Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


La génétique des battements de cils

17/03/2011

Le mouvement des cils vibratiles qui tapissent nos voies respiratoires permet d’éliminer les impuretés inhalées. Chez les personnes atteintes de dyskinésie ciliaire primaire (DCP), la structure des cils présente des anomalies qui affectent  leurs mouvements et provoquent des problèmes respiratoires chroniques. Dans le cadre d’un projet européen, des chercheurs de l’Université de Liège étudient cette maladie chez le bobtail, une race de chien sujette à la DCP, afin de mettre au jour les gènes qui en sont responsables.

Souvent qualifié de « meilleur ami de l’homme » en raison de sa fidélité, des services qu’il peut lui rendre ou tout simplement de sa compagnie, le chien occupe depuis longtemps une place importante aux côtés des êtres humains. Cela n’est probablement pas prêt de changer, au contraire. En effet, outre les qualités que nous lui connaissons déjà, le chien se révèle être un modèle particulièrement intéressant pour la recherche sur des maladies se développant à la fois chez lui et chez  l’homme. C’est le cas pour la dyskinésie ciliaire primaire (DCP). « Cette maladie héréditaire qui se manifeste par des problèmes respiratoires chroniques s’observe chez l’homme et chez divers animaux, notamment le chien, et plus particulièrement chez certaines races spécifiques », précise le professeur Michel Georges, directeur de  l’Unité de Génomique Animale du GIGA à l’ULg.

En Belgique, une centaine de cas de dyskinésie ciliaire primaire sont décelées chaque année. Au fil du temps, alors que la maladie évolue, les problèmes respiratoires chroniques des patients deviennent de plus en plus sévères. Ceux-ci sont dus au mauvais fonctionnement des cils vibratiles de l’organisme et notamment des cils des cellules qui tapissent l’appareil respiratoire. Ces derniers sont recouverts de mucus et leur mouvement forme une sorte de tapis roulant appelé « escalator muco–ciliaire ». « Cet escalator fait remonter les fluides qui bordent nos voies respiratoires et qui retiennent les crasses inhalées. Quand il ne fonctionne pas, les crasses s’accumulent et cela engendre des infections secondaires », explique les chercheurs. Actuellement, aucun traitement ne permet de soigner les lésions primaires. La seule chose que les médecins peuvent faire pour les patient, c’est soulager les symptômes qui sont très invalidants au quotidien. 

cils vibrariles
 

Le cil vibratile, un rouage complexe

« Un patient sur deux présente un situs inversus, c’est-à-dire des organes inversés en position miroir par rapport à la normale. Cela est lié au rôle clé que jouent les cils dans l’établissement de la symétrie des organes au cours du développement embryonnaire. Lorsqu’on observe un situs inversus chez quelqu’un, c’est un signe et on pense directement à la DCP », indique le scientifique. Ensuite - ou chez les personnes ne présentant pas de situs inversus mais des infections respiratoires fréquentes - une biopsie permet de confirmer/poser le diagnostic. L’analyse des cellules ciliées au microscope électronique et la mise en culture de ces cellules révèleront si leur fonctionnement et/ou leur structure présentent des anomalies. Car, si le mouvement des cils n’est pas optimal dans le cas d’une DCP, cela découle de modifications qui apparaissent dans leur structure.

Mais de quoi est fait un cil vibratile? Brièvement, un cil est composé de neuf paires périphériques et d’une paire centrale de microtubules. Chaque doublet de microtubules périphériques est doté de bras externes et internes de dynéine, un complexe protéique également appelé « protéine de mouvement » (voir ci-dessous). « Pour que les cils battent, il faut qu’il y ait un glissement entre ces microtubules, ce qui est orchestré par la dynéine », expliquent les chercheurs. Les bras de dynéine peuvent en effet s’accrocher au microtubule précédent et faire ainsi « plier » le cil. 

« Les cils vibratiles sont des structures complexes qui contiennent de nombreuses composantes. Les défectuosités que l’on peut observer au niveau de la structure des cils proviennent de la mutation de plusieurs gènes », ajoute Michel Georges.

TEM FR
 

Quand le bobtail prête son génome

L’étude de la DCP chez l’homme est complexe car il ne s’agit pas d’une maladie d’origine unique mais plusieurs gènes sont responsables de son développement.  « C’est ce qu’on appelle une maladie hétérogène », précise Michel Georges. « Les familles de patients chez qui la DCP apparaît présentent des mutations au niveau de gènes différents. Cela rend l’étude de la maladie plus difficile puisque chaque famille est unique », poursuit-il. 

bobtail-dog-pictureC’est ici que le chien intervient. Les individus étant étroitement apparentés au sein d’une même race, celle-ci peut être considérée comme une seule grande famille. « Etudier la DCP chez une race de chien revient donc à étudier une maladie génétiquement homogène. La génétique des maladies y est largement simplifiée par rapport à  l’homme », explique le Professeur. Jusqu’ici une dizaine de gènes de prédisposition à la DCP sont connus mais 50% des cas de cette maladie restent inexpliqués.

