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Surprise autour des aurores polaires de Jupiter

26/05/2008

Si Jupiter possède des aurores polaires tout comme la Terre, ses émissions aurorales présentent des caractéristiques qui ne cessent de surprendre les scientifiques. Une des particularités des aurores joviennes, c’est que certains de ses satellites peuvent créer des taches aurorales. La grande campagne 2007 de Hubble a révélé l’existence d’une faible tache secondaire proche de la tache principale liée à la lune Io, mais située là où aucun modèle ne prévoyait son apparition. Bertrand Bonfond a imaginé un nouveau scénario capable de rendre compte de la présence de cette tache secondaire tantôt en amont, tantôt en aval de la tache principale.

Lumière auroraleOn peut dire que 2007 a été un bon millésime pour les observations d’aurores sur Jupiter à partir du télescope spatial Hubble. En effet, la sonde américaine New Horizons, en route vers Pluton, passait près de Jupiter en 2007. Les astronomes ont voulu saisir cette conjoncture pour observer Jupiter simultanément depuis la Terre (du moins sa banlieue proche), avec Hubble, et in situ, avec New Horizons. Les chercheurs du Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire (LPAP) de l’Université de Liège ont ainsi pu bénéficier d’une large campagne d’observations avec Hubble : «alors qu’une campagne normale consiste en une demi-douzaine d’orbites de Hubble, on nous en a octroyé 80 en 2007, rien que pour observer les aurores sur Jupiter», précise Bertrand Bonfond, chercheur et doctorant au LPAP.

Le phénomène auroral est bien connu sur Terre où il se manifeste sous forme de magnifiques draperies bleues, vertes et rouges qui se déploient dans le ciel des régions de hautes latitudes. Sur Terre, les aurores polaires proviennent de la rencontre entre le vent solaire et l’atmosphère terrestre. Des aurores sont également observées aux pôles d’autres planètes, mais les mécanismes de formation peuvent être différents.

Sous la direction du Professeur Gérard, les planétologues du LPAP étudient depuis une quinzaine d’années le phénomène auroral sur Jupiter et sur Saturne, avec Hubble. Ils ont ainsi pu montrer, par exemple, que l’influence du vent solaire dans la formation des aurores sur Jupiter est très faible. Leur origine est principalement interne au système jovien et, en particulier, au système Jupiter-Io.

Le système formé par la planète Jupiter et un de ses satellites, Io, est extrêmement particulier. Jupiter est la plus grande planète du système solaire, avec le champ magnétique le plus intense. Io, avec 200 volcans en activité permanente, est le satellite le plus volcanique du système solaire. Ceux-ci crachent dans l’espace de l’ordre d’une tonne de matière par seconde qui, une fois ionisée, est piégée par la magnétosphère de Jupiter et alimente un tore de plasma concentré au voisinage de l’orbite d’Io. Io et JupiterCe tore est entraîné par le champ magnétique dans une ronde autour de Jupiter à une vitesse quatre fois supérieure à celle d’Io : le champ magnétique tourne sur lui-même en 10 heures, alors qu’Io effectue un tour complet de Jupiter en 42 heures. De plus, comme l’axe magnétique de Jupiter est penché par rapport à son axe de rotation, le plan du tore de plasma est incliné par rapport au plan orbital d’Io. Io n’est donc pas toujours situé au centre de ce tore mais se déplace en permanence d’un bord à l’autre. C’est l’interaction entre la magnétosphère jovienne et le plasma relâché par Io qui est responsable des aurores observées dans la haute atmosphère de Jupiter, alors que sur Terre c’est l’interaction entre la magnétosphère et le vent solaire qui crée les aurores. Comme sur Terre, les émissions aurorales apparaissent aux deux pôles simultanément.

Satellite jovien IoLes aurores joviennes peuvent être décomposées en trois parties, ayant chacune son mécanisme de formation propre : un ovale principal autour des pôles magnétiques, des émissions polaires fortement variables et les empreintes des satellites Ganymède, Europe et Io, situées plus à l’équateur que l’ovale principal. L’empreinte de satellite la plus visible et celle d’Io. Elle est formée d’une tache principale suivie d’une traînée et quelques fois d’une ou plusieurs taches secondaires qui se superposent à la trainée. La physique à l’origine de l’ovale principal est relativement bien connue, comme l’explique Bertrand Bonfond : «À cause de la force centrifuge, les particules chargées du tore de plasma migrent hors du tore et s’éloignent progressivement de la planète, nécessitant une augmentation régulière de leur vitesse afin de suivre le champ magnétique dans sa rotation en 10 heures. Au début, elles y parviendront, mais à un moment donné, elles vont peiner à accélérer. Des courants électriques vont alors s’établir entre l’atmosphère de Jupiter et ces particules. Ces courants accélèrent des électrons le long des lignes de champ magnétique. Ceux-ci vont ensuite percuter à grande vitesse la haute atmosphère de Jupiter. Ces chocs provoquent une émission lumineuse sous la forme d’un ovale auroral situé au pied de ces courants.»

