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Nuits blanches et gène d'horloge
07/07/2010

La conclusion apportée par Christina Schmidt était la suivante : «La pression de sommeil retentit négativement sur le niveau d'activité de la région du noyau suprachiasmatique pendant la tâche de vigilance. Nous avons ainsi montré pour la première fois chez l'Homme -et la deuxième fois toutes espèces confondues - que l'activité des circuits cérébraux responsables de la régulation circadienne est modulée par les processus homéostatiques du sommeil. Ceci suggère que les "sujets du matin" souffrent plus fortement que "ceux du soir" de l'impact de la pression de sommeil accumulée au cours de la journée, pression qui empêche l'expression optimale du signal d'alerte par la région du noyau suprachiasmatique et le locus coeruleus.»

PERIOD3 : un miroir à deux faces

Une autre étude, fut alors menée au Centre de Recherches du Cyclotron en collaboration avec le Surrey Sleep Research Centre de l'Université du Surrey, en Angleterre. Elle était axée sur la vulnérabilité individuelle à la privation de sommeil et ses résultats furent publiés le 24 juin 2009 dans The Journal of Neuroscience (2).

D'abord les antécédents. L'équipe de Derk-Jan Dijk, de l'Université du Surrey, a montré en 2007 que l'un des gènes de l'horloge circadienne des mammifères, PERIOD3 (PER3), intervient dans la régulation homéostatique du sommeil. Le gène PERIOD3 est doté d'un polymorphisme spécifique aux primates caractérisé par la répétition d'un même motif, soit quatre fois, soit cinq fois. Il existe des homozygotes de la forme (allèle) courte PER34/4 et d'autres de la forme longue PER35/5. Mieux encore : les chercheurs anglais ont mis en évidence que les individus PER35/5 sont plus sensibles à la privation de sommeil que les autres (PER34/4). «Assez curieusement, les deux populations ne se distinguent en rien par leurs marqueurs circadiens, précise Pierre Maquet. Ainsi, on n'observe aucune différence entre elles au niveau de la sécrétion de mélatonine ou de cortisol, de la température centrale, de l'expression des gènes d'horloge dans les leucocytes, etc. En revanche, il est acquis que les "5/5" accumulent plus vite la pression de sommeil. La preuve en est qu'ils produisent plus d'ondes lentes lors des premiers cycles de sommeil.»

Ici, ce sont les gènes qui parlent, et non des préférences individuelles. Au cours d'une journée normale, les deux groupes d'individus («4/4» et «5/5») maintiennent un niveau de performances cognitives relativement stable et équivalent. Toutefois, après une privation de sommeil, les individus plus vulnérables en raison de leur appartenance génétique vont être confrontés en fin de nuit à une détérioration de leurs performances beaucoup plus prononcée que les personnes moins sensibles, celles qui sont dotées de l'allèle 4/4 du gène PER3.

Mais que se passe-t-il concrètement dans le cerveau des uns et des autres ? C'est ce que Pierre Maquet et ses collaborateurs ont voulu élucider au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ils constituèrent un groupe de 15 sujets PER34/4 et un autre de 13 sujets PER35/5 selon des critères stricts – avoir de 18 à 30 ans, être droitier, ne pas se plaindre d'un problème de sommeil, ne pas avoir d'antécédents médicaux, traumatiques ou psychiatriques, ne pas consommer de la caféine ou de l'alcool en excès, ne pas avoir effectué durant les deux derniers mois un voyage avec franchissement de plus d'un fuseau horaire, ne pas avoir un indice de masse corporelle supérieur à 27, ne pas consommer de médicaments ou de drogues psychoactives, ne pas avoir fait partie d'équipes de travail de nuit durant la dernière année. En outre, les deux échantillons étaient similaires sur les plans de l'âge et du sexe, ainsi que de l'humeur, du niveau d'anxiété, du quotient intellectuel et du niveau d'éducation de leurs membres.

Le protocole expérimental se fondait sur une tâche exécutive : le 3-back task. Les participants entendaient une lettre toutes les 2,5 secondes. À eux de déterminer si elle était la même que celle prononcée 7,5 secondes auparavant. Exemple : H M O P - non, H M O H - oui. «Cette tâche réclame un effort mental considérable, souligne Pierre Maquet. Nous l'avons choisie parce que les études menées à l'Université du Surrey nous avaient appris que les performances à cette tâche se détérioraient chez les "5-5" après privation de sommeil, alors que ce n'était pas le cas chez les "4-4".» L'épreuve fut proposée aux participants le matin (1h30 ou 25h après le réveil) et le soir (après 14h de veille continue), une fois après une nuit de sommeil, une autre fois après privation de sommeil. L'activité cérébrale des sujets était mesurée en IRMf.

(2)    Gilles Vandewalle, Simon N. Archer, Catherine Wuillaume, Évelyne Balteau, Christian Degueldre, André Luxen, Pierre Maquet et Derk-Jan Dijk, Functional Magnetic Resonance Imaging-Assessed Brain Responses during an Executive Task Depend on Interaction of Sleep Homeostasis, Circadian Phase, and PER3 Genotype, in The Journal of Neuroscience, 24 juin 2009 – 29(25):7948-7956.

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