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Ces mutations qui affectent la fertilité des bovins

08/10/2012

En étudiant l’origine génétique d’une maladie récessive touchant la race Holstein, une équipe du GIGA a découvert comment celle-ci affecte la fertilité de ces vaches laitières. La mort embryonnaire précoce des individus homozygotes ne permettait pas jusqu’ici de soupçonner l’impact de la mutation responsable du syndrome brachyspina sur la fertilité des élevages. Cette découverte a ouvert une nouvelle porte pour la recherche et la lutte contre la baisse de fertilité des populations bovines.  

Qui dit élevage dit reproduction. Et l’essence même de la reproduction repose sur la fertilité des animaux d’élevage. Une bonne fertilité représente donc un enjeu majeur pour tous les types d’élevage. Les conséquences d’une baisse de fertilité ne sont pas difficiles à déduire : diminution des cheptels, réduction des produits d’élevage suivis d’inévitables impacts économiques et sociaux négatifs.

Le cas des bovins laitiers et plus particulièrement de la race Holstein est préoccupant. Depuis des décennies, la fertilité de cette race laitière la plus répandue dans le monde ne cesse de chuter. Estimée à l’aide de toute une série de paramètres tels que le nombre de veaux nés, l’intervalle de vêlage – soit le temps nécessaire pour qu’une vache ait deux veaux successifs-, l’âge de réforme de la vache, c’est-à-dire le moment où le fermier décide de ne plus la mettre à la reproduction, et bien d’autres encore, la fertilité est exprimée sous forme d’un index. « Cet index combine tous les critères qui interviennent dans la mesure de la fertilité », souligne Carole Charlier, maître de recherche FNRS et chef de projet à l’Unité de recherche Génomique animale du GIGA. « Et chacun de ces critères a diminué au cours des dernières décennies ».

Avec son équipe, en collaboration avec l’équipe danoise de Merete Fredholm, Carole Charlier a récemment mis le doigt sur une mutation qui permet d’expliquer en partie la décroissance de la fertilité des vaches Holstein. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue PLoS ONE (1).

Holstein frisonnes

Le syndrome brachyspina sous la loupe

Carole Charlier et ses collègues travaillent sur une série de maladies récessives chez les bovins. Le but de leurs recherches est d’identifier les gènes et mutations causales de ces maladies afin de développer des tests génétiques permettant de repérer les individus porteurs de ces mutations et donc d’éviter des croisements à risque (lire Les animaux domestiques, nouvel Eldorado des généticiens). « Nous étions dans ce schéma classique d’étude d’une maladie récessive et ces travaux nous ont menés à la découverte d’un effet sur la fertilité des bovins Holstein-Frisons », explique la chercheuse. « Nous cherchions à identifier le gène et la mutation responsables du syndrome brachyspina, Veau Brachyspinaun syndrome extrêmement rare qui est observé, presque de façon anecdotique, chez les veaux de cette race, précise Carole Charlier. Les quelques cas répertoriés de cette maladie congénitale, décrite en 2006 par nos collaborateurs danois, sont des animaux mort-nés qui présentent toute une série de défauts. Le principal, celui qui a donné son nom à ce syndrome, est la colonne vertébrale déformée et fortement raccourcie. D’autres défauts apparaissent au niveau des organes internes, des membres, des côtes, etc. Les symptômes observés chez les veaux Holstein-Frisons sont très similaires à ceux observés chez l’homme en cas d’Anémie de Fanconi, équivalent humain de cette maladie ».

En tirant parti des nouvelles technologies de séquençage haut-débit, accessibles via la plateforme de Génotranscriptomique du GIGA (Dirigée par Wouter Coppieters), les recherches de l’équipe liégeoise l’ont menée jusqu’au gène FANCI, un gène bien étudié et connu pour son rôle clef dans les mécanismes de réparation de l’ADN. « Il fait partie de tout un complexe qui est essentiel pour corriger les erreurs qui surviennent dans le génome et il fait partie de la même voie développementale que toute une série de gènes impliqués dans des cancers humains », poursuit Carole Charlier. Plus précisément, son équipe a réussi à montrer que la mutation causant le syndrome brachyspina dans la race Holstein-Frisonne est une délétion de 3,3kb au sein de ce gène.

