Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


Tumeurs de l’hypophyse: la chasse aux gènes est ouverte !

01/03/2011

Les hormones hypophysaires régulent une grande partie des fonctions du système endocrinien. Lorsqu’une tumeur se déclare au niveau de l’hypophyse, les conséquences sur l’organisme peuvent donc être multiples. Albert Beckers étudie les adénomes hypophysaires et a décrit une nouvelle forme héréditaire de ces affections, le FIPA. Il est aujourd’hui sur la piste de gènes de prédisposition à ces tumeurs.

ÀGéants l’image du sympathique Hagrid dans la saga « Harry Potter », les géants prennent le plus souvent vie lorsqu’on se plonge dans un film fantastique ou lors de la lecture d’un conte pour enfants. Mais pas seulement ! En effet, le gigantisme est un syndrome rare survenant chez l’enfant ou l'adolescent et qui se caractérise par une taille largement supérieure à la normale. Ce syndrome est dû à un adénome, une tumeur bénigne, apparaissant au niveau de l’hypophyse chez l’enfant ou l'adolescent. Plus précisément, il s’agit d’un adénome somatotrope, c’est-à-dire qui touche un certain type de cellules hypophysaires appelées somatotropes et qui engendre une hypersécrétion d’hormones de croissance. Lorsque cette maladie se déclare chez l’adulte, elle provoque alors une acromégalie, soit une augmentation anormale de la taille des tissus mous, des pieds, des mains et une déformation du visage...

Bénins dans la majorité des cas, les adénomes hypophysaires sont des tumeurs qui se développent au niveau de l’hypophyse. Egalement appelée « glande pituitaire », cette dernière est une glande endocrine située à la base du cerveau et est responsable de la sécrétion de nombreuses hormones indispensables au bon développement et fonctionnement de l’organisme. Elle a longtemps été considérée comme le chef d’orchestre du système endocrinien en raison de son activité de régulation de fonctions telles que la croissance, la lactation, la reproduction, l’activité des glandes surrénales et de la glande thyroïde etc. Si les scientifiques ont depuis longtemps découvert que l’hypophyse est elle-même régulée par les hormones provenant de l’hypothalamus, son rôle n’en est pas moins crucial. Elle est composée de nombreux types cellulaires qui sécrètent chacun une ou plusieurs hormones. Parmi celles-ci on compte notamment l’hormone de croissance (GH), la prolactine (PRL), l’hormone follico-stimulante (FSH), l’hormone lutéinisante (LH), la thyréostimuline (TSH) et l’hormone adrénocorticotrope (ACTH). 

Les adénomes hypophysaires en un coup d’œil

Selon les cellules de l’hypophyse atteintes, il existe différents types d’adénomes. L’adénome hypophysaire somatotrope responsable du gigantisme et de l’acromégalie est le troisième adénome hypophysaire le plus fréquent. Le premier, en termes de fréquence, est le prolactinome ou adénome lactotrope. Il représente 50 à 60% des adénomes hypophysaires et provoque une hypersécrétion de prolactine, une hormone impliquée chez les mammifères entre autres dans la croissance des glandes mammaires et dans la stimulation de la synthèse de lait. Les femmes atteintes de cette pathologie peuvent présenter le syndrome aménorrhée-galactorrhée, c'est-à-dire une absence de menstruation et une production de lait en dehors d’une période d’allaitement. Bien que plus fréquent chez les femmes, le prolactinome peut également atteindre les hommes. Il se manifeste alors par des symptômes tels que des troubles de l’érection et/ou une diminution de la libido.

Galndes endocrines

Le deuxième type d’adénome hypophysaire le plus fréquent est l’adénome non-sécrétant. Comme son nom l’indique, dans le cas d’un tel adénome les cellules tumorales se multiplient mais ne secrètent pas d’hormones en excès.  Cependant, l'adénome peut comprimer les structures voisines (troubles visuels, etc.) Le syndrome de Cushing, du nom du neurochirurgien qui décrit cette maladie en 1932, est la conséquence d’un adénome corticotrope. Les cellules de l’hypophyse secrétant trop d’hormones adrénocorticotropes (ACTH), il en découle une sécrétion excessive de cortisol par les glandes surrénales que l’ACTH stimule. Les symptômes de cette maladie sont l’hypertension, le diabète, un silhouette typique « cushingoïde » (visage rouge, gonflé, formations lipidiques au niveau du cou et de la nuque, fonte musculaire au niveau des jambes et des bras…), ecchymoses fréquentes, peau fine et fragile, etc. Enfin, très rare (1% des cas), l’adénome thyréotrope engendre une hypersécrétion de l’hormone thyréostimuline qui se traduit par une hyperthyroïdie.

