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Agroécologie : vers une autre agriculture

04/09/2012

« Une autre agriculture est possible, et l’avenir passera par l’agroécologie. » Tel est, en substance, le message du groupe GIRAF, cofondé par Pierre Stassart, chercheur au sein du Département des sciences et gestion de l'environnement de l'Université de Liège. Dans un texte récemment publié, ce groupe se penche sur l’histoire et le futur de l’agroécologie, une discipline émergente sur la scène mondiale, qui vise à allier agriculture, écologie et équité sociale.

COVER AgroecologieC’est l’histoire d’une Terre, pressée comme un citron jour après jour pour en extraire ce qu’elle produit de meilleur. C’est l’histoire d’un monde où près de 850 millions de personnes – soit plus d’un huitième de sa population totale – souffrent de la faim. Ironie du sort, plus de la moitié d’entre elles sont des agriculteurs ou des travailleurs agricoles. C’est l’histoire d’une  société où, sous d’autres cieux réputés plus développés, le fléau contre lequel il faut lutter n’est plus désormais la malnutrition, mais bien le… gaspillage alimentaire : 89 millions de tonnes de denrées saines sont jetées à la poubelle chaque année dans les 27 pays de l’Union européenne,  soit 179 kilos par habitant (1).

Inévitablement, on se dit qu’il y a quelque chose qui cloche, sur cette Terre. Que d’autres modes de production devraient pouvoir être mis en place. Qu’une consommation plus équitable devrait pouvoir émerger.

Tel est précisément l’enjeu de l’agroécologie. Un néologisme que Pierre Stassart, chercheur au sein du Département des Sciences et gestion de l’environnement de l’ULg, résume en quelques mots. « L’agroécologie, c’est faire rentrer l’équité sociale et l’écologie dans l’agriculture. »

Avec huit autres spécialistes issus de différents horizons académiques(2), il fait partie du GIRAF, Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agroécologie du FNRS . Ce groupe, fondé en 2009, vient de publier un texte intitulé L’agroécologie : trajectoire et potentiel. Pour une transition vers des systèmes alimentaires durables, qui est en réalité le premier chapitre d’un ouvrage publié en septembre 2012(3). L’objectif de ce texte est double : analyser, d’une part, ce que cette discipline émergente recouvre aujourd’hui et définir, d’autre part, une série de principes qui devraient guider son développement. 

Révolution verte

« Ce mouvement est né aux États-Unis, au début des années 80, raconte Pierre Stassart. Il s’appuie dès le départ sur une critique du modèle de développement dans les pays du sud. » À cette époque, la « révolution verte » battait son plein. Les avancées technologiques à l’œuvre depuis le début des années 60 poussaient les pays en développement à chambouler leur agriculture. Nouvelles variétés de céréales à haut rendement, irrigation, mécanisation, utilisation d’engrais… C’était à travers la diffusion de ce paquet technologique qu’était pensé le développement, l’objectif étant d’intensifier la productivité agricole.

C’est contre ce modèle biotechnologique que l’agroécologie se positionne. C’est-à-dire contre ce paradigme qui entend résorber la question alimentaire exclusivement par l’intensification de la production grâce à la technologie, de manière à répondre à la demande croissante des marchés globaux.

« Les principe de base du modèle agroécologique, c’est la réorganisation du travail tant au niveau de l’emploi que de la distribution, tout en transformant les modes de consommation commente le chercheur. Notamment en tentant de résoudre les problèmes de gaspillage ou en diminuant la place de la consommation de viande dans le système alimentaire. En Europe, par exemple, 65% de la production végétale sont destinés à la production animale. Selon nous, l’hypothèse productiviste ne suffira pas à résoudre les problèmes de faim dans le monde. Il faut explorer d’autres pistes. Mais attention : nous ne disqualifions pas ce modèle. Plusieurs peuvent cohabiter. »

Un petit poucet

Face à la tendance biotechnologique, largement dominante à l’heure actuelle, l’agroécologie fait encore figure de petit poucet. Mais un évènement a récemment accéléré la remise en cause du paradigme productiviste. En 2007-2008, plusieurs régions du monde sont touchées par une forte hausse des prix des produits alimentaires de base. Les prix du blé, du riz, du soja ou encore du maïs atteignent des pics sans précédent. En cause : des facteurs classiques tels que les mauvaises récoltes dans certaines zones de production et l’urbanisation croissante des populations pauvres mais également pour la première fois, la part croissante pris par les agrocarburant et la spéculation sur les biens alimentaires Les pays développés se tournent massivement vers les agrocarburants pour contrer la hausse des produits pétroliers, réduisant ainsi l’offre de certaines denrées alimentaires. Si l'on ajoute à cela une touche de crise financière, savamment entremêlée à toute une série d’autres facteurs, on obtient une série d’émeutes de la faim dans plusieurs pays en voie de développement: Haïti, Cameroun, Égypte, Indonésie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Mozambique, Maroc, Burkina Faso, Philippines, Thaïlande, Bangladesh…

Face à ces évènements, la question d’un autre modèle agricole – qui intégrerait non seulement les enjeux alimentaires mais aussi énergétiques, environnementaux et climatiques – ressurgit sur le devant de la scène politique et médiatique. Petit à petit, l’agroécologie commence à être considérée comme une alternative crédible. « Bien que minoritaire ce mouvement trouve de plus en plus d’échos sur les arènes internationales, notamment à travers le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations Unies.  »

L’agréocologie est un concept fédérateur qui revendique son caractère polysémique. Impossible de la résumer en une seule phrase, ce qui, d’une certaine manière, rend sa compréhension plus laborieuse. Dans son texte, le groupe GIRAF précise son propos au travers de l’évolution historique de la définition de l’agroécologie.  Ainsi, trois définitions, l’une prenant en compte le caractère durable de l’agriculture, l’autre s’intéressant plus largement aux systèmes agroalimentaires, la troisième soulignant le fait que ce concept ne relève ni exclusivement de la recherches scientifique, ni de la pratique, ni des mouvements sociaux, mais résulte bien de l’interaction entre ces trois dimensions.    

L’agroécologie répond par ailleurs à cinq principes historiques :
1. Permettre le recyclage de la biomasse.
2. Garantir des conditions favorables pour la croissance des plantes, en limitant au maximum l’usage d’engrais, de pétrole ou de pesticides.
3. Assurer une gestion microclimatique, c’est-à-dire en rapport avec le climat d’une région donnée.
4. Favoriser la diversité génétique et d’espèces.
5. Permettre des synergies biologiques entre composantes de l’écosystème.

Au fil du temps, d’autres préceptes méthodologiques sont venus s’y greffer, comme le fait de devoir favoriser la gestion sur le long terme et plus seulement sur le court terme, ou encore la volonté de considérer la diversité comme un avantage plutôt que comme un inconvénient qu’il faudrait gommer à tout prix. Sans oublier certains principes socio-économiques, ajoutés par le groupe GIRAF : impliquer chercheurs, producteurs, consommateurs et pouvoirs publics, favoriser la possibilité d’autonomie par rapport aux marchés globaux et enfin valoriser la diversité des savoirs, tant locaux que traditionnels.

« La terre appartient à celles et ceux qui la travaillent »

Via Campesina (la « voie paysanne » en espagnol), qui fut l’un des premiers mouvements internationaux à s’inscrire dans la veine agroécologique, illustre bien le concept. Il puise ses racines dans les années 80, mais s’est officiellement constitué en 1993, lors d’une conférence à… Mons (Belgique), réunissant 46 représentants issus d’organisations paysannes, de travailleurs agricoles, de petits producteurs, de peuples indigènes… Ces organisations, venant d’Amérique du Sud, d’Amérique du Nord, d’Europe, etc. se regroupent autour de l’idée que, malgré les apparences, Nord et Sud partagent finalement une série d’intérêts communs, qu’ils doivent défendre ensemble. Via Campesina plaide aujourd’hui pour le respect des petits et moyens paysans et s’est fixé huit axes de travail : l’agriculture paysanne durable, la réforme agraire et l’accès à l’eau, la souveraineté alimentaire, la biodiversité, la défense des jeunes paysans, des femmes, des travailleurs migrants et des droits humains. Dans de multiples endroits du monde, le mouvement organise régulièrement des conférences, actions de sensibilisation, des campagnes de soutien… Son slogan : « Stop aux accaparement de terres. La terre appartient à celles et ceux qui la travaillent. »

Mais le futur de l’agroécologie passera également par toute une série d’initiatives actuellement « en voie de développement ». Comme l’agroforesterie, ce mode d’exploitation de terres agricoles combinant des plantations d’arbres dans des cultures ou des pâturages. Une pratique permettant d’allier production alimentaire, énergétique et biodiversité. Autre type de système dit « mixte » : la polyculture-élevage (soit le contraire de la monoculture), qui vise à combiner cultures et élevages sur un même site pour tirer de leur complémentarité des avantages. La question des semences entre aussi dans ce débat. Aujourd’hui, la mise au point, la production et la diffusion des variétés de semences sont aux mains de firmes privées. Les fermiers n’ont plus le droit de sélectionner et de diffuser leurs propres semences. Tout passe désormais par l’industrie semencière qui imposent ses critères d’homogénéité et de standardisation.  Cette approche a provoqué la disparition de multiples variétés. L’idée est dès lors d’en revenir à un mode de production plus adapté aux nouveaux défis en matière de résilience (changement climatique) de biodiversité (goût, etc) et d’autonomie locale. On pourrait enfin citer la certification participative, cette tentative de réintégrer les consommateurs et les producteurs dans le processus de certification de l’alimentation biologique dont ils sont jusqu’à présent exclus.

« L’avenir passera aussi par la formation, conclut Pierre Stassart. On constate qu’il existe une forte demande de la part des étudiants, une volonté de s’investir dans un modèle capable de renouveler l’agronomie en répondant aux enjeux sociaux agroecologieet aux défis planétaires : énergie, biodiversité, changement climatique notamment. Il faudra aussi participer à faire évoluer les idées dans les arènes internationales et se poser cette question centrale : comment organiser face à l’impasse actuelle des systèmes non durables,  la transition pour qu’un autre modèle tel que l’agroécologie devienne réalisable ? Souvent, changer, implique d’apprendre à apprendre autrement… ce qui peut impliquer en quelque sorte  de renoncer en la transformant à la manière d’apprendre qui nous a menés à l’impasse actuelle. »

(1) Source: the European Parliament "Il est urgent de réduire de moitié le gaspillage alimentaire dans l'UE"
(2) Catholic University of Louvain, the Free University of Brussels, the University of Ghent, the Walloon Agronomy Research Centre.
(3) Stassart, P., M., P. Baret, J.-C. Grégoire, T. Hance, M. Mormont, D. Reheul, D. Stilmant, G. Vanloqueren, and M. Visser. 2012 (forthcoming) Trajectoire et potentiel de l'agroécologie, pour une transition vers des systèmes alimentaires durables. Pages 25-51 in D. Vandam, J. Nizet, M. Streith, and M. Stassart, Pierre, editors. Agroécologie, entre pratiques et sciences sociales. Educagri, Dijon.



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