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La retraite : un enjeu de santé publique

Carte blanche aux jeunes chercheurs parue dans le journal "Le Soir" du 11 août 2008.
par Eric Bonsang Assistant en Economie à HEC-Ulg, Ecole de Gestion de l'Université de Liège.

Au cours de ces cinquante dernières années, la retraite est devenue une période de la vie de plus en plus longue. Alors qu'elle s'élevait en moyenne à huit ans durant les années 60, elle atteint plus de vingt ans aujourd'hui. Cet allongement s'explique essentiellement par deux phénomènes : d'une part, l'espérance de vie s'est considérablement accrue ; d'autre part, l'âge effectif de départ à la retraite a continuellement diminué. La crise des années 70 et l'apparition du chômage de masse ont en effet conduit plusieurs pays européens à favoriser les départs précoces à la retraite afin d'absorber l'excès d'offre de travail des plus jeunes générations.

Depuis lors, on a pu observer l'inefficacité de cette politique sur le marché du travail. De plus, l'allongement de la période de retraite, combiné au vieillissement de la population, exerce une pression sur le financement du système de Sécurité sociale et menace sa viabilité si aucune réforme n'est entreprise afin d'assurer sa pérennité. Mon objectif ici est de discuter d'un autre aspect encore souvent négligé dans ces débats : les conséquences de la retraite sur la santé, et plus particulièrement sur les performances cognitives.

Pour les personnes âgées, un défi important consiste à pouvoir continuer à profiter des activités quotidiennes, malgré les modifications physiques et mentales liées à l'âge. Le vieillissement entraîne entre autres des changements biologiques au niveau du cerveau affectant à leur tour les fonctions cognitives. Ce déclin peut contribuer à limiter les capacités des personnes âgées à gérer leur quotidien et peut dans certains cas mener à la dépendance.

Or, ce phénomène n'est pas inéluctable : certaines personnes conservent d'excellentes capacités cognitives malgré leur grand âge.

Nos performances cognitives et leurs évolutions ne sont pas prédéterminées : nous avons la capacité de les influencer.

Afin d'expliquer cette disparité, des neuropsychologues suggèrent que les individus possèdent différents niveaux de réserve cognitive leur permettant de retarder les effets du «vieillissement normal» et de pathologies telles que la maladie d'Alzheimer. Plusieurs études ont pu montrer que cette réserve dépend de plusieurs facteurs tels que l'éducation, un style de vie actif ou les interactions sociales.

Ces observations suggèrent que nos performances cognitives et leurs évolutions ne sont pas prédéterminées : nous avons la capacité de les influencer. 

 

Le monde professionnel constitue pour beaucoup une part non négligeable de notre vie. Il est source d'interactions sociales et fait appel à des tâches cognitives plus ou moins complexes suivant le type d'emploi exercé. Partant de ce constat, l'objet de nos recherches s'est tourné vers l'effet de la retraite sur les fonctions cognitives. Sur la base d'enquêtes pluridisciplinaires menées en Europe et aux Etats-Unis, nous avons mené plusieurs analyses empiriques basées sur des tests de performances cognitives auprès de plus de 50.000 individus âgés de 50 ans et plus. Par exemple des tests d'apprentissage et de rappel verbal au cours desquels le participant doit apprendre une liste de 10 mots et est invité ensuite à rappeler ces mots à deux moments différents : une première fois immédiatement après la lecture de la liste et une deuxième fois après une courte période de plus ou moins cinq minutes pendant que d'autres tests lui sont proposés. Quelle que soit la méthode ou la source de données utilisées, les résultats sont univoques : en plus du rôle fondamental joué par l'éducation face au vieillissement cognitif, le fait de rester en activité professionnelle est positivement associé à la constitution de la réserve cognitive.

Le maintien en activité des personnes âgées contribue à retarder les effets du vieillissement sur les performances cognitives. En moyenne, l'augmentation du taux d'emploi des personnes âgées conduirait à une amélioration de cette dimension du bien-être et retarderait les effets cliniques du vieillissement normal ou de maladies neurologiques. Cependant, il s'agit de nuancer ce résultat : bien que l'effet de la retraite sur les performances cognitives soit négatif en moyenne, cela ne signifie pas que c'est le cas pour l'ensemble de la population. Il dépend vraisemblablement de divers facteurs tels que le type de profession ou l'épanouissement dans la vie non professionnelle. Par ailleurs, nos résultats suggèrent que la pratique d'une activité non professionnelle et les contacts sociaux permettent également de retarder le vieillissement cognitif. La retraite n'affecte pas les performances en soi, mais reflète plutôt les changements de style de vie qui s'opèrent lors de cette transition.

Le fait de rester en activité professionnelle est positivement associé à la constitution de la réserve cognitive.

Les systèmes mis en place autour de la fin de carrière tant du côté des entreprises que des pouvoirs publics découragent l'activité professionnelle des personnes âgées.Il est aujourd'hui grand temps de repenser la manière dont cette transition s'opère. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de financement de la Sécurité sociale, mais également d'un enjeu de santé publique.







 

 

 

 


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