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Activation des chômeurs de longue durée : un leurre !

Carte blanche parue dans le journal La Libre Belgique du 21 avril 2009
Par
Jules GAZON, Professeur émérite, HEC - Ecole de gestion de l’Université de Liège

Dans l’UE27, 50% des chômeurs sont des chômeurs de longue durée (période de chômage supérieure à un an). Ils sont plus de 60% en Communauté française de Belgique. Apparue vers le milieu des années septante, cette mutation du chômage structurel vers le chômage de longue durée s’explique d’abord par une mondialisation accrue de l’économie due à l’émergence des nouveaux pays industriels qui exacerbent la concurrence internationale en menaçant toutes les activités intensives en travail peu qualifié des pays industrialisés. D’autre part, depuis une trentaine d’années, la révolution numérique implique non seulement la création de nouveaux métiers mais aussi un changement profond dans la façon de travailler, une modification souvent majeure du "process" de production des biens et services.

Le manque d’anticipation des formations et de l’enseignement face aux défis du redéploiement des activités et à la préparation aux nouveaux métiers, constitue la cause majeure du chômage de longue durée. Malgré les efforts entrepris, c’est à ce niveau qu’il faut trouver les responsables, sachant que c’est l’absence de décisions appropriées dans le passé qui détermine le déficit de qualification actuelle.

Après la seconde guerre mondiale, les Pères de la Sécurité sociale ont mis en place aux côtés de l’Assurance maladie-invalidité et des pensions de retraite, un lien solidaire entre actifs et inactifs : l’assurance chômage financée par les cotisations sociales incorporées au coût salarial représentant la «prime d’assurance» qui garantit les allocations de chômage au travailleur qui perd son emploi, système pensé à un moment où le chômage structurel était de type court. Ce fut le cas jusqu’au milieu des années septante ; le travailleur qui perdait son emploi pouvait rapidement résorber son déficit de qualification et retrouver un nouvel emploi. Il n’y avait pas de chômage de longue durée. Depuis que le chômage structurel s’est transformé en chômage de longue durée, ce système solidaire n’est plus adapté et ne répond plus au principe d’égalité qui doit inspirer toute démocratie car d’autres privations s’imposent aux inactifs de longue durée. En effet, l’inactivité de longue durée marginalise, enferme dans un ghetto où se perdent les compétences et la motivation professionnelle… Cet isolement crée dans nos sociétés, en raison des allocations de chômage sans travail en contrepartie, une communauté assistée dont le repli sur soi engendre un phénomène d'auto exclusion sociale où souvent, les enfants, formatés dès la naissance pour n’avoir comme horizon que l’assistance, n’ont pratiquement aucune chance de pouvoir intégrer le marché du travail à l’âge adulte. Il en découle un rejet par les actifs de cette "communauté de chômeurs assistés" qui avive les tensions sociales et raciales dans la mesure où le chômage frappe davantage certaines personnes en raison de leur origine ethnique. Ce ghetto accepté, dont le chômeur ne cherche même plus à sortir, représente un véritable défi pour une gouvernance soucieuse d'équité.

Mais, frapper d'ostracisme ces personnes pour une paresse apparente ou réelle, c'est se tromper de cible. Perdre son emploi est toujours dramatique, naître et grandir dans un milieu qui ne peut vivre que de l'assistance, c'est être frappé d'un handicap à la naissance. Dans les deux cas, c'est la Société qui exclut l'individu et Elle ne peut se réfugier derrière l'acceptation consciente ou non des chômeurs d'être devenus des "handicapés" sociaux.

