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Les secrets du lac Kivu
26/10/2012

Une chaîne alimentaire plus importante dévoilée

Le lac Kivu est un lac oligotrophe (c-à-d particulièrement pauvre en éléments nutritifs). François Darchambeau se souvient des mots d’Henri Damas, un océanographe chimiste de l’Université de Liège qui, lors d’une expédition menée dans les années 1930, avait décrit que « ces eaux claires et transparentes sont un véritable désert ». C’est en partie vrai. Peu d’éléments nutritifs arrivent dans le lac, et plongent rapidement vers les eaux profondes pour ne plus jamais refaire surface. « En plus, dans les années 1930, il y avait très peu de poissons. A peine quelques espèces en zone littorale, et a priori aucune espèce pélagique, alors que d’autres lacs similaires ont une faune très développée. »

La pauvreté actuelle en espèces pourrait être la conséquence de l’éruption gazeuse vieille de 5 000 ans et révélée par l’étude des sédiments, et qui pourrait avoir détruit toute forme de vie dans le lac. Ce dernier n’aurait été recolonisé que par des espèces provenant des rivières affluentes. Pour remédier au problème et favoriser la production piscicole, des ingénieurs agronomes belges, parmi eux Alphonse Collart, ont décidé dans les années 1950 d’introduire Stolothrissa tanganicanae, une espèce de sardine zooplanctonophage endémique du lac Tanganyika. L’idée était ensuite d’introduire un prédateur à cette sardine, afin de pouvoir pêcher des poissons plus imposants. « Cependant, après plusieurs essais infructueux, le transfert de sardines vivantes depuis le lac Tanganyika ne réussit qu’en 1959. Un an plus tard, la guerre d’indépendance éclata au Congo, et les Belges présents sur le territoire durent abandonner leurs travaux.»

Ce n’est qu’en 1985 qu’un Professeur d’écologie de Namur a trouvé sur un marché local de Bukavu des petites sardines fraîchement pêchées dans le lac Kivu. Une sardine s’y était donc bel et bien développée, mais il ne s’agissait pas de Stolothrissa tanganicanae comme espéré mais de Limnothrissa miodon, une espèce proche de S. tanganicanae aussi endémique du lac Tanganyika (sans doute était-il difficile de pouvoir les distinguer lors de leur transfert vers le lac Kivu ?). L. miodon semble s’être parfaitement adaptée à la vie au lac Kivu, en élargissant par exemple son régime alimentaire. En effet, des études récentes ont montré que lors de la saison des pluies, quand l’abondance en petits crustacés zooplanctoniques est moins importante dans les eaux pélagiques, le poisson se rapproche du littoral et adapte son régime en se nourrissant de larves d’insectes, un comportement qu’il ne semble pas avoir adopté au lac Tanganyika où il reste toujours vivre en zone pélagique.Limnothrissa1w
La vie dans le lac Kivu a donc fortement évolué depuis le milieu du vingtième siècle. La pêche est relativement importante et représente plus de 10 000 tonnes de poissons par an, ce qui en fait une économie intéressante pour les habitants avoisinant le lac. Suite à l’apparition des sardines, la biomasse du zooplancton aurait été divisée par 8 par rapport à celle estimée avant les années 1950, ce qui s’explique principalement par la prédation entraînée par l’introduction des sardines. « Toutefois, cette diminution ramène la biomasse du zooplancton à des niveaux comparables à celles observées dans les lacs Tanganika et Malawi, ce qui donne à penser que la situation avant 1950 était anormale. » D’autres études publiées dans l’ouvrage présentent également une importante communauté microbienne, qui vient s’intercaler dans la chaîne alimentaire entre le phytoplancton et le zooplancton et qui participe aussi à la production de la chaîne alimentaire du lac. Cette communauté microbienne se nourrit, entre autres, du CH4 qui remonte en permanence du fond du lac, le transformant en CO2. Cette oxydation bactérienne du CH4, ou méthanotrophie, est extrêmement efficace, de sorte que les concentrations de CH4 à la surface du lac sont très modestes et inférieures à la très large majorité des autres lacs ailleurs dans le Monde. La méthanotrophie est donc à l’origine du paradoxe que le lac qui contient le plus de CH4 au Monde dans ses eaux profondes, est aussi un de ceux qui en émettent le moins vers l’atmosphère.
 
L’ouvrage proposé par cette équipe de chercheurs internationale permet donc de sensibiliser ses lecteurs, collègues scientifiques, étudiants en limnologie mais aussi décideurs politiques, au fonctionnement écologique d’un lac tropical unique au Monde. Cet ouvrage arrive ainsi à temps pour dévoiler les enjeux d’une extraction réfléchie et mesurée des richesses qui dorment actuellement dans le fond du lac Kivu.

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