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Planck est à Liège !

29/05/2008

Fin 2008 ou début 2009, grâce à une puissante fusée Ariane 5, l’Europe lancera Herschel et Planck, deux satellites d’observations scientifiques. Ils sont destinés à sonder les mystères de l’Univers en enquêtant sur la formation des galaxies, en jetant un nouveau regard sur son évolution et en explorant les vestiges de l’explosion initiale, le Big Bang. En procédant aux essais sous vide dans l’ultra-froid, le CSL (Centre Spatial de Liège), joue un rôle clef dans la réussite de ces deux missions.

Planck-artisteHerschel et Planck (*) dont les instruments doivent opérer à des températures très basses, seront positionnés à 1,5 million de km de la Terre, quatre fois la distance Terre-Lune. C’est du point de Lagrange L2, l’une des positions d’équilibre gravitationnel entre notre planète et le Soleil, celle qui se trouve à l’opposé de notre étoile, qu’ils vont observer le cosmos. Les deux satellites sont mis en œuvre par l’ESA (Agence Spatiale Européenne) pour la communauté scientifique.

D’un coût total de 2 milliards d’euros, dont la moitié pour les seuls satellites, les deux missions sont d’un très grand intérêt scientifique. Directeur du CSL jusqu'en 2010, Jean-Marc Defise, est conscient de l’importance des tests cryogéniques que son laboratoire est l’un des rares en Europe à pouvoir effectuer à pareille échelle. Dans la mise à l’épreuve de l’observatoire Planck complet (sans ses panneaux solaires), il voit la valorisation des efforts technologiques que l’Université, avec le soutien du gouvernement belge via le service public fédéral de la politique scientifique, a entrepris pour répondre aux besoins de l’ESA. Ce sont, pour lui, de nouvelles références de confiance et lettres de noblesse qui consacrent l’expertise des acteurs liégeois dans le domaine spatial.

Une «première» technologique

Financés par les Etats membres de l’ESA (Agence Spatiale Européenne), Herschel (3,3 t de masse au décollage) et Planck (1,8 t) sont réalisés sur la même plate-forme par l’industrie européenne, sous la maîtrise d’œuvre de Thales Alenia Space. Alors que sa filiale belge ETCA à Charleroi est impliquée dans leurs systèmes de conditionnement d’énergie et que EHP (Euro Heat Pipes) de Nivelles, membre de WSL (Wallonia Space Logistics), a fourni les caloducs du module de service, les compétences du CSL ont servi à qualifier et à calibrer la charge utile de Herschel - un télescope monolithique de 3,5 m - dans le simulateur vertical d’ambiance spatiale FOCAL 6.5 (**). Les trois instruments du plan focal ont également été mis à l’épreuve lors des essais vibratoires menés par le CSL en conditions cryogéniques, au moyen d’une installation unique conçue par les techniciens liégeois. C’est maintenant au tour du satellite complet Planck d’être mis à l’épreuve dans le simulateur horizontal FOCAL 5 : l’objet de cette campagne de tests - la dernière avant son départ pour le Centre Spatial Guyanais de Kourou – est de vérifier que l’instrumentation du télescope de 1,5 m de diamètre donne entière satisfaction pour son fonctionnement dans les conditions de froid extrême.

Le modèle de vol de l’observatoire européen Planck, arrivant par convoi exceptionnel de l’ESTEC, le centre européen de recherche et de technologie spatiales situé à Noordwijk aux Pays-Bas, a débarqué au CSL le 23 avril. C’était la troisième fois qu’on l’y accueillait : un prototype avait été testé durant soixante-cinq jours sous vide en 2005 et une partie du modèle de vol était déjà venue durant la première moitié de 2006 (pour vingt et un jours d’essais). Par ailleurs, les performances des miroirs du télescope Planck avaient été testées séparément au CSL dans des conditions également très froides avec une instrumentation spécialement conçue par les opticiens liégeois. Ces miroirs avaient été vérifiés avant de procéder à leur assemblage dans le télescope qui focalise les signaux perçus vers des détecteurs complexes en forme de cornets.

