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Les secrets du lac Kivu
26/10/2012

Dans le cas du lac Kivu, la libération à la surface de l’entièreté du méthane et du CO2 actuellement dissous dans ces eaux créerait un nuage de gaz s’élevant jusqu’à plus de 100 mètres au-dessus du niveau actuel du lac. Ce nuage recouvrirait entièrement la région, et donc entre autres les importantes villes congolaises de Goma et de Bukavu. Le nuage toucherait ainsi au minimum deux millions de personnes. Elles décèderaient soit par l’éruption elle-même, soit à cause du nuage de gaz. Outre sa toxicité directe, le CO2 étant plus lourd que l’air, celui-ci stagnerait au niveau du sol et chasserait l’oxygène vers le haut, asphyxiant toutes formes de vie aérobie, incluant donc les êtres humains. 

Cependant, le chercheur rassure d’emblée en stipulant qu’il ne sert à rien de tenir des propos catastrophistes. L’eau à 275 mètres de profondeur contient actuellement une concentration en gaz dissous de 50 à 60% de la saturation. Cette concentration augmente avec la profondeur, mais la pression hydrostatique augmente également et autorise une plus grande quantité de gaz dissous. Le point le plus critique se trouve à 275 mètres de profondeur. C’est là où dans le cas d’une éruption gazeuse, les premières bulles pourraient se former. Une étude récente montre que la concentration en CH4 dans le lac aurait augmenté de 10 à 15% entre 1974 et 2004. Malgré une certaine marge d’erreur, il est possible d’estimer à un siècle la période qu’il resterait avant que les eaux du lac n’arrivent à saturation. D’ici là, les eaux seront en grande partie dégazées par l’exploitation industrielle qui se sera sans doute mise en place. Actuellement, seul un événement majeur qui provoquerait une remontée des eaux d’une centaine de mètres pourrait provoquer un dégazage naturel significatif. Et ces événements sont particulièrement rares. « A priori, la dernière éruption gazeuse du lac Kivu, selon l’étude des sédiments, remonterait à près de 5 000 ans », rassure le chercheur. Cependant, une baie située au nord-ouest du lac, à proximité de la ville de Goma, la baie de Kabuno, suscite elle des inquiétudes plus immédiates. Aucune étude récente n’a en effet fait le point sur l’évolution des concentrations en gaz qu’elle peut contenir. Cette étude, urgente, devrait pouvoir se faire très prochainement.

L’exploitation du gaz et le problème d’eutrophisation du lac

Le risque d’explosion gazeuse, toutefois, doit être pris au sérieux. Une extraction du gaz peut donc désamorcer cette bombe à retardement. Parallèlement, l’exploitation d’une telle quantité de méthane offre des perspectives de rentabilité assurées, et certains industriels rwandais et américains lorgnent sur ces eaux avec envie. « Il y a actuellement quelques projets pilotes, qui n’ont pas une puissance d’extraction très élevée et qui n’ont pour le moment aucun impact sensible sur l’écosystème du lac, explique François Darchambeau. Dans un premier temps, ils servent davantage à développer et à tester des technologies qu’à en faire une exploitation rentable. Mais un gros projet américain devrait être opérationnel à la fin de l’année 2012. Il faut dès lors dès maintenant bien réfléchir à la manière d’extraire ce gaz. »

extraction-gaz-L’extraction en soi se révèle être relativement simple. Car naturellement, l’eau, en remontant à la surface, retrouve peu à peu une pression atmosphérique, qui n’est plus suffisante pour maintenir le gaz dissous à de telles quantités, et qui, à la manière d’une bouteille de soda, s’échappe du liquide, se décompresse pour reprendre son volume normal, et entraîne le liquide vers le haut, ce qui explique notamment le risque d’éruption. Le prélèvement jouit du même processus naturel. « En remontant, l’eau se dégaze donc naturellement. Il suffit de placer un long tube dans le lac. De plus, les exploitants profitent de ce qu’on appelle le phénomène de siphon. Au fur et à mesure que l’eau remonte, les bulles créées vont elles-mêmes entraîner une remontée de l’eau, un peu à la manière des systèmes de filtration d’eau dans les aquariums. Il suffit donc d’un simple amorçage au départ, et puis après cent mètres d’ascension, les bulles se forment, et l’eau remonte toute seule. »

A la surface, il reste un mélange eau-gaz dans la proportion d’1 litre d’eau pour 2-3 litres de gaz. Ce qui signifie que ces 2-3 litres de gaz, dans les eaux profondes, sont compressés et dissous dans un seul litre d’eau, et qu’ils retrouvent, à la surface, leur volume en condition atmosphérique. Mais le mélange reste humide. Il est donc passé à travers un séparateur qui aura pour fonction de séparer le gaz du liquide. La phase gazeuse est préservée, la phase liquide rejetée. Cette phase gazeuse contient 80% de CO2, 15% de méthane et 5% d’azote. Pour obtenir le plus grand pourcentage de méthane possible, ce gaz passe alors par une phase de lessivage : le flux de gaz passe à travers une colonne d’eau dans laquelle le CO2, extrêmement soluble, va se redissoudre naturellement. A la sortie, le mélange obtenu contient entre 80 et 90% de méthane et peut être utilisé comme combustible pour produire, par exemple, de l’électricité.

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