Réactiver les chômeurs, y compris les chômeurs de longue durée, est un objectif nécessaire non seulement pour des raisons économiques mais aussi éthiques car on ne peut laisser s’enfermer une partie de la population dans un ghetto qui compromet jusqu’à tout repère à l’estime de soi. En conclure qu’il faut sanctionner ces personnes parce que elles ne rechercheraient pas activement un emploi relève toutefois d’une gouvernance hypocrite car ces inactifs sont devenus INEMPLOYABLES. Penser qu’ils pourront retrouver du travail en se présentant sur le marché de l’emploi est un leurre. C’est ajouter davantage encore à leur situation d’échec. Absents du côté de l'offre de travail, ils ne sont pas davantage demandés par les entreprises. Et même l’économie sociale mise en place par la Région wallonne est souvent contre-productive à cet égard, car essentiellement organisée pour embaucher des chômeurs de courte durée, les subsides n’étant pas octroyés en fonction du handicap social des chômeurs.

 

chomageemploi

Que faire ? Dans le cadre actuel, obliger les chômeurs en bonne santé à suivre une formation et donc les sanctionner par le retrait des allocations s’ils refusent, est une solution. Mais il y a mieux à faire. Dans mon récent livre(1), je propose de changer de paradigme et de ne plus faire du chômage la variable d’ajustement du marché du travail. Il ne s’agit pas de nier les causes du chômage frictionnel et structurel même s’il faut tout faire pour en réduire les effets, mais de garantir un contrat d’emploi, sous diverses modalités, à ceux qui perdent le leur en lieu et place de l’assurance-assistance chômage. D’abord en créant des activités nouvelles intensives en travail peu qualifié et non concurrencées au plan international. Déjà proposé à l’état embryonnaire à la Région wallonne en 1996, mon dispositif a été transformé, en fonction de l’itinéraire de responsables politiques, en une pâle copie celle des «Titres services» dont il convient néanmoins de souligner le succès. Mon dispositif n’est pas fondé sur la subvention. Il peut ne rien coûter à l’Etat par rapport au coût actuel des allocations de chômage et des diverses autres allocations versées aux inactifs. Il favorise la mobilité entre entreprises avec garantie du contrat d’emploi. Il apporte aussi une solution ainsi que le financement pour la remise au travail des chômeurs de longue durée. Mais cette reprise de l’activité passerait par un contrat d’emploi-formation qui serait un véritable contrat d’emploi avec une rémunération au niveau du salaire minimum pendant la période très probable durant laquelle ces travailleurs sortis de leur ghetto ne seraient guère productifs. Un encadrement adapté est nécessaire pour ces personnes victimes d’un handicap social. Avant de leur apprendre un métier, un véritable «coaching » à la prise de conscience d'une responsabilité sociale et citoyenne sera nécessaire. Le mal généré par notre système soi-disant solidaire est tel que ses victimes devront réapprendre à organiser leur vie en fonction des exigences de la journée de travail-formation. Une fois la dignité retrouvée qui postule pour chaque individu en bonne santé l’acceptation de participer à la création de richesses pour obtenir en retour les justes fruits de son travail, une prise en charge du type de celui déjà pratiqué par les Entreprises de Formation par le Travail sera le bienvenu.

Dans ce dispositif, le travailleur qui perd son emploi, reste en activité suivant les différents modules proposés dans mon livre en étant rémunéré au niveau de sa qualification. Si le droit au travail est ainsi garanti, le devoir de travailler s’impose dès lors pour toute personne en âge de travailler et en bonne santé physique et psychique, fût-il dans le cadre d’un emploi-formation. Et c’est précisément parce que le droit au travail serait assuré que le refus de travailler serait alors sanctionné avec la plus extrême sévérité, le revenu de remplacement à celui du travail n’ayant plus lieu d’être.

Bien sûr un tel dispositif devra se mettre en place de façon progressive mais néanmoins rapide. Plusieurs obstacles seront à surmonter dont celui de s’opposer avec fermeté à ceux qui, par clientélisme politique ou autre, voudraient maintenir l’assistance pour ceux qui refuseraient un contrat d’emploi-formation et par la suite un emploi convenable.

Lire aussi l'article "Ni chômage, ni assistance"

 

(1) Jules Gazon, Le chômage, une fatalité. Pourquoi et comment l’éradiquer, Editions L’Harmattan, Paris 2008.




 


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