Dans le cadre du projet européen LUPA (« Unravelling common human diseases using dog genetics »), Anne-Christine Merveille, Anne-Sophie Lequarré, Michel Georges et leurs collègues se sont intéressés aux gènes responsables de la dyskinésie ciliaire primaire chez le bobtail. Plusieurs chiots de cette race, souffrant de bronchites chroniques, ont été examinés à la clinique de la Faculté de Médecine Vétérinaire de l’ULg. L’analyse et la comparaison de l’ADN de bobtails affectés par la DCP et sains ont permis d’identifier une région du chromosome canin 34 associée à cette maladie. Dix des 151 gènes situés dans cette région codent en effet pour des protéines impliquées dans le fonctionnement des cils. En poussant les analyses un peu plus loin, les chercheurs ont plus précisément mis le doigt sur des mutation au niveau du gène CCDC39. « En vérifiant si le gène équivalent chez l’homme présentait également des mutations chez les familles de patients atteints de DCP, nous nous somme rendus compte que ces mutations permettaient d’expliquer 5 à 10% des cas de patients souffrant de cette affection », révèlent les chercheurs. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Nature Genetics (1).

Du diagnostic anténatal à la thérapie génique

Une fois les mutations de CCDC39 détectées, il restait à comprendre comment elles affectent le mouvement des cils vibratiles. « On a pu observer que la perte de fonction de ce gène réduit la mobilité du cil mais on ne savait pas si cela était dû à un effet direct ou indirect de la mutation ». Grâce à des analyses fonctionnelles du gène CCDC39, les chercheurs ont réussi à démontrer que les composantes des bras internes de dynéine et du complexe régulateur de la dynéine (CRD), un intermédiaire important de la mobilité ciliaire, sont liés à l’expression de ce gène. « Le gène CCDC39 joue un rôle clé dans l’assemblage des structures internes du cil, sa mutation affecte le bon fonctionnement des bras internes de dyénine et du complexe régulateur de la dynéine », indiquent les chercheurs. C’est ainsi que les personnes portant ces mutations présentent une sorte de rigidité dans le battement de leur cils vibratiles.

« La découverte de gènes responsables de la DCP a un impact clinique indéniable. Les familles porteuses de cette maladie le découvrent souvent de manière brutale avec la venue d’un enfant atteint. La demande des couples est alors de savoir si les autres enfants seront touchés ou non. Ils ne veulent pas voir un deuxième enfant souffrir comme cela. Grâce à l’identification des gènes de prédisposition, ils peuvent avoir recours au diagnostic anténatal »,  explique les chercheurs. De plus, à plus long terme, la mise au jour de ces gènes pourrait permettre d’envisager une thérapie génique. « Le chien est un modèle privilégié pour mettre au point une telle thérapie », ajoutent les chercheurs.

L’homme compte donc maintenant sur le chien pour mieux comprendre et soigner les maladies qui l’affectent. Outre l’impact que cette approche peut avoir sur la santé humaine, elle sert également la médecine vétérinaire et resserre ainsi encore un peu plus les liens entre l’homme et son « meilleur ami ».

 

(1). Merveille AC, Davis EE, Becker-Heck A, Legendre M, Amirav I, Bataille G, Belmont J, Beydon N, Billen F, Clément A, Clercx C, Coste A, Crosbie R, de Blic J, Deleuze S, Duquesnoy P, Escalier D, Escudier E, Fliegauf M, Horvath J, Hill K, Jorissen M, Just J, Kispert A, Lathrop M, Loges NT, Marthin JK, Momozawa Y, Montantin G, Nielsen KG, Olbrich H, Papon JF, Rayet I, Roger G, Schmidts M, Tenreiro H, Towbin JA, Zelenika D, Zentgraf H, Georges M, Lequarré AS, Katsanis N, Omran H, Amselem S. CCDC39 is required for assembly of inner dynein arms and the dynein regulatory complex and for normal ciliary motility in humans and dogs. Nature Genetics Volume: 43, Pages:72–78 (2011) doi:10.1038/ng.726.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_31565/fr/la-genetique-des-battements-de-cils?part=1&printView=true - 29 mars 2024