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Orientation scolaire ne rime pas (toujours) avec relégation
21/08/2012

L’œil de Moscou

Sur place, elle se met à fréquenter quotidiennement deux établissements. L’un (presque) à 100% masculin, l’autre davantage mixte. « Au départ, les enseignants me surnommaient "l’œil de Moscou", ils pensaient que j’étais là pour les espionner ! », sourit-elle. Mais, dans un premier temps du moins, c’est surtout aux jeunes que la chercheuse s’intéresse. Elle commence par compulser les dossiers scolaires. Puis, de fil en aiguille, elle étudie plus particulièrement le parcours de 40 d’entre eux. Elle les suit durant les cours, à la récréation, mais aussi dans différents lieux de socialisation et dans la sphère familiale. « Même si l’orientation scolaire est une question classique de la sociologie de l’éducation et qu’elle m’a conduite à travailler des concepts et des débats sociologiques, je tenais à appliquer une méthode ethnographique, en rapport avec ma formation initiale, l’anthropologue travaille davantage que le sociologue à l’induction. J’ai vraiment passé beaucoup de temps avec les gens pour comprendre leur mode de vie. Me rendre dans les familles était très important, car cela permet d’aller au-delà des déclarations et des présentations formelles et de discerner la signification des pratiques ».

Tout ce travail de terrain plantera finalement le décor de sa thèse puis de son ouvrage, intitulé L’orientation scolaire. Héritages sociaux et jugements professoraux, un condensé de son doctorat, publié aux PUF (2). Un livre dans lequel on retrouve les portraits de Jo, Jessy, Brandon, Giovanni, Kevyn, Jordan, Sylvie, Gaëtan, Laurent, Marine… Autant d’adolescents carolos, dont les parcours se sont progressivement éloignés de la filière générale pour se diriger vers l’enseignement technique ou professionnel.


Une orientation, pas une relégation

En analysant ces parcours, Géraldine André démontre que, contrairement au message habituellement relayé par les discours publics, suivre des cours dans ces deux filières n’est pas toujours vécu comme un échec. « Un grand nombre d’individus qui ont été suivis ne perçoivent pas leur parcours scolaire comme une trajectoire de relégation, explique-t-elle. Ils contribuent à leur orientation, ils ne la subissent pas. Il arrive même parfois que la décision de rejoindre l’enseignement technique ou professionnel a été prise avant que le conseil de classe ne se soit exprimé dans ce sens ».

Si ces élèves ne ressentent pas les stigmates de ce verdict scolaire, c’est grâce aux représentations acquises par leur héritage familial et social. Certains vont par exemple valoriser l’importance de la pratique par opposition avec la théorie, souvent jugée inutile. D’autres vont structurer leur perception du champ scolaire autour de l’attachement à la sphère locale et aux relations de proximité, voire de l’hédonisme (la chance et le destin comme facteurs de réussite plutôt que le travail acharné), etc. L’anthropologue a par ailleurs remarqué que plusieurs adolescents se réappropriaient certaines caractéristiques auparavant liées à l’univers ouvrier. Comme la virilité, l’importance de la force physique, l’humour de chantier… Même si cela n’est plus tout à fait pertinent dans leur mode de vie actuel. « Par contre, plus les jeunes possèdent des codes liés à ceux des classes moyennes (sans nécessairement en maîtriser les références culturelles), plus le verdict scolaire aura de l’importance et plus ils éprouveront des difficultés à se retrouver dans l’enseignement de type professionnel »

(2) Géraldine André, L’orientation scolaire. Héritages sociaux et jugements professoraux, Paris, Presse Universitaires de France, coll. « Éducation & société », avril 2012.

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