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Les Etats-Unis, entre désarmement prudent et préservation nucléaire

Carte blanche publiée dans L'Echo du mercredi 17 février 2010
par André Dumoulin1, docteur en sciences politiques de Lille 2, chargé de cours associé à l'ULg et attaché à l'Ecole royale militaire.


Le nouveau traité START de réduction des potentiels nucléaires américains et russes qui devrait être signé dans quelques semaines et ratifié encore cette année, tout comme les déclarations du président Obama sur un monde débarrassé des armes nucléaires ont toute l’apparence d’une rupture conceptuelle. Mais ce n’est qu’apparence et celle-ci est trompeuse. Le traité START maintiendra des plafonds encore élevés (entre 1500 à 1675 ogives et bombes pour chaque puissance) et la question des réserves nucléaires et celles inactives fortes de plusieurs centaines de charges ne devrait pas être facilement résolue. En outre, le discours de Prague du président Obama  reste une abstraction, un objectif lointain si toutes les conditions sont réunies2. L’hypothèse d’un monde dénucléarisé reste conditionnée au maintien de la sécurité du pays, et à la résolution des nombreux problèmes posés par la prolifération; obsession occidentale que l’on va retrouver dans l’organisation, en avril prochain, d’un sommet mondial sur la sécurité nucléaire à Washington.

A ce sujet, le paysage à termes prévisibles n’incite pas à l’optimisme. Ceci peut expliquer le refus américain de s’engager à lever l’état de haute alerte (de-alerting), sur tous ses missiles en dépit des promesses du candidat Obama de le faire, et ce de concert avec les Russes. Dans le discours obamien de Prague d’avril 2009, le thème n’est plus abordé ; et Washington a émis un vote négatif contre la résolution « Reducing nuclear danger » présentée le 27 octobre dernier à la première Commission de l’Assemblée de l’ONU.

Aux Etats-Unis, la planification nucléaire inclut la modernisation du guidage et de la motorisation des ICBM Minuteman III, le programme Complexe 2030 sur les charges robustes et sécurisées (Reliable Replacement Warhead) et le remplacement futur des sous-marins Ohio et des missiles en silos par de nouvelles générations de systèmes d’armes, très certainement à double capacité, nucléaire et classique. Les caractéristiques de la nouvelle composante océanique stratégique seront prochainement présentées au Congrès américain et la question tournera autour du nombre (en passant de 14 Ohio à 12 sous-marins de nouvelle génération), non autour de leur disparition. La capacité nucléaire de 3ème génération des Etats-Unis ne sera pas mise en péril, entre charges durcies, bombes électromagnétiques, simulation et contrôle « d’essais » en laboratoire, systèmes nucléaires protégés et préservés par une maintenance technologique financièrement garantie.

Il ne peut en être autrement au vu de la situation complexe de la prolifération (Iran, Corée du Nord, Pakistan,…), des incertitudes stratégiques et de la permanence de la dialectique de la dissuasion vu comme un outil politique créant de la circonspection (à ne pas confondre avec l’arme nucléaire vu comme outil d’emploi dans un référentiel Hiroshima). Le paysage nucléaire change, s’affine, se complexifie, mais les fondements demeurent à savoir préserver les intérêts vitaux nationaux ou ceux des alliances territoriales en créant les conditions de non-emploi de la force par un adversaire éventuel ou potentiel voulant s’en prendre à ces intérêts premiers. Mais n’omettons pas aussi de tenir compte de la perception des autres acteurs. La Russie est en pleine musculation nucléaire, à la fois verbale mais aussi en terme de crédibilité technologique générationnelle à garantir. La Chine, L’Inde, le Pakistan, Israël sont dans des processus d’acquisition de moyens nucléaires dits de seconde frappe (représailles) protégés (silos, tunnels, sous-marins furtifs par essence) et crédibles. Nous sommes ici dans le qualitatif et dans le quantitatif. Rien à voir avec l’idée d’un Global Zéro. Quant à l’Iran, surdoué dans ce jeu du chat et de la souris, les événements récents indiquent combien la fuite en avant et la diplomatie à double langage sont pesantes. Reste les Britanniques et les Français, qui estiment que leur potentiel résiduel (entre 100 et 300 charges) n’imposent aucune démarche de désarmement dans la même temporalité que celle de START. Paris et Londres peuvent modifier leur posture nucléaire mais à la marge, essentiellement pour des motifs budgétaires, accessoirement diplomatiques3, non pour des raisons « philosophiques » propres à une vision post-nucléaire. De toute évidence, le paysage nucléaire et les programmes d’équipement des Etats nucléaires anciens et nouveaux n’indiquent nullement une propension à rapidement atteindre le monde post-nucléaire.

Entre zones grises et zones floues, entre discours d’un candidat et discours d’un dirigeant, entre le souhaitable et le possible, les stratégistes et les politiques cherchent et se cherchent. Assurément, le concept de second âge nucléaire est bien réel. Cela nous impose à la fois principe de précaution - l’outil politique de la dissuasion a encore un rôle de stabilisation dans le monde tel qu’il est et non dans celui que l’on rêve -, et politique d’audace autour des mesures de confiance et de sécurité à reformuler dans les espaces géopolitiques instables, outils complexes mais dont l’expérience historique de l’Arms control nous montre la voie à suivre. Reste à déterminer si tous les acteurs nucléaires présents et ceux du seuil l’entendent de cette oreille.

1. Attaché à l’Ecole royale militaire (Bruxelles) et au département de science politique de la Faculté de droit de l’Université de Liège. Membre du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (www.rmes.be). Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur et nullement celle de son institution de rattachement ou du ministère belge de la Défense.
2. Voir aussi le discours de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton à l’United States Institute of Peace, Washington, 19 octobre 2009.
3. Les discours français et britanniques sur les efforts qu’ils ont entrepris et qu’ils entreprendront à l’avenir dans le domaine du désarmement (article VI) seront là comme « effet de manche » autour de la conférence de suivi du traité de non-prolifération qui sera organisée en mai prochain.


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