planck-en-routeCette fois, jusqu’en août, c’est le satellite complet qui est l’objet de vérifications et d’un étalonnage dans FOCAL 5. Son cœur - le télescope avec ses senseurs - sera exposé sous vide durant une phase de soixante jours, au cours de laquelle il devra atteindre une température de 0,1 K, soit - 273,05°C. C’est-à-dire un environnement très proche du zéro absolu ! Son instrumentation comprend deux yeux perçants qui vont observer la voûte céleste dans neuf longueurs d’onde afin de mesurer avec une précision inégalée la température du Rayonnement de Fond Cosmologique (RFC) ou «bruit de fond» du Cosmos. Le détecteur LFI (Low Frequency Instrument) va observer dans le domaine des micro-ondes (30 GHz -77 GHz), tandis que l’ensemble HFI (High Frequency Instrument) de 36 détecteurs va mesurer l’énergie rayonnante dans l’infrarouge très lointain et dans les micro-ondes (100 GHz - 857 GHz). Le CSL doit qualifier et certifier que les détecteurs dans le vide sont sensibles à des variations de température de quelques millionièmes de degré.

L’incontournable examen de passage

La particularité de Planck, ce qui en fait sa complexité, est que sa charge scientifique doit être maintenue à une température extrêmement basse pendant les 18 mois de sa mission spatiale. C’est la condition sine qua non pour mesurer, par des relevés précis et avec une résolution inégalée, le fond diffus cosmologique. La responsabilité du CSL est cruciale et délicate : c’est à ses équipes de chercheurs, ingénieurs et techniciens, assistés par des spécialistes de l’ESTEC et de Thales Alenia Space, qu’il incombe de donner le bon à tirer. Muni de ce «laisser-passer», Planck, accompagné de son «compagnon» Herschel, sera expédié par avion en Guyane pour son lancement par une Ariane 5.

Préparatifs

Cette ultime campagne d’essais du satellite Planck fait l’objet de tous les soins. Isabelle Domken, ingénieur industriel et chargée depuis vingt ans des tests de systèmes spatiaux, dirige l’équipe du CSL qui a préparé le simulateur FOCAL 5. Elle veille à ce que l’observatoire des débuts du Cosmos passe son crucial examen de passage dans des conditions excellentes. Elle nous rappelle que l’odyssée liégeoise de Planck a débuté en 2001 avec une étude de faisabilité qui a démontré que le CSL avait la capacité de tester le satellite complet. Il a fallu aménager l’infrastructure pour son accueil (construction d’une aile supplémentaire, agrandissement de l’aire de déchargement), investir dans de nouveaux équipements (liquéfacteur d’hélium, système de rails devant la cuve pour y intégrer le satellite, double tente thermique, dispositifs de sécurité), assurer la formation d’ingénieurs aux activités en cryogénie.

Une vie faite d’aléas et défis technologiques

La présence, durant la période estivale, de Planck au CSL ne passe pas inaperçue. Le déroulement des essais d’un satellite complet avant son envoi dans l’espace est prioritaire. Le Centre Spatial de Liège attendait Planck pour fin 2007. Il a dû adapter son planning de travail aux contraintes et retards dans le développement de l’observatoire européen de cosmologie.

Le simulateur FOCAL 5 a été configuré pour fonctionner à une température proche du zéro absolu, les panneaux les plus froids se trouvant à – 269°C ! Avec beaucoup de précautions, vu que la marge de manœuvre est très étroite, on s’est entraîné, au moyen d’une maquette, à faire entrer le Planck de 1,8 tonne enfermé dans une tente thermique qui fut spécialement construite par l’entreprise liégeoise AMOS. L’intérieur de cette tente est recouvert de nids d’abeilles. La technique pour poser les nids d’abeilles sur les panneaux de cuivre a été inspirée par un processus de la firme Aerofleet de Soumagne.