Une maladie qui touche une personne sur 1000

« Tous ces adénomes hypophysaires peuvent, suivant leur taille, prendre beaucoup de place et comprimer les autres lignées cellulaires de l’hypophyse ou des structures voisines telles que le chiasma optique ou les nerfs occulo-moteurs. Ils peuvent donc être la source de nombreux problèmes », indique le Professeur Albert Beckers, chef du service d’Endocrinologie du CHU de Liège.  Si la prévalence de ces tumeurs de l’hypophyse était jusqu’il y a peu estimée à un cas pour 5000 individus, une étude dirigée par Albert Beckers et effectuée sur une population bien définie de la province de Liège montre que la prévalence de ces affections est plutôt de un cas pour 1000 personnes. Les résultats de cette étude ont été publiés en 2006 dans The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism (1).

 

(1) Adrian F. Daly, Martine Rixhon, Christelle Adam, Anastasia Dempegioti, Maria A. Tichomirowa and Albert Beckers. High Prevalence of Pituitary Adenomas: A Cross-Sectional Study in the Province of Liège, Belgium. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism Vol. 91, No. 12 4769-4775. 

Albert Beckers a commencé à s’intéresser aux adénomes hypophysaires dès 1980. Il en a exploré environ 2.500. Vers la fin des années 1990, il s'est plus particulièrement intéressé aux formes familiales. « A cette époque on savait qu’ils pouvaient apparaître de manière sporadique mais qu’ils pouvaient également être héréditaires », se souvient l’endocrinologue. « Les adénomes hypophysaires se développent notamment chez les patients atteints de néoplasies endocriniennes multiples de type 1 (NEM-1), une pathologie syndromique héréditaire qui consiste en une association de diverses affections endocriniennes », poursuit-il. Une autre forme familiale d’adénomes hypophysaires connue à ce moment-là apparait chez les personnes atteintes du rarissime complexe de Carney. Celles-ci peuvent en effet présenter un adénome somatotrope ou un prolactinome en même temps que d’autres lésions (myxomes cardiaques, lésions cutanées, testiculaires....).

« Les scientifiques avaient également mis au jour l’apparition d’acromégalies dans un troisième syndrome familial mais cela était encore très mal documenté », précise Albert Beckers.  « Bien que leur évolution est habituellement bénigne, les adénomes hypophysaires sont caractérisés par une grande diversité clinique et génétique qui réclame des moyens de diagnostics et thérapeutiques spécifiques », précise le Professeur Beckers. Pour mieux traiter les patients qui en sont atteints, il est dès lors important d’étudier ces maladies, leurs différentes formes et les facteurs liés à leur survenue.

FIPA FR

Le FIPA, une nouvelle forme héréditaire

Récemment, la caractérisation clinique et génétique des formes familiales, qui représentent environ 5% des adénomes hypophysaires, a été enrichie par la description d’une nouvelle entité : le FIPA pour « Familial isolated pituitary adenomas » ou « Adénomes hypophysaires familiaux isolés ». En effet, Albert Beckers a décrit pour la première fois, en 2000, ces autres types d’adénomes hypophysaires familiaux qui ne sont ni liés à la néoplasie endocrinienne multiple de type 1, ni au complexe de Carney (2.). « Entre 2000 et 2004, j’ai travaillé avec mes  collègues à déceler et décrire les adénomes hypophysaires familiaux isolés », indique Albert Beckers. Et en 2006, ce dernier publie, dans The Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism (JCEM), un article sur la caractérisation clinique du FIPA sur base de l’étude de 64 familles et de 138 patients atteints d’adénomes hypophysaires mais pas du syndrome NEM-1 ou du complexe de Carney (3.).

« Au même moment est parue une étude effectuée par des chercheurs finlandais. Elle décrivait un nouveau gène de prédisposition aux adénomes hypophysaires : l’AIP, Aryl Hydrocarbon Receptor-Interacting Protein », explique le scientifique. « Ils avaient mis en évidence des mutations de ce gène chez certaines familles dont des membres étaient atteints d’acromégalie et de prolactinome », poursuit-il. Sans tarder, Albert Beckers décide alors d’étudier si des mutations de ce gène sont également présentent chez les membres des familles sujettes au FIPA. Conclusion : « Nous avons trouvé des mutations du gène AIP chez 15% de ces patients et nous avons découvert 9 nouvelles mutations de ce gène », révèle Albert Beckers. L’article scientifique relatif à ces travaux, publié dans JCEM (4), a valu au Professeur et à ses collègues, le « Prix du meilleur article belge de Médecine Interne » pour l’année 2007. 

 

(2) Valdes-Socin H, Poncin J, Stevens V, Stevenaert A & Beckers A. Adenomes hypophysaires familiaux isoles non lies avec la mutation somatique NEM-1. Suivi de 27 patients. Annales d’Endocrinologie 2000 61 301.
(3) A. F. Daly, M.-L. Jaffrain-Rea, A. Ciccarelli, H. Valdes-Socin, V. Rohmer, G. Tamburrano, C. Borson-Chazot, B. Estour, E. Ciccarelli, T. Brue, P. Ferolla, P. Emy, A. Colao, E. De Menis, P. Lecomte, F. Penfornis, B. Delemer, J. Bertherat, J. L. Wémeau, W. De Herder, F. Archambeaud, A. Stevenaert, A. Calender, A. Murat, F. Cavagnini and A. Beckers. Clinical Characterization of Familial Isolated Pituitary Adenomas. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism Vol. 91, No. 9 3316-3323.

« Au même moment est parue une étude effectuée par des chercheurs finlandais. Elle décrivait un nouveau gène de prédisposition aux adénomes hypophysaires : l’AIP, Aryl Hydrocarbon Receptor-Interacting Protein », explique le scientifique. « Ils avaient mis en évidence des mutations de ce gène chez certaines familles dont des membres étaient atteints d’acromégalie et de prolactinome », poursuit-il. Sans tarder, Albert Beckers décide alors d’étudier si des mutations de ce gène sont également présentent chez les membres des familles sujettes au FIPA. Conclusion : « Nous avons trouvé des mutations du gène AIP chez 15% de ces patients et nous avons découvert 9 nouvelles mutations de ce gène », révèle Albert Beckers. L’article scientifique relatif à ces travaux, publié dans JCEM (4), a valu au Professeur et à ses collègues, le « Prix du meilleur article belge de Médecine Interne » pour l’année 2007.

Des gènes de susceptibilité en ligne de mire

Depuis ces découvertes, l’équipe d’Albert Beckers poursuit ses recherches sur les adénomes hypophysaires et ne cesse d’approfondir les connaissances sur ces pathologies. Le chef de service d’Endocrinologie du CHU de Liège vient d’ailleurs de publier les  résultats d’une étude internationale qu’il a dirigée (5). Cette étude porte sur les caractéristiques cliniques des adénomes hypophysaires chez les personnes porteuses d’une version mutée du gène AIP. « Elles sont différentes des caractéristiques cliniques des adénomes qui apparaissent lors d’une néoplasie endocrinienne multiple de type-1 car les patients sont plus fréquemment atteints d’acromégalie et de gigantisme et nettement moins de prolactinome », précise Albert Beckers. De plus, en comparant les patients atteints d’adénomes hypophysaires qui portent une mutation sur le gène AIP à ceux ne présentant pas cette mutation, l’endocrinologue s’est aperçu que les premiers étaient plus jeunes au moment du diagnostic de la maladie (environ 20 ans au lieu de 40 ans), que le diamètre de leur tumeur est plus important et qu’ils répondent moins bien aux traitements. « De même si on regarde les adénomes hypophysaires particulièrement agressifs, on voit que la fréquence des mutations au niveau du gène AIP chez les patients qui en sont atteints est grande », continue le Professeur.

