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Un grand marché européen de l’électricité

Carte blanche parue dans le supplément "La Libre Entreprise" du 19 janvier 2008
par Axel Gautier,
Professeur d'économie HEC-Ecole de gestion de l'Université de Liège.

Depuis le 1er janvier 2007, le marché de l'électricité, comme celui du gaz, est entièrement libéralisé. Tous les ménages belges peuvent librement choisir leur fournisseur d'électricité. Cependant, un an plus tard, nous constatons une augmentation des prix. Or, la flambée des cours des combustibles fossiles ne l'explique que partiellement. Dans cette chronique, nous tentons d'expliquer ce paradoxe : l'ouverture du marché à la concurrence s'accompagne de prix plus élevés.

La libéralisation du marché va de paire avec une obligation de séparer, d'une part, les activités de transport sur réseau haute tension et de distribution sur les réseaux moyenne et basse tension et, d'autre part, la production et la commercialisation de l'électricité. La concurrence ne joue qu'au niveau de la production/commercialisation d'électricité; les activités de transport et de distributions restent en monopole. Pour atteindre leurs clients, les producteurs bénéficient de l'accès aux réseaux électriques moyennant le payement d'une redevance. La gestion du réseau de transport est assurée par Elia, celle des réseaux de distributions par les intercommunales publiques ou mixtes.

Pour que le marché libéralisé fonctionne correctement, les activités monopolistiques doivent être régulées. En particulier, les tarifs de transport et de distribution doivent refléter leurs coûts. La concurrence au niveau de la production et une régulation efficace des réseaux de transport et de distribution devraient conduire à des prix plus bas pour les consommateurs. Ce n'est manifestement pas le cas. Le marché belge fait face à trois problèmes : un manque de régulation, un manque de concurrence et un manque d'ouverture. Manque de régulation : en Belgique, le régulateur du marché (la CREG) ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour contrôler les tarifs de distributions.

Les intercommunales peuvent donc compenser les pertes de revenus des communes par des hausses de prix qui se répercutent sur la facture des consommateurs. Et, depuis la libéralisation, l'augmentation des tarifs de distributions est substantielle. L'absence de régulation efficace est un premier facteur qui explique la tendance à la hausse des prix.

Si l'on compte une dizaine de fournisseurs en Belgique, la quasi-totalité des capacités de production est concentrée dans les mains de deux producteurs : Electrablel (90 pc) et SPE-Luminus (9 pc). La concentration des capacités de production empêche une concurrence effective sur le marché. En particulier dans un contexte où les capacités de production sont rares. Pourquoi un producteur proposerait-il un tarif plus avantageux pour attirer des clients qu'il ne pourrait de toute façon pas servir faute de capacité de production ? La concentration extrême des capacités de production est un frein au développement de la concurrence sur le marché.

Le problème de capacité ne se poserait pas de façon si aiguë si l'on commercialisait en Belgique de l'électricité produite ailleurs, en France, par exemple. Malheureusement, les capacités de transport transfrontalières sont limitées et l'importation massive d'électricité est techniquement impossible. Ce problème n'est d'ailleurs pas propre à la Belgique. D'autres pays comme l'Espagne ou l'Italie souffrent d'un pareil isolement sur le réseau électrique européen.

L'augmentation des capacités de transport transfrontalières bénéficierait aux consommateurs comme au gestionnaire du réseau dont les revenus sont liés au trafic. Cependant, la plupart des gestionnaires de réseau en Europe sont directement ou indirectement contrôlés par des producteurs et ceux-ci n'ont, par contre, aucun intérêt à voir augmenter l'interconnexion des réseaux qui menacerait leurs positions sur le marché.

A l'heure où de grands groupes énergétiques se constituent en Europe, il faut que se développe en parallèle un grand marché européen de l'énergie réellement concurrentiel. La Commission européenne a pris une initiative dans ce sens. Le troisième paquet énergétique prévoit notamment une plus grande séparation entre transport et production d'électricité, mais la proposition se heurte à de fortes oppositions venant de France et d'Allemagne notamment.

Pourtant, la libéralisation du marché ne bénéficiera aux consommateurs que si l'on augmente le degré de concurrence effective sur le marché. Pour cela, il faut une interconnexion accrue des réseaux de transport d'électricité. A cette condition, un véritable marché européen de l'électricité pourra se mettre en place au bénéfice des consommateurs.


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