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Des astrophysiciens liégeois au septième ciel

29/07/2010

En association avec l'observatoire de Genève, une équipe d'astrophysiciens de l'Université de Liège installe un télescope à La Silla au Chili. Le projet TRAPPIST aura pour ambition de détecter et caractériser des planètes extrasolaires et d'analyser la composition chimique des comètes.

Non, le secteur brassicole belge ne compte pas dans ses rangs une nouvelle spécialité. TRAPPIST ((TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope) est un petit télescope performant qui brassera le ciel étoilé au service de l'Université de Liège. A l'initiative de scientifiques du département d'astrophysique, de géophysique et d'océanographie (AGO) de l'Université de Liège, le projet a pour ambition de faire avancer la recherche dans la détection et l'observation d'exoplanètes (planètes évoluant en dehors du système solaire) et de comètes lors de leurs passages près du soleil. Afin d'assurer les meilleurs résultats possibles, il a été installé dans un des meilleurs sites astronomiques au monde, l’observatoire de la Silla de l'ESO (European Southern Observatory), dans le désert de l'Atacama au Chili. Si les conditions de vie y sont peu hospitalières, cette région est un véritable El Dorado pour les astronomes puisque plus de 300 nuits par an y sont claires. "A comparer avec 2 nuits en Belgique", ironise Michaël Gillon, chercheur à l'université de Liège, à l'initiative du projet TRAPPIST, responsable scientifique et investigateur principal pour les exoplanètes.

Malgré l'apparente hétérogénéité du projet, les deux volets de la recherche sont liés. Bien sûr, il ne s'agit pas des mêmes recherches, mais les deux s'inscrivent dans le très large domaine de l'astrobiologie. Bien qu'aux antipodes de l'imagination prolifique que peut générer un tel sujet, à l'image de "La guerre des mondes", d'"E.T." ou d'"Avatar", l'astrobiologie, science multidisciplinaire par nature, a pour objet l'étude de l'émergence de la vie sur Terre et de la possibilité de vie ailleurs dans l'Univers. Tant l'étude des comètes que des exoplanètes peuvent aider à mieux appréhender ces questions fondamentales.

installation TRAPPIST

Des géantes gazeuses aux super-Terres

Il y a à peine 15 ans, personne n'était en mesure d'établir de vérité empirique sur l'existence de planètes en dehors du système solaire. Chaque astronome y allait de sa théorie et les hypothèses les plus diverses avaient appris à cohabiter. Il a fallu attendre 1995 pour qu'une équipe suisse, menée par le Professeur Michel Mayor, découvre indirectement la première exoplanète. La technique employée est celle dite 'des vitesses radiales'. À savoir, la mesure de l'oscillation d'une étoile sous l'influence de l'attraction d'une planète orbitant autour d’elle (lire aussi l'article Drame exoplanétaire: une planète s'effondre sur son étoile). Elle ne permet pas d'observer la planète directement. Pourtant, c'est à l'aide de cette méthode que la plupart des exoplanètes ont été découvertes. La raison pour laquelle il a fallu recourir à une méthode indirecte est une question d'intensité lumineuse. Une planète, ne produisant quasi pas de lumière mais ne faisant que refléter celle de son étoile, par définition bien plus lumineuse, est donc beaucoup plus difficilement observable. Il a fallu élaborer des techniques indirectes qui permettent de dévoiler la présence d'une planète.

Évidemment, l'influence d'une planète sur son étoile dépendra de sa masse et de son éloignement. Plus elle est massive et plus son orbite est proche de son étoile, plus l'oscillation de cette dernière sera grande, et donc détectable. Raison pour laquelle la plupart des planètes découvertes aujourd'hui sont des géantes gazeuses. En 15 ans, les techniques se sont affinées, tant dans la mesure de la variation de la vitesse radiale que dans d'autres techniques de détection directes comme indirectes. Les astrophysiciens ont peu à peu découvert des planètes plus petites et orbitant à des distances plus éloignées de leurs étoiles. A côté des géantes gazeuses, le bestiaire planétaire compte maintenant dans ses rangs des planètes d'à peine quelques masses terrestres et dénommées "Super-Terres". "On commence à découvrir des vrais analogues de Jupiter, se réjouit Michaël Gillon. Il n'y a pas que l'affinement des techniques qui explique qu'on découvre à présent des planètes orbitant à une plus grande distance de leur étoile. Mais il faut observer une étoile parfois pendant plusieurs années avant de pouvoir déduire l'orbite de sa ou ses planètes sur base des vitesses radiales. Et il faut remettre les choses dans leur contexte : on a détecté la première exoplanète il y a à peine 15 ans…"

images tarantula nebula


Certaines planètes aujourd'hui connues ont au minimum quelques fois la masse terrestre. Ce sont donc des 'Super-Terres'. Elles pourraient être solides. Pour deux planètes, qui ont été observées en transit devant leurs étoiles, on a pu mesurer leur taille, leur masse, et en déduire leur structure. La première a été découverte par le satellite CoRoT. Elle s'appelle CoRoT-7b. Tous les modèles indiquent qu'elle est solide. Elle fait 6 fois la masse de la Terre, et 1,7 fois sa taille en diamètre. La deuxième fait aussi 6 fois la masse de la Terre, mais elle se rapproche plus d'une "mini-Neptune". Elle a une petite enveloppe de gaz et a un diamètre 2,7 fois supérieur à celui de notre planète. Elle se nomme Gliese 1214b."

Transit fr

Le projet TRAPPIST utilise également une méthode indirecte, la méthode des transits. Elle consiste à observer et analyser la variation de l'intensité lumineuse d'une étoile lorsqu'une planète ou un autre astre passe entre l'étoile et l'observateur et éclipse donc une partie de celle-ci (Lire aussi l'article Voyage au cœur des étoiles). La finalité sera non seulement de détecter de nouvelles planètes, mais aussi d'obtenir plus d'informations sur des planètes dont on connait déjà l'existence. "Avec TRAPPIST, on ne va pas quadriller le ciel à l'aveugle à la recherche de planètes en transit. On va plutôt se focaliser sur des systèmes qui peuvent potentiellement en avoir en fonction des informations qu'on aura a priori. Des programmes de recherche automatique existent. Mais ils couvrent des grands champs. Nous, nous irons étudier et mesurer avec beaucoup plus de précision les régions où on pense qu'il y a une possibilité de transit." Raison pour laquelle ils vont travailler en collaboration avec d'autres groupes. Comme l'observatoire de Genève, avec leur programme de spectrométrie HARPS à l'ESO, ou le satellite CoRoT. "On va aider à confirmer la nature planétaire des objets détectés par CoRoT, par exemple, et les caractériser".

Les informations qu'on peut obtenir en joignant les techniques de transit et de vitesses radiales sont donc nombreuses. Elles permettent d'attester de la taille, de l'atmosphère, de la structure et de la composition de la planète. Les connaissances que les astrophysiciens ont sur les exoplanètes proviennent donc en grande partie du peu de planètes (10% des exoplanètes connues) qui ont pu être observées en transit. Ainsi, outre des dizaines de géantes gazeuses, trois géantes de glace similaires à Neptune et deux "super-Terres" ont été observées. Et la finalité de TRAPPIST s'inscrit très clairement dans la filiation de ces recherches. Comme l'explique Michaël Gillon, "notre objectif est bien sûr de découvrir des planètes présentant des similitudes avec la nôtre, dans l'optique de peut-être un jour pouvoir attester que nous ne sommes pas seuls dans l'Univers."

 

Mieux comprendre la composition des comètes

Une des hypothèses qui circulent dans la communauté des astrophysiciens est que les comètes auraient pu contribuer à l'apparition des océans et de la vie sur Terre. Étudier la composition chimique des comètes permettra avant tout de mieux comprendre les conditions de la formation et l'histoire des comètes elles-mêmes, de notre système solaire et de notre planète. "Au-delà de leur rôle dans la création des planètes, explique Emmanuël Jehin, chercheur qualifié F.R.S-FNRS, responsable scientifique et investigateur principal pour les comètes dans le cadre du projet TRAPPIST, une théorie propose qu'elles auraient pu contribuer à l'apparition des océans sur notre planète et à l’apport de composés organiques. Au début de l'histoire de la Terre, il y a 4,5 milliards d’années, le soleil était beaucoup plus lumineux qu'aujourd'hui. Ce qui nous permet de supposer que tous les liquides avaient été vaporisés et que notre Terre n'était qu'une planète rocheuse, sans vie. Ce n'est que plus tard, il y a 3,8 milliards d'années, qu'une instabilité dans le système solaire a généré une pluie de plusieurs milliards de comètes et météorites, dont beaucoup se sont écrasées sur notre planète. Étant donné leur composition de glace et de molécules organiques, on pourrait avancer qu'elles sont à l'origine de nos océans et contribuèrent ainsi à l'apparition de la vie sur Terre." TRAPPIST contribuera indirectement à vérifier cette théorie. Les astrophysiciens tentent actuellement de déterminer le rapport isotopique du deutérium (D) sur l'hydrogène (H) et de voir s'il y a des similitudes entre les comètes et nos océans. Il faut pour cela utiliser des télescopes puissants comme le VLT (Very Large Telescope) de l’ESO [Lire l'article D'où vient l'eau des océans?]. Le télescope liégeois permettra d’identifier une série de comètes qui pourraient être intéressantes à observer à cette fin.

télescope Trappist

TRAPPIST permettra en effet aux astrophysiciens liégeois d'approfondir nos connaissances sur les comètes. Grâce à des filtres spéciaux mis au point par la NASA, le télescope étudiera leur composition chimique au moment où elles se rapprocheront et s'éloigneront du soleil. Les chercheurs de l'ULg pourront dès lors étudier l'évolution de la composition chimique des gaz éjectés. "Avec un grand télescope, on ne peut observer les comètes qu'une ou deux nuits par an, précise Emmanuël Jehin. Ici, nous pourrons faire ce dont rêvent les astronomes qui travaillent dans ce domaine : les suivre et les étudier chacune de semaine en semaine lorsqu’elles s’approchent et s’éloignent du Soleil. Nous pourrons ainsi déterminer leur évolution, leur composition et observer si les abondances changent en fonction de leur distance au Soleil. En accumulant des mesures sur une dizaine de comètes par an, on devrait pouvoir mettre en évidence les différentes classes de comètes au niveau de leur composition et essayer de lier cela à leur lieu de formation dans le système solaire."

Aux côtés des plus grands

Avec un miroir primaire de 60 cm de diamètre, le télescope TRAPPIST promet d'être plus que performant pour les missions qui lui sont demandées. Il a été installé dans un dôme ayant appartenu à l'Université de Genève, sur le site de La Silla (ESO) au Chili, avec l’aide de Virginie Chantry, postdoc ULg présente sur place. TRAPPIST a l'avantage singulier d'être robotisé et donc entièrement manipulable depuis Liège, à 12 000 km de distance. "Il a même sa propre station météo qui lui permettra de refermer automatiquement le dôme si le temps se dégrade, précise Pierre Magain, professeur et responsable administratif du projet TRAPPIST. Quant aux informations, elles seront récoltées à l'aide d'une double roue à filtres. L'une pour les exoplanètes, l'autre pour les comètes. Il suffit de préalablement choisir le filtre en fonction de ce qui va être observé." Une caméra CCD enregistrera les images captées, "ce qui représente une masse considérable d'informations, explique Michaël Gillon. Ce sont des centaines d’images, soit plusieurs Gigabytes que nous collecterons par nuit." Un prétraitement des données sera réalisé sur place, avant que les principaux résultats soient envoyés à Liège pour analyse finale.

Bien sûr, il n'aura pas les mêmes missions que des télescopes internationaux comme le VLT dont le miroir fait plus de 8 mètres de diamètre. "Mais le VLT, c'est vraiment pour observer les astres à des distances gigantesques, développe Emmanuël Jehin. Dans le cas présent, c'est plus utile pour nous d'avoir notre propre télescope; nous allons pouvoir l'utiliser autant de temps que nous le désirons, ce qui est très important pour mener à bien nos projets qui nécessitent de longs temps d'observation".

Observatoire La Sella by night

"Pour ce genre de recherche, renchérit Pierre Magain, il est important d'avoir un télescope à notre disposition exclusive. Par exemple, pour les comètes, certaines sont connues, mais beaucoup apparaissent sans crier gare. Et là, nous devons être capables de les observer au moment opportun. Quant aux exoplanètes, il faut que nous parvenions à les observer au moment précis où elles sont en transit, quand elles passent devant leur étoile. De tels transits durent plusieurs heures, voire toute une nuit." Un investissement magnifique et plus qu'utile dans cette longue quête millénaire d'une autre forme de vie, rendu possible par un appui financier du FNRS et de l’observatoire de Genève. L'équipe belge travaillera d'ailleurs en totale collaboration avec l’équipe suisse menée par Didier Queloz.

Lire aussi "Le téléscope TRAPPIST mesure la taille de l'astre qui a détrôné Pluton"

 


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