Petits-soins

Les panneaux ont ensuite été peints en noir de manière à absorber tout flux de chaleur et à éviter la réflexion de la chaleur émanant de la partie chaude (électronique), qui doit rester à 20°C dans le module de service orienté vers le soleil, sur la partie qui doit rester ultra-froide (télescope avec ses instruments).

Autre défi technologique qu’il a fallu relever : l’emploi d’un panneau comportant trois sources de référence qui, descendu devant l’instrument HFI, doit permettre son étalonnage avec une résolution jamais atteinte. Ce panneau est similaire à un bain d’hélium liquide et est conçu pour fonctionner de façon stable aux environs de 4 K (-269°C).

Conforter la théorie du Big Bang

Pour le refroidissement du cœur de sa charge utile jusqu’à des conditions extrêmes, Planck utilise un refroidisseur passif : à 50 K et trois refroidisseurs actifs : à 20 Kelvins (K), à 4 K et à 100 mK. Cette dernière valeur pour le refroidissement du plan focal de l’instrument HFI est atteinte par un système à dilution de deux isotopes d’hélium, à savoir l’hélium 4 et l’hélium 3. Si le premier est une ressource naturelle, le second est un produit rare issu de la fission nucléaire. L’hélium 3 est un des produits les plus chers au monde (environ 1,2 million d’EUR le kilo) et rien que pour Planck, son volume représente deux ans de production mondiale !

Le Centre Spatial de Liège doit donc prendre beaucoup de précautions dans la mise à l’épreuve de la chaîne de refroidissement, au grand complet, de l’observatoire testé dans FOCAL 5.

 

On attend beaucoup des observations réalisées par Planck pour lever des inconnues sur le Cosmos. Aujourd’hui, on ne connaît que 4 % de ce qui constitue l’Univers, à savoir sa matière visible. Mais on ignore la nature exacte des 23 % faits de matière noire et tout des 73 % liés à l’énergie noire ! C’est de cette matière et énergie noires qu’aurait jailli, de façon brutale, l’étincelle du Big Bang… Cette hypothèse du phénomène «que la lumière soit» explique que l’univers se trouve en expansion. Une théorie controversée même si la découverte du Rayonnement de Fond Cosmologique (RFC), au moyen de détecteurs dans l’espace, l’a remise à l’honneur.

GSmootLiège
L’Américain George Smoot, qui a obtenu le prix Nobel de Physique 2006 pour ses travaux sur les données du satellite américain COBE (Cosmic Background Explorer), croit dans les vertus du Big Bang. Il compte sur l’observatoire européen Planck pour obtenir la preuve flagrante d’un Cosmos en expansion. Ses données, qu’on espère très précises, devraient mesurer l’Univers à 1 % près et mettre en évidence les ondes gravitationnelles qui trahissent les fluctuations liées à son inflation, ainsi que la nature et la quantité de « masse manquante » (matière et énergie noires). G. Smoot est d’ores et déjà impatient de voir les résultats des observations de Planck. Rendez-vous, en 2010, pour tourner, grâce aux observations de Planck, une nouvelle page en cosmologie.



Lire l'article Baptême pour l'espace de Planck à Liège (Site de l'ESA)

(*) Ce sont deux grands noms du panthéon scientifique européen : l’astronome William Herschel (1738-1822) qui a découvert le rayonnement infrarouge et dessiné la forme de notre Galaxie, le physicien Max Planck (1858-1947) dont le nom est lié à la constante à la base de la mécanique quantique.

(**)FOCAL (Facility for Optical Calibration At Liege) désigne la famille des simulateurs sous vide du Centre Spatial de Liège. Le chiffre qui y est accolé donne le diamètre de la cuve en mètres. Le simulateur FOCAL 5 a justifié l’implantation- en 1984 - de l’infrastructure universitaire d’essais spatiaux dans le Liege Science Park du Sart Tilman.


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