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Ce que les gouvernés attendent des gouvernants

P.Verjans

Carte blanche publiée dans le quotidien La Libre Belgique, pp. 54-55.
Rubrique « Découvertes / opinions » du 24 mars 2011

Par Pierre Verjans (REGIMEN, Univeristé de Liège, Dpt de Science-politique)
Pierre Vercauteren (REGIMEN, FUCaM)
Yves Palau (REGIMEN, Université de Paris Est)

Les mouvements qui se développent depuis quelques mois dans certains pays arabes exigent ouvertement l’accès pour leurs peuples aux droits démocratiques dont jouissent ceux des pays occidentaux. Sans préjuger la suite, les combats menés rappellent l’universalité de valeurs telles que les droits de l’homme et la démocratie qui étaient il y a peu présentées par certains comme strictement occidentales. L’universalité des valeurs n’empêche cependant pas que soit posé le débat sur la manière avec laquelle celles-ci sont appliquées et organisées. Il existe en effet plus d’une forme de démocratie dans le monde. Il revient en conséquence à chaque collectivité la responsabilité de réinventer l’organisation du vivre ensemble. Par ailleurs, plus près de nous, depuis plusieurs semaines, des jeunes et des artistes belges se posent la question de la signification de leur représentation au parlement. « Pas en notre nom ! » clament-ils à certains négociateurs qui veulent scinder la Belgique. En Asie, certains jeunes japonais remettent encore timidement en question la soumission à l’autorité que leurs aînés acceptaient dans la continuité du système traditionnel. Ces événements pourtant très différents ont un point commun,  ils expriment des mutations dans la représentation que les gouvernés se font de leur situation : être gouverné de nos jours consiste de moins en moins à accepter ou subir « une verticale du pouvoir » mais se fonde sur la revendication d’être associé à la prise de décision. On voit donc poindre, non pas comme on l’a dit souvent, des sociétés apathiques et des citoyens dépolitisés mais au contraire de nouveaux modes de politisation.

Être gouverné aujourd’hui ne peut donc plus être considéré comme une évidence. Ces mouvements récents ouvrent un large débat qui porte sur la nature des missions de celles et ceux qui revendiquent de gouverner, sur la manière d’exercer le pouvoir, sur les relations entre gouvernants et gouvernés et sur le rôle et la responsabilité des gouvernés eux-mêmes. Personne ne peut échapper à un tel débat fondamental qui va jusqu’à interroger la manière avec laquelle l’individu est interprété dans les différentes lectures qu’en donnent les idéologies et les formes de régime politique qu’elles inspirent : le gouverné est perçu tour à tour comme un homo œconomicus, un sujet, une composante ou un acteur politique...

Les changements de régime en Afrique du Nord posent aussi la question de savoir  dans quelle mesure les rapports internationaux peuvent en être transformés. A cet égard, il importe de souligner à nouveau combien les manifestations en cours reflètent une attente profonde des gouvernés à l’encontre des responsables politiques, économiques et sociaux. 

 

 Manif Libye

Cette attente dépasse largement le cadre des pays où se déroulent en ce moment les événements que nous rapportent les médias. Les questions posées touchent à un titre ou à un autre l’ensemble des Etats de la planète.   Celle-ci est-elle alors le terrain d’un changement de régime ? Entre une gouvernance autoritaire qui prétend privilégier l’intérêt supérieur de l’Etat ou de quelques-uns au détriment du plus grand nombre, et une gouvernance néo-libérale ou technocratique de nature également oligarchique qui entend faire le « bien » des individus à leur place, peut-il émerger une gouvernance démocratique modifiant la relation gouvernants-gouvernés en permettant à ces derniers d’être davantage parties prenantes au débat sur la chose publique ? La colère dirigée hier contre les autocrates peut-elle se retourner contre les Occidentaux et leur gouvernance onusienne accusés d’intervention trop utilitariste, attaquant la Lybie riche en pétrole et sans allié et délaissant le Bahreïn et d’autres pays arabes où la répression bat son plein ?

De telles questions se posent avec d’autant plus d’acuité que le monde contemporain traverse une période de crises multiples qui se révèlent dans de nombreux défis : sécuritaires, identitaires, environnementaux, économiques et sociaux. Ces enjeux amènent à nous interroger à nouveau sur le rôle de l’Etat, sa configuration et sa place dans un monde apparaissant de plus en plus globalisé. De même que doit être repensée la place des gouvernés, citoyens, électeurs, sondés, contribuables, participant à ce pouvoir qui se justifie d’être « du peuple ».

     

Toutes ces questions sont au cœur du projet de recherche du réseau international REGIMEN, Réseau d’Etude sur la Globalisation et la Gouvernance Internationale et les Mutations de l’Etat et des Nations, sur le thème « les natures politiques de la gouvernance ». Elles seront abordées dans le cadre du 4e congrès des cinq associations francophones de science (belge, française, luxembourgeoise, suisse et québécoise) qui aura lieu à l’Université Libre de Bruxelles les 20, 21 et 22 avril 2011sur le thème  général : « Etre gouverné au XXIe siècle ».
Plus d'infos : http://www.absp-cf.be/

 


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