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Les secrets du lac Kivu
26/10/2012

Cette augmentation constante de la salinité avec la profondeur a deux origines. Premièrement, la sédimentation. « Les éléments qui se trouvent en surface se mettent peu à peu à couler. Une fois en dessous des 250 mètres, ces sédiments sont bloqués, ne peuvent plus remonter, comme s’il y avait un couvercle à cette profondeur. Ainsi, peu à peu, les eaux profondes s’enrichissent de tous ces éléments qui se trouvaient en surface, notamment des sels nutritifs. » Cet apport est dit biogénique. C’est-à-dire qu’il résulte de la sédimentation de matière biologique, qui « meurt » et qui plonge dans les eaux profondes. Un deuxième apport en sel est géogénique, d’origine terrestre. A environ 250 mètres en dessous de la surface, le lac Kivu est alimenté par de l’eau de source probablement infiltrée dans des failles du sol d’origine volcanique. Cette eau est plus chaude, devrait donc être moins dense par sa chaleur et remonter en surface. Mais elle est fortement chargée en sel. Sa densité est donc plus forte, et elle plonge également.

D’où viennent le dioxyde de carbone et le méthane ?

Actuellement, le CH4 et le CO2 sont dissous et stockés dans les couches d’eaux en dessous de ce « couvercle ». Le CO2 serait hypothétiquement d’origine volcanique. Cinq sources d’eau profondes ont un débit suffisamment important pour être observées, et elles apportent la majorité de ce gaz. « Pour le méthane, c’est un peu plus complexe à déterminer, explique le chercheur. Le CH4 pourrait, comme le CO2, provenir d’une activité volcanique, mais nous n’avons jamais réussi à le démontrer. Les sources d’eau en surface ne sont en effet pas chargées en méthane, on peut donc légitimement penser que les sources profondes ne le sont pas non plus. Le CH4 doit donc être biogénique, c’est-à-dire d’origine biologique. L’hypothèse la plus vraisemblable serait que ce méthane viendrait de la décomposition anaérobique de la matière organique. Nous savons qu’en anaérobiose, la matière organique, en se décomposant, va libérer du carbone qui, pour moitié, se transformera en CO2, et pour moitié en CH4, selon la formule CH3COOH (acétate)  CO2 + CH4» Ce processus biogénique de dégradation anaérobique de la matière organique serait, au lac Kivu, responsable d’approximativement un tiers de la formation du CH4.

Les deux tiers restants proviendraient d’une réduction bactérienne du CO2 présent dans le lac. « Pour que cette réduction ait lieu, il faut qu’il y ait un agent réducteur. Dans le cas de la formation du méthane, il s’agit le plus communément du dihydrogène. Cet hydrogène, dans le lac Kivu, pourrait lui aussi avoir deux origines. Il pourrait être volcanique, ce qui permettrait d’expliquer la formation de ces deux tiers de méthane sans apport de matière organique provenant du lac. L’autre hypothèse, la plus vraisemblable, viendrait, encore une fois, de la décomposition de la matière organique. Il est connu qu’avant la formation d’acétate, il peut y avoir lors de la phase de dégradation de la matière organique formation de dihydrogène, qui pourrait dès lors produire du méthane via la réduction du dioxyde de carbone. Ainsi, bien que les deux tiers du carbone intégré dans le méthane proviendraient d’une activité volcanique, une production biologique de matière organique serait nécessaire pour qu’ils apparaissent. » 

       Variation-CO2-methane

Dangereux prisonniers des couches profondes

Ces eaux fortement concentrées en méthane sont une richesse potentielle considérable. Ce gaz peut en effet être utilisé comme combustible pour, par exemple, produire de l’électricité. Mais une telle quantité de gaz dissoute par la pression de l’eau profonde, ajoutée à celle encore plus importante du CO2, constitue également une véritable bombe à retardement et peut être dévastatrice.

« Deux lacs camerounais contiennent également de grandes quantités de CO2 dissous, en bien moindre quantité toutefois que le lac Kivu. Le lac Monoun a connu une éruption gazeuse en 1984, et le lac Nyos, dont l’éruption date de 1986, a tué près de 2000 personnes. » Une éruption limnique peut être provoquée de multiples manières. La première serait une accumulation et donc une concentration trop grande de gaz, qui ne pourrait plus se dissoudre dans une eau déjà saturée, et qui remonterait dès lors en grandes quantités à la surface, sous forme de bulles. Une autre remontée éruptive de gaz pourrait également être causée par un déclencheur (comme une éruption volcanique, un glissement de terrain ou un tremblement de terre), qui créerait des vagues d’eau internes contenant des gaz dissous, eaux qui remonteraient à des pressions inférieures et libéreraient ainsi soudainement les gaz en sur-saturation, à mesure que la pression hydrostatique baisserait.

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