une formation réellement continuée et des exercices pratiques à chaque maillon de la chaîne de conseils aux agriculteurs.

pesticides 1On parle de plus en plus d’une génération de produits renforçant les défenses naturelles des plantes, les « éliciteurs ». Qu’en pensez-vous ?

Cette évolution récente est très prometteuse. On trouve les premiers produits de cette gamme sur le marché depuis deux ou trois ans. Les firmes s’y intéressent de très près, car elles commencent à comprendre que les molécules de synthèse sont appelées à disparaître, faute de garanties suffisantes. Le seul problème, c’est qu’il faut environ dix ans et 50 millions de dollars, en moyenne, pour mettre au point un produit et le faire homologuer. Après cela, il reste la partie commerciale. Comment convaincre l’utilisateur d’utiliser le nouveau produit si l’ancienne molécule est encore en vente et s’il repose sur des conditions d’emploi plus délicates, plus raffinées ? L’évolution, dans ce domaine, est beaucoup trop lente.

Interview réalisée par Philippe Lamotte

Les produits phytopharmaceutiques, anges ou démons?
Gérer le risque

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