Actuellement sur la trace de nouveaux gènes de prédisposition aux adénomes hypophysaires, Albert Beckers travaille en collaboration avec le Professeur Michel Georges qui dirige l’Unité de Génomique Animale de l’ULg. « Nous travaillons avec des patients d’une famille ne présentant pas de mutation sur le gène AIP dans l’espoir de découvrir un autre gène de prédisposition aux adénome hypophysaire chez cette famille là », indique Albert Beckers. Pour ce faire, les scientifiques ont d’abord localisé des régions de prédisposition et réalisent maintenant des séquençages complets du génome de de la famille et comparent ces génomes. « Il faut repérer les régions communes aux patients atteints. Dans ce cas-ci on parle d’environ 120 gènes candidats ». Il reste donc une importante liste de gènes à « tester » afin de mettre le doigt sur celui ou ceux qui sont impliqués dans l’apparition des adénomes hypophysaires. Actuellement, de nouvelles études de séquençage de génomes sont en cours. Albert Beckers et son équipe ont déjà pu éliminer certains de ces gènes candidats et sont sur une piste prometteuse pour découvrir un nouveau gène de prédisposition à ces tumeurs…

 

(4) A.F. Daly, J-F Vanbellinghen, S.K. Khoo, M-L. Jaffrain-Rea, L. Naves, M.A. Guitelman, A. Murat, P.   Emy, A-P.Gimenez-Roqueplo, G. Tamburrano, G. Raverot, A. Barlier, W. de Herder, A. Penfornis, E. Ciccarelli, B. Estour, P. Lecomte, B. Gatta, O. Chabre, M-I. Sabate, X. Bertagna, N. Garcia Basavilbaso, G. Stalldecker, A. Colao, P. Ferolla, H-L. Wemeau, P. Caron, J-L. Sadoul, A. Oneto, F. Archambaud, A. Calender, O. Sinilnikova, C. Montanana, F. Cavagnini, V. Hana, A. Solano, D. Delettieres, D.C. Luccio-Camelo, A. Basso, V. Rohmer, T. Brue, V. Bours, B. Tean Teh and A. Beckers. Aryl Hydrocarbon Receptor Interacting Protein Gene Mutations in Familial Isolated. Pituitary Adenomas : Analysis in 73 families. J. Clin. Endocrinol. Metab, 92(5):1891-1896, 2007. Doi : 10.1210/ jc.2006-2513.
(5) Adrian F. Daly1, Maria A. Tichomirowa1, Patrick Petrossians1, Elina Heliövaara, Marie-Lise Jaffrain-Rea, Anne Barlier, Luciana A. Naves, Tapani Ebeling, Auli Karhu, Antti Raappana, Laure Cazabat, Ernesto De Menis, Carmen Fajardo Montañana, Gerald Raverot, Robert J. Weil, Timo Sane, Dominique Maiter, Sebastian Neggers, Maria Yaneva, Antoine Tabarin, Elisa Verrua, Eija Eloranta, Arnaud Murat, Outi Vierimaa, Pasi I. Salmela, Philippe Emy, Rodrigo A. Toledo, Maria Isabel Sabaté, Chiara Villa, Marc Popelier, Roberto Salvatori, Juliet Jennings, Ángel Ferrandez Longás, José Ignacio Labarta Aizpún, Marianthi Georgitsi, Ralf Paschke, Cristina Ronchi, Matti Valimaki, Carola Saloranta, Wouter De Herder, Renato Cozzi, Mirtha Guitelman, Flavia Magri, Maria Stefania Lagonigro, Georges Halaby, Vinciane Corman, Marie-Thérèse Hagelstein, Jean-François Vanbellinghen, Gustavo Barcelos Barra, Anne-Paule Gimenez-Roqueplo, Fergus J. Cameron, Françoise Borson-Chazot, Ian Holdaway, Sergio P. A. Toledo, Günter K. Stalla, Anna Spada, Sabina Zacharieva, Jerome Bertherat, Thierry Brue, Vincent Bours, Philippe Chanson, Lauri A. Aaltonen and Albert Beckers. Clinical Characteristics and Therapeutic Responses in Patients with Germ-Line AIP Mutations and Pituitary Adenomas: An International Collaborative Study. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism Vol. 95, No. 11 E373-E383.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_31271/fr/tumeurs-de-l-hypophyse-la-chasse-aux-genes-est-ouverte?printView=true - 26 avril 2024