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Rapprocher l’Union de ses citoyens : l’occasion manquée

Carte blanche parue dans le journal "Le Soir" du 13 décembre 2007
par
Alexandre Defossez Assistant à l'Institut d’Etudes Juridiques Européenne

Drapeau Europe

Tandis que la Belgique se déchire, l’Europe tente, vaille que vaille, de retrouver une certaine unité. En effet, passée relativement inaperçue chez nous pour causes de tensions communautaires persistantes, l’Union semble enfin avoir trouvé une solution consensuelle aux «non» français et hollandais. Le Traité de Lisbonne sera signé ce 13 décembre par les chefs d’États membres. Il sera ensuite soumis aux (périlleuses) procédures nationales de ratification. Pour autant, je doute que ce Traité apporte une solution au problème majeur révélé par l’échec de la défunte Constitution. L’Union demeure dans l’esprit de nombre de ses citoyens, le débat référendaire français l’a suffisamment illustré, un objet politique non-identifié, aux objectifs uniquement économiques, un projet pour lequel il est difficile de s’enthousiasmer. A cet égard, le nouveau Traité supprime ou amoindrit deux avancées majeures de la Constitution dans l’opération de rapprochement entre l’Europe et ses citoyens.

Symboles mis à mal

Tout d’abord, les symboles de l’Union – son drapeau, son hymne, la quasi-totalité du préambule, le terme (malheureux) de «Constitution» – ne seront pas repris dans le Traité. Bien entendu, juridiquement parlant, ce retrait n’a aucun impact : le drapeau aux douze étoiles continuera de flotter et l’Ode à la Joie de Beethoven d’être jouée. Mais le signal est fort : l’Union s’est vue dénudée de ses plus beaux atours pour ne présenter aux citoyens que la façade morne d’un texte hermétique, composé d’une litanie indigeste d’amendements.

Elle demeure ainsi une forme de coopération internationale inédite mais qui n’a pas vocation à se transcender par l’adoption d’une symbolique propre à laquelle ses citoyens pourraient s’identifier. Négliger ces symboles en tant que facteurs d’intégration et de création d’une «citoyenneté européenne», d’une adhésion des peuples au projet européen, est à mon estime une grave erreur. Pour une fois, d’ailleurs, ceux-ci dépassaient enfin le domaine purement «économique» (monnaie «commune», marché «commun») auquel l’Union reste invariablement associée pour investir le champ «socio-culturel» (drapeau, hymne).

Ensuite, le destin de la Charte des droits fondamentaux, catalogue concret des droits des citoyens européens, est obscurci par ce nouveau Traité. De plus, tant le Royaume-Uni que la Pologne ont obtenu une clause d’exemption la concernant, annexée au Traité. Dans le jargon européen, une clause d’exemption permet à un État membre de ne pas être lié par certaines obligations contenues dans le Traité, dans ce cas, par la Charte des droits fondamentaux. Même si le nouveau gouvernement polonais semble décidé à renoncer à cette clause, les récentes élections ayant vu la victoire des libéraux, la tâche s’annonce complexe puisque le Président polonais, Lech Kaczyński, demeure farouchement opposé à tout renoncement dans ce domaine. Le résultat de ce gâchis sera donc de créer une Union à géométrie variable dans le domaine des droits fondamentaux. Or, voilà bien un champ où elle aurait dû, au contraire, montrer un visage uni afin de briser son image de «Léviathan économique néolibéral». Encore une fois, le signal envoyé par ces atermoiements aux citoyens est pour le moins «brouillé».

Une Europe à la Carte

C’est donc une Europe «à la carte», opaque, qui domine le paysage. On pourrait citer d’autres concessions qui traduisent cette démission de l’idéal intégrationniste et l’enfermement de l’Union dans des querelles de clochers: la réaffirmation du principe de subsidiarité, le retrait de la notion de concurrence libre et non faussée pour satisfaire l’opinion publique française (avec un effet pratique nul), l’ajout d’un 751e parlementaire pour satisfaire les Italiens (avec un débat à la limite du nauséabond autour des méthodes de recensement des «citoyens») etc. etc.

Ce Traité constitue indéniablement «un pas dans la bonne direction», mais on peut regretter que les principaux reculs par rapport à la Constitution se fassent sur le dos de la Charte et des symboles communs, facteurs d’intégration qui auraient contribué à donner à l’Union une visibilité «démocratique» et politique sans précédent. Un chapiteau nu et sans décors succède donc aux belles volutes de la Constitution : de la différence entre architectures dorique et ionienne. Ce n’est sans doute pas ainsi que les citoyens européens se passionneront pour une construction européenne dont ils ont tant de peine à percevoir les indéniables avantages.

 


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