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Secret bancaire : les grandes manoeuvres

Carte blanche publiée dans le journal L'Echo du 22 mars 2011

Par Jean-Pierre Bours (Chargé de cours HEC-Ecole de Gestion - Unité d'Enseignement et de Recherche Finances et Droit)

Les dernières heures du « secret bancaire fiscal » belge semblent sur le point de sonner. Un accord, qui vient d’être conclu entre les cinq groupes de la majorité (L’Echo du 12 mars), organise en effet le démantèlement de ce qui fut longtemps l’un des textes les plus controversés de notre droit fiscal, l’article 318 CIR.

Ce « secret » n’était organisé que dans le seul domaine de l’impôt sur le revenu ; TVA, droits d’enregistrement et de succession y étaient étrangers, les administrations compétentes en ces matières pouvant exiger des banques des informations concernant leurs clients.

La pression internationale

L’effondrement imminent de ce qui demeurait chez nous de ce « secret » a des racines dans le droit fiscal international. En mars 2009, la Belgique a vu son nom inscrit par l’OCDE sur la liste grise des paradis fiscaux, en raison précisément du fait qu’il n’était pas possible, pour les administrations étrangères, d’obtenir des banques belges des renseignements concernant leurs clients non résidents. Pour sortir au plus vite de cette liste infamante, il a fallu renégocier une douzaine au moins de conventions préventives de double imposition, en les « nettoyant » du membre de phrase empêchant que soient interrogées les banques belges (en général, l’article 26). C’est chose faite aujourd’hui, et bien au-delà, puisque, depuis lors, 42 conventions ont été réécrites et ratifiées. Malheureusement, le gouvernement semblait avoir perdu de vue que cette ratification devait être demandée également tant aux Régions qu’aux Communautés. Il va donc falloir faire le nécessaire, sans trop tarder, sous peine de voir notre heureux Royaume réinscrit manu militari sur la liste des paradis fiscaux…

La Belgique a donc renoncé à son secret bancaire fiscal dans ses rapports avec l’étranger, d’abord en revoyant bon nombre de ses conventions internationales, ensuite en reconsidérant la position qui était la sienne au regard de la Directive européenne du 3.6.2003 sur la fiscalité de l’épargne. Depuis le 1er janvier 2010, les banques belges payant un intérêt à un client résident d’un autre état membre de l’UE, doivent communiquer les informations requises à l’administration fiscale de cet autre état…

Les conséquences en droit interne

Pourtant, en droit interne, l’article 318 CIR subsiste ; ceci a pour conséquence que l’administration belge des contributions directes ne peut toujours pas interroger une banque belge à propos d’un contribuable résident. Difficilement admissible. Les contribuables belges sont mieux traités que les étrangers, dans leurs rapports avec les banques du pays : magnifique exemple de discrimination, qui vaudra tôt ou tard à la Belgique une remontrance  de la part des autorités de l’UE. Il fallait donc œuvrer à la disparition du « secret fiscal », même en interne. Et c’est de cela qu’il a été convenu récemment à la Chambre.

 

SECRET_BANCAIRE

Si l’administration belge des contributions directes souhaite obtenir des informations d’ordre bancaire concernant un contribuable résident, il lui faudra dorénavant (le projet de loi a été voté à la Chambre ce 17 mars) :
-    D’abord s’adresser au contribuable lui-même et lui laisser un délai d’un mois pour fournir les pièces bancaires requises ;
-    A défaut de réponse dans le délai, disposer d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale (condition qui devra être vérifiée par le directeur régional géographiquement compétent), et s’adresser alors à la banque aux fins d’obtenir les pièces souhaitées, les indices de fraude devant être, au même moment, notifiés au contribuable.
Une liste a été dressée, citant quelques exemples d’indices de fraude : possession à l’étranger d’un compte non déclaré, constat de travail au noir, d’erreurs importantes dans les factures, de différences entre deux exemplaires d’une même facture, etc. L’on ne sera pas rassuré de relever que la seule intention, dans le chef de l’administration, de procéder à une situation indiciaire, semblerait pouvoir suffire pour qu’elle puisse interroger  les banques. Au moins faudrait-il qu’elle prouve au préalable l’existence d’un important écart entre les revenus déclarés et les dépenses.
Relevons enfin qu’il est prévu qu’un fichier central des comptes bancaires soit créé au sein de la Banque nationale. Il permettrait à l’administration, désireuse d’interroger les banques à propos d’un contribuable belge, de savoir immédiatement à quelles banques s’adresser. Il ne semble pas prévu que l’on étende ce fichier aux contrats d’assurance vie, ce qui pourrait confirmer ceux-ci dans leur rôle de produits de placement alternatifs... fiscalement discrets.
Encore une question, parmi bien d’autres : cette transparence nouvelle n’incitera-t-elle pas notre législateur à introduire en Belgique un impôt sur les fortunes ? Le fichier central constituera en tout cas un des piliers du futur cadastre des patrimoines dont rêve notre administration…

 


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