Une maladie récessive rare, pas si rare

Une fois la mutation causale identifiée, les chercheurs, principalement Wanbo Li, ont réalisé une étude de population basée sur leur découverte. La surprise fut totale lorsque les résultats de cette étude indiquaient que plus de 7% des animaux étaient porteurs de cette mutation en population Hosltein-Frisonne ! « Comme c’est une des races de vaches laitières les plus populaires de par le monde, on aurait dû observer beaucoup plus de cas d’animaux malades à la naissance », explique Carole Charlier. Pour réconcilier ces deux observations paradoxales, les scientifiques ont postulé que la plupart des individus qui portaient deux copies de la mutation mourraient en cours de gestation. « Grâce à des données quantitatives sur la fertilité des taureaux porteurs et non porteurs de la délétion au niveau du gène FANCI, nous avons pu confirmer cette hypothèse », révèle Carole Charlier. Ainsi, la grande majorité des veaux homozygotes mutés (leurs deux parents étaient porteurs) meurent à l’état embryonnaire ce qui se traduit par une réduction significative de la fertilité dans les croisements impliquant deux parents porteurs.

Schema Holstein

Suite à ces constatations, l’équipe de Carole Charlier développe actuellement un tout nouveau projet de recherche visant à déceler d’autres mutations qui se comportent de la même façon, c’est-à-dire responsables d’une mortalité embryonnaire précoce. « Ce type de mutation affecte la fertilité des animaux sans que le fermier puisse s’en rendre compte puisqu’il n’observe pas de veaux morts à la naissance », continue la chercheuse. « Il est plus que probable que chaque population bovine présente d’autres mutations délétères de ce type qui ont un effet insidieux et un impact global sur la fertilité largement sous-estimé ».

Sur les traces des maladies causant une mort embryonnaire précoce

Retroussant leurs manches pour attaquer ce nouveau projet de recherche, sujet principal de la thèse de doctorat de Wanbo Li, les scientifiques ont sélectionné des taureaux d’insémination largement utilisés pour une série de races au niveau mondial.  « Toujours grâce à la plateforme de GenoTranscriptomique du GIGA, nous sommes entrain de séquencer leur exome, c’est-à-dire la partie codante de leur génome pour identifier des mutations qui sont potentiellement délétères », précise Carole Charlier. « Ces mutations peuvent être délétères pour différentes raisons notamment parce qu’elles introduisent un codon stop, induisent un décalage de la phase de lecture ou parce qu’elles affectent l’épissage des gènes par exemple ».

Les taureaux d’insémination étant triés sur le volet et étant parfaitement sains, les potentielles mutations délétères que l’équipe liégeoise recherche se cachent dans leur génome à l’état hétérozygote, c’est-à-dire en copie unique. « Nous allons tenter de les identifier et de faire une liste des ces mutations. Ensuite, l’idée est de développer des tests génétiques permettant de passer chacune des populations d’intérêt au crible », explique Carole Charlier. « Statistiquement, nous pourrons alors estimer la fréquence de ces mutations au sein de ces populations », poursuit-elle. Si, comme pour le syndrome brachyspina, les scientifiques se rendent alors compte que la fréquence d’animaux porteurs d’une mutation est relativement élevée mais qu’aucun animal vivant ne présente deux copies de celle-ci, ils sauront que cette mutation cause une mortalité embryonnaire précoce. L’impact des mutations ainsi identifiées sur la fertilité des populations bovines pourra ensuite être classiquement estimé en comparant les données de fertilité des taureaux porteurs et non porteurs.

(1) Carole Charlier1, Jorgen Steen Agerholm, Wouter Coppieters, Peter Karlskov-Mortensen, Wanbo Li, Gerben de Jong, Corinne Fasquelle, Latifa Karim, Susanna Cirera, Nadine Cambisano, Naima Ahariz, Erik Mullaart, Michel Georges, Merete Fredholm. A Deletion in the Bovine FANCI Gene Compromises Fertility by Causing Fetal Death and Brachyspina. PLoS ONE.


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