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Nouvel indice pour le casse-tête de la migraine

31/08/2012

Quatre gènes associés à la forme de migraine la plus commune ont été mis au jour grâce à une collaboration scientifique internationale. Jean Schoenen et son équipe de l’Unité de Recherche sur les Céphalées (Université de Liège) ont participé à la découverte de ces premiers facteurs génétiques spécifiquement liés à la migraine sans aura.

Migraine lumièreSouvent utilisé pour désigner des maux de tête, le terme « migraine » n’est pas qu’une simple céphalée. Le mal de tête est certes un des symptômes de la migraine s’il dure de 4 à 72 heures sans traitement efficace et que cela se répète au moins à cinq reprises. Mais d’autres critères doivent être réunis pour parler stricto sensu de migraine.

Au cours des crises au moins deux des caractéristiques suivantes sont ressenties : unilatéralité, pulsatilité, intensité modérée à sévère ou aggravation de la céphalée par une activité physique routinière. De plus, une personne en pleine crise de migraine présente des nausées ou des vomissements, une photophobie et une phonophobie – une sensibilité exacerbée à la lumière et au bruit – ou au moins deux de ces symptômes. Quant aux migraines dites « avec aura » qui touchent une personne souffrant de migraines sur cinq, la céphalée y est précédée par des troubles neurologiques, le plus souvent visuels.

À la conquête génétique de la migraine

Les critères permettant de définir si un patient souffre de migraines sont donc clairement établis. On ne peut malheureusement pas en dire autant en ce qui concerne le traitement et les origines génétiques de cette affection dont 16 à 18% de la population sont atteints. Jean Schoenen, directeur de l’Unité de Recherche sur les Céphalées au Service de Neurologie et au GIGA-Neurosciences de l’ULg, et son équipe remontent pas à pas les traces génétiques des migraines grâce à une collaboration avec un consortium Européen. Car pour mieux traiter les migraines il est primordial de découvrir de quelles anomalies génétiques elles découlent et ce que ces anomalies engendrent comme dysfonctionnements au niveau du cerveau.

Les premières mutations génétiques liées à la migraine ont été mises en évidence dans un sous-type rare de cette maladie : la migraine hémiplégique familiale, où les crises s’accompagnent de paralysie de la moitié du corps. Il s’agit de formes dites « monogéniques », car l’anomalie d’un seul gène explique la maladie.

En plus de 10 ans de recherche intensive ce type d’anomalie génétique atteignant un seul gène n’a jamais été trouvé dans les formes communes de migraine. Il est dès lors apparu que dans ces formes communes c’est plutôt un ensemble de particularités génétiques qui détermine la prédisposition migraineuse, raison pour laquelle on les appelle « polygéniques ». Mettre le doigt sur les combinaisons de variants génétiques pouvant mener à l’apparition de l’un ou l’autre type de migraine est un travail de longue haleine, qui nécessite de passer au peigne fin l’ensemble du génome humain et qui s’accélère grâce aux performances sans cesse croissantes des analyses génétiques .

En 2009, Jean Schoenen et son équipe, en collaboration avec des chercheurs italiens, ont publié une étude dans la revue Neurology (1) démontrant que le génome mitochondrial peut être impliqué dans l’apparition, et surtout dans le traitement, des migraines. Partant du constat que la vitamine B2 a un effet préventif sur l’apparition de crises migraineuses chez certains patients, les scientifiques ont cherché à comprendre pourquoi ceux-ci répondaient à ce traitement et pas les autres patients. C’est du côté de l’ADN mitochondrial qu’ils ont trouvé une réponse. 

En effet, les patients peuvent être classés en différents haplogroupes mitochondriaux regroupant les personnes qui présentent les mêmes variations au sein du matériel génétique de leurs mitochondries. Selon qu’ils appartenaient à l’un ou l’autre haplogroupe, la vitamine B2 était efficace comme traitement préventif ou non. (Lire l’article Les multiples facettes de la migraine). La vitamine B2 permettrait donc de contrer les conséquences métaboliques de certaines variations du génome mitochondrial qui participent à augmenter la susceptibilité à la migraine.

Le glutamate, un acteur clef dans la migraine avec aura

Un autre volet des travaux de l’Unité de Recherche sur les Céphalées s’effectue dans le cadre du International Headache Genetics Consortium auquel participent plus de 40 centres de recherche dans le monde. Ensemble, les différentes équipes de chercheurs ont réussi à rassembler les données génétiques de dizaines de milliers d’individus contrôles et migraineux.

A partir de cette base de données gigantesque, les scientifiques tentent de déceler les variants génétiques communs chez les personnes présentant des migraines ou un certain type de migraine. Ils ont ainsi mis le doigt, en 2010, sur le premier lien génétique irréfutable pour la migraine avec aura (lire l’article Un premier facteur génétique de la migraine « commune »). Il s’agit d’une région intergénétique, située sur le chromosome 8, qui code pour une protéine exprimée au sein des astrocytes, les cellules gliales chargées de la recapture du glutamate au niveau des synapses. La protéine en question capte et recycle le glutamate pour éviter que celui-ci ne s’accumule au niveau des fentes synaptiques. En effet, un excès de glutamate entre les cellules nerveuses peut entraîner des effets pathologiques tels qu’une hyperexcitabilité neuronale. Publiés dans la revue Nature Genetics (2), les résultats de cette étude ont amené les chercheurs à poser l’hypothèse suivante : l’anomalie génétique repérée sur le chromosome 8 serait-elle à l’origine d’un défaut de régulation de la concentration en glutamate au niveau des synapses, provoquant ainsi une excitabilité accrue du cerveau des migraineux ? 

