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La Flandre ne peut pas scinder unilatéralement BHV

Carte blanche parue dans le journal Le Soir du 30 octobre 2009
Par Christian Behrendt, Professeur de droit constitutionnel et de théorie générale de l'Etat à l'Université de Liège

Lundi dernier, le 26 octobre, le Parlement de la Communauté germanophone a voté une motion en conflit d'intérêts à l'égard des propositions de loi visant à scinder la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV). Un nouveau délai de 120 jours s'est donc ouvert pour trouver une solution négociée à la demande flamande de scission de cette circonscription crée en 1830.

Il est le propre des juristes d'envisager des hypothèses – non seulement celles qui sont généralement estimées probables mais aussi celles qui le sont moins, voire qui sont réputées très peu probables : si jamais telle ou telle chose devait arriver, quelles en seraient les conséquences en droit ?

C'est dans cette optique que je me propose ici d'envisager une problématique juridique précise – celle d'une issue non fructueuse des négociations relatives à BHV. Soyons clairs : ce n'est pas que je souhaite une telle issue ; que du contraire. Mais il me semble malgré tout utile d'examiner, seulement en droit, l'hypothèse d'un échec de ces négociations.

Supposons donc un instant que le délai de 120 jours fourni par les parlementaires germanophones arrive à expiration et qu'à l'issue de ce délai, aucune solution à la problématique de BHV n'ait pu être trouvée entre les principaux acteurs politiques au niveau fédéral (1). Une première – quoique petite – difficulté sera de savoir à quel moment précis cette expiration sera acquise. En effet, le calcul exact des 120 jours n'est pas si aisé que cela (il y a des causes d'interruption du délai, etc.). Mais passons ; l'essentiel n'est pas là.

Supposons donc que, un jour au printemps prochain, les 120 jours aient expiré. La proposition pourrait alors être inscrite à l'ordre du jour d'une séance plénière la Chambre et être adoptée : pour cela, une majorité ordinaire suffirait, et les députés néerlandophones (88 sur 150) peuvent la constituer à eux seuls.

Or, la procédure parlementaire de la proposition de loi relative à BHV requiert au total quatre votes : un vote en commission à la Chambre (celui-ci est intervenu en novembre 2007), un vote en plénière à la Chambre (c'est celui que je viens d'envisager), un vote en commission au Sénat et, enfin, un scrutin en séance plénière au Sénat.

Il est assez possible que les ministres francophones du gouvernement fédéral démissionneront dès ce second vote. Mais je souhaiterais envisager ici, en théorie pure, le cas le plus favorable aux intérêts flamands, à savoir celui où le gouvernement Van Rompuy survive à ce second vote. Le texte scindant BHV, ainsi approuvé à la Chambre, serait alors transmis au Sénat, en vue des votes numéros 3 et 4.

Je crois que l'on ne prend pas beaucoup de risques si l'on suppose qu'au plus tard avant le quatrième et dernier vote – celui en séance plénière au Sénat – les ministres francophones du gouvernement fédéral démissionneront. Mais allons jusqu'au bout : supposons même que les sénateurs néerlandophones persistent et approuvent le texte malgré tout. Les 4 votes sur 4 seraient alors acquis.

Or, au moment même où ce dernier vote interviendrait, le gouvernement van Rompuy aura perdu tous ses ministres francophones. La parité linguistique (F/NL) des ministres fédéraux étant obligatoire (article 99 de la Constitution), le Premier ministre sera contraint de présenter sa démission au Roi, ce qui emporterait celle de tous ses ministres, y compris néerlandophones. Si à ce stade toujours aucune solution négociée à BHV n'est trouvée, le Roi sera amené à accepter la démission, de sorte que la capacité d'action du gouvernement sera limitée à la seule expédition des affaires courantes (2), c'est-à-dire aux « affaires qui relèvent de la gestion quotidienne de l'État » (3).

 

Illu BHV

Or, le texte fraîchement voté par le Sénat n'est pas encore une loi : pour l'être, il lui manque encore deux signatures : celle du Roi (« la sanction ») et celle d'un ministre (« le contreseing »). Et c'est ici que l'initiative flamande de passer en force se trouvera définitivement bloquée : le gouvernement étant démissionnaire, plus aucun ministre ne sera autorisé à fournir le contreseing, dès lors que cet acte dépasse de loin – de très loin – le cadre des affaires courantes.

Que l'on se rassure : tout ce scénario n'arrivera jamais ; tout n'est qu'hypothèse, pensée juridique abstraite. Jamais les néerlandophones n'iront jusqu'au 4e vote : ils savent pertinemment bien, et depuis longtemps déjà, qu'après ce vote, ils se trouveront face à un mur. Tenter de passer en force au Parlement ne sert donc à rien… sauf à obtenir, à court terme des gains de popularité auprès d'un certain électorat. Ainsi, lors du vote intervenu en novembre 2007 (le premier de quatre votes indispensables à la scission), le mur est encore très éloigné, trop pour être aperçu par les caméras et… l'électorat avide de musculation communautaire. Or, après un ou deux votes, il faudra bien, au Nord, commencer à freiner : l'obstacle en fin de parcours se profilera inéluctablement à l'horizon. Pour l'instant, les dirigeants flamands sont dans la confortable situation de pouvoir maintenir auprès de leur électorat l'impression qu'ils sont freinés par des procédures successives de conflits d'intérêts et qu'une fois libérés de ces freins, ils pousseraient sans retenue sur l'accélérateur.

De la sorte apparaît le véritable bénéficiaire du vote des germanophones : pendant 120 jours encore, il sera loisible aux dirigeants du Nord de masquer le constat, apparemment si pénible à une partie de son électorat, que le droit constitutionnel belge dresse un obstacle infranchissable à toute démarche législative unilatérale. Or, cet obstacle s'identifie à l'essence même de la démocratie fédérale.

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Le Soir, 19/08/2008, page 11: Du drapeau national, de Copernic et des angles morts en droit public

 

Lire également "L'épine de Bruxelles-Hal-Vilvorde".

 

 


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