Un scénario avait également été imaginé pour modéliser l’empreinte aurorale d’Io. Le mouvement relatif d’Io dans le tore de plasma génère lui aussi un courant qui circule en Io et chacun des pôles de Jupiter, le long des lignes de champ magnétique. «Une analogie permet de mieux comprendre ce qui se passe, suggère Bonfond. Imaginons un rocher au milieu d’un torrent. Ce rocher va provoquer des vagues qui vont se propager à la surface de l’eau et toucher les berges en aval de ce rocher. Si ce rocher est plus proche de la rive droite que de la rive gauche, les vagues parties vers la gauche arriveront sur la berge plus tard et plus en aval que les vagues parties vers la rive droite. De même, comme Io ne gravite pas autour de Jupiter à la même vitesse que le champ magnétique jovien, Particules éjectées IOle satellite fait obstacle au flux de particules du tore de plasma, induisant une perturbation qui se propage le long des lignes de champ sous forme d’ondes de plasma (ondes d’Alfvén) jusqu’aux pôles joviens. Une fois proches de Jupiter, ces ondes accélèrent des électrons vers la planète, ce qui crée la tache principale de l’empreinte d’Io. Tout comme pour le rocher, si Io est proche du bord nord du tore, la tache sud se formera plus en aval que la tache nord.» La traînée en aval de la tache principale peut s’expliquer par le fait que le gaz qui vient d’être ionisé près d’Io tourne toujours à la vitesse d’Io et pas encore à celle du champ magnétique. Des courants se forment alors comme dans le cas de l’ovale principal.

Un spot secondaire était souvent visible par dessus cette traînée dans les précédentes observations de Hubble. Pour expliquer son origine physique, les chercheurs invoquaient la réflexion partielle des ondes responsables de la tache principale sur les bords du tore à cause de la différence de densité entre l’intérieur et l’extérieur du tore. Comme les ondes réfléchies parcourent une distance plus importante dans le tore, elles arrivent au pôle après l’onde directe. Cela qui expliquait pourquoi la tache secondaire était toujours observée en aval de la tache principale et donc par dessus la traînée.

Or, la grande campagne d’observation de Jupiter avec Hubble en 2007 a révélé qu’une faible tache pouvait aussi exister en amont de la tache principale. D’après le scénario précédent, c’est impossible car l’onde réfléchie ne peut pas arriver sur Jupiter avant l’onde directe. Bertrand Bonfond consacre ses recherches à comprendre l’empreinte aurorale d’Io sur Jupiter. Il a imaginé un nouveau scénario capable de rendre compte de la présence de cette dernière tantôt en amont, tantôt en aval de la tache principale. Ce scénario fait l’objet de la couverture de l’édition du 16 mars de la revue américaine Geophysical Research Letters***.

Pole sud Jupiter«J’ai tout d’abord remarqué que le spot en amont apparaissait dans un hémisphère, précisément quand un spot aval était présent dans l’hémisphère opposé , explique-t-il. Cela suggère l’existence d’une connexion magnétique directe entre les aurores du pôle nord et celles du pôle sud. Je me suis ensuite souvenu d’observations de la sonde Galileo fin des années 90, tombées depuis dans l’oubli : Galileo avait fait des rase-mottes d’Io révélant non seulement des vues impressionnantes de volcans, mais aussi l’existence d’électrons qui font des allers-retours d’un hémisphère à l’autre de Jupiter, sans forcément précipiter aux pôles. L’explication donnée à l’époque était que les ondes générées par Io accélèrent des électrons non seulement vers Jupiter, ce qui crée la tache principale, mais aussi dans l’autre direction, formant les faisceaux d’électrons observés. Or le faisceau d’électrons n’est pas perturbé lorsqu’il traverse le tore de plasma, contrairement aux ondes de plasma qui sont freinées par la densité du tore. J’ai donc supposé qu’une partie de ces électrons pouvait effectivement précipiter dans l’hémisphère opposé en créant une faible tache. Ainsi, si Io est au nord du tore, les ondes de plasma vont rapidement atteindre le pôle nord et former la tache aurorale principale, tandis que les ondes parties vers le sud seront freinées par leur traversée du tore. Résultat : le faisceau d’électrons partis du Nord arriveront au Sud avant les ondes de plasma. La faible tache crée par le faisceau d’électrons se formera donc en amont de la tache principale. Ce scénario explique aussi la tache aval que l’on voit au nord. Puisque la tache principale au sud se forme plus en aval que la tache nord, le faisceau d’électrons parti du sud crée une tache secondaire en aval de la tache principale au nord..» La position relative des taches principale et secondaire dépend de l’emplacement d’Io dans le tore de plasma. Ce scénario sera testé lors de nouvelles observations de Hubble, consacrées à des configurations non encore observées.

Bertrand Bonfond dénombre trois bonnes raisons de s’intéresser à l’étude de l’interaction électromagnétique entre Jupiter et son satellite Io : «Au niveau fondamental tout d’abord, il s’agit de comprendre le système jovien dont les lunes sont aussi surprenantes que fascinantes. Ensuite, l’interaction en Io et Jupiter est le meilleur cas astronomique d’interaction entre un corps conducteur et un corps possédant un puissant champ magnétique. C’est donc un cas typique dont la physique pourra ensuite s’appliquer à d’autres systèmes astronomiques du même type, mais plus difficilement observables. Cela peut être le cas d’une exoplanète autour de son étoile ou de systèmes binaires de naines blanches. Enfin, il y a un intérêt certain à connaître précisément le comportement de la magnétosphère terrestre car les phénomènes qui s’y passent influencent la vie de tous les jours (satellites de télécommunication et de navigation, réseaux de courants électriques, etc.). Comparer les mécanismes de formation d’aurores sur différentes planètes permet de modéliser un phénomène marginal sur Terre, donc difficile à mesurer, grâce à son observation dans de meilleures conditions ailleurs.»

*** Bonfond B., J.-C. Gérard , D. Grodent, and J. Saur (2007), "Ultraviolet Io footprint short timescale dynamics", Geophysical Research Letters, 34, doi:10.1029/2006GL28765 Lire un extrait


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