Une maladie neuro-vasculaire

Aujourd’hui, les scientifiques du International Headache Genetics Consortium publient une nouvelle étude dans Nature Genetics (3). « Plus de 500.000 marqueurs ont été testés au sein du génome de 5000 individus sujets à la migraine sans aura ayant accepté de donner un échantillon de leur ADN pour cette étude. Notre équipe a procuré 10% de ces échantillons et je tiens ici à remercier les patients pour leur collaboration », indique Jean Schoenen. 

Marqueurs-généntiqueLes chercheurs ont cette fois mis au jour deux gènes (MEF2D et TGFBR2) significativement impliqués dans la migraine sans aura, la forme de migraine la plus répandue au sein de la population. « Cette étude a également permis de confirmer l’implication dans cette même forme de migraine de deux gènes, LRP1 et TRPM8, découverts par une équipe américaine dans une précédente étude portant sur la migraine en général », précise Jean Schoenen.  Ainsi, quatre régions génétiques participant à la susceptibilité à la migraine sans aura sont désormais identifiées. C’est la première fois que des facteurs génétiques directement et spécifiquement associés à ce type de migraine sont décelés au sein du génome.

Quant aux mécanismes dans lesquels interviennent ces quatre gènes, ils ne concernent pas la régulation de la concentration du glutamate mais différents autres processus. « Le gène MEFD2 joue un rôle dans la différenciation et la survie des neurones. TGFBR2 agit également au niveau de la différenciation neuronale mais aussi dans la prolifération de ces cellules, des cellules endothéliales ainsi que de la production de matrice extracellulaire », souligne le Professeur Schoenen. « Ces gènes semblent donc liés à la régulation des circuits neuronaux et des fonctions vasculaires. C’est une découverte très intéressante car nous avons montré il y a quelques années déjà qu’entre les crises le cerveau du migraineux se caractérise par un fonctionnement anormal de certains circuits neuronaux. Par ailleurs, la réactivité vasculaire est aussi perturbée dans les migraines. », poursuit-il.

La fonction des protéines codées par les gènes LRP1 et TRPM8 est tout à fait différente. Tous deux permettent aux cellules d’interagir avec leur milieu, mais de manière différente. « Le TRPM8 code pour un canal ionique activé par le froid et le menthol au niveau de la membrane des cellules nerveuses sensorielles  tandis que LRP1 code pour un récepteur de surface des neurones et des muscles lisses qui permet de capter l’apolipoprotéine E (apoE) et par là de fournir du cholestérol à la cellule. », explique Jean Schoenen. Le premier  joue donc un rôle dans le système nociceptif, c’est-à-dire dans le circuit de la douleur, et dans la migraine ce sont les récepteurs à la douleur des méninges qui sont impliqués.. Le second intervient dans le métabolisme des neurones et des muscles lisses des vaisseaux. Les gènes de susceptibilité à la migraine se cachent donc de ce côté-là aussi !

À la croisée de multiples facteurs

« Il est important de mentionner que les variants génétiques identifiés jusqu’ici, pris séparément, augmentent le risque de migraine de moins de 20% chez les personnes qui en sont porteurs », précise Jean Schoenen. Il est donc très probable que la plupart des migraineux cumulent plusieurs gènes de susceptibilité. Le seuil migraineux dépend de ce cumul. Plus une personne possède de gènes de susceptibilité à la migraine, plus son seuil migraineux risque d’être franchi. C’est là qu’apparaissent les crises de migraine. « On peut voir cela comme un baril de poudre dont on allumerait la mèche. Les gènes remplissent le baril de poudre et l’environnement allume la mèche », indique le scientifique.

gène-migraine

Le tableau de chasse des scientifiques à la recherche des gènes de susceptibilité de cette maladie polygénique est donc encore loin d’être complet. De plus, les influences environnementales et épigénétiques qui participent à l’apparition de crises de migraine sont, à ce jour, peu comprises. « Étant donné que les femmes sont plus touchées par la migraine que les hommes, il se peut par exemple que les hormones ovariennes dont les variations sont connues pour déclencher des crises, modifient le fonctionnement de certains des gènes impliqués dans les migraines, mais ceci reste à être démontré.», souligne Jean Schoenen.

Si la route est encore longue avant de gagner la guerre contre la migraine, la découverte de chaque nouveau gène de susceptibilité à celle-ci est une bataille gagnée. Et chacune de ces batailles nous rapproche du jour où un traitement plus efficace contre la migraine verra le jour, au bénéfice de 20% de nos congénères.

(1) C. Di Lorenzo, MD, F. Pierelli, MD, G. Coppola, MD, G. S. Grieco, PhD, C. Rengo, PhD, M. Ciccolella, BSc, D. Magis, MD, M. Bolla, MD, C. Casali, MD, F. M. Santorelli, PhD and J. Schoenen, MD., Mitochondrial DNA haplogroups influence the therapeutic response to riboflavin in migraineurs. Neurology, 2009;72:1588-1594

(2)  Anttila, V., et al. Genome-wide association study of migraine implicates a common susceptibility variant on 8q22.1. Nature Genetics 2010 ; 42(10):869-73 Epub 2010 Aug 29
(3) Freilinger, T et al. Genome-wide association analysis identifies susceptibility loci for migraine without aura. Nature Genetics 2012; 44(7):777-82 Available online at doi: